lundi 4 août 2014

zombies studies : viralité de la haine à l'heure numérique

Si je m'en tiens à la production cinématographique et aux séries qui inondent les canaux officiels ou ceux du "monde libre" (échappant encore à la censure), le zombie est devenu le héros/culte de notre post-modernité, il a fui le confort de la fiction pour imposer sa pantomime avant-gardiste et ses scripts monosyllabiques sur tous nos écrans ; ses avatars prospèrent et se multiplient, se glissent dans les débats de société les plus sérieux, qui ont à voir avec l'économie, la politique voire la métaphysique ;  le mythe semble inusable, recyclable indéfiniment, il s'enrichit et se renouvelle au gré d'une exégèse débridée, en mots et en images, qui  voit dans ce corps en putréfaction  le nouveau Graal métaphorique ultime autorisant toutes les lectures politico-sociales : icône du sous-prolétariat, des exclus, des "damnés" du meilleur des mondes capitaliste en pleine décomposition... Nous sommes bien loin de la résurrection des morts biblique ! Certes, la réalité écrase parfois la fiction, et si en Angleterre ou aux Etats-Unis des universitaires commencent à donner aux Zombies studies une respectabilité épistémologique, la France véritable fer de lance de l'arrière-garde préfère "pléiadiser" le vénérable Jean D'ormesson et se pâmer devant le nouvel académicien Alain Finkielkraut. Pourtant un imposant corpus (vidéos, images et textes) est disponible sur internet grâce aux efforts de cohortes de fanatiques, anonymes ou plus connus, amateurs ou pros, du monde entier ; le gag y côtoie la plus étonnante érudition, la politique y a largement ses entrées, le sexe  aussi, le vintage, le has-been, l'avant-garde, la subversion des codes hérités comme la reprise décevante des plus prévisibles clichés... Ce succès du zombie ne tient pas tant à sa puissance critique et dialectique (qui du vivant ou du mort est finalement le plus réifié ?) qu'au médium numérique utilisé. A l'heure où j'écris ces lignes, j'apprends que la "propagation du  virus ebola" en Afrique est jugée par les experts particulièrement inquiétante. Et c'est ainsi : la prolifération zombiesque obéit elle-aussi à un principe de viralité propre à l'univers numérique : pas de rituels païens, de prières et invocations old school dans quelque sacristie profanée, le zombie accède à la plénitude de son être par le seul miracle de l'infection, d'un virus invisible, inodore, impalpable, immatériel et pourtant "codé" comme la communication numérique, qui de morsures en morsures modifie les programmes du logiciel humain jusqu'à en faire une "bête immonde". On devient zombie sans le vouloir, par accident, par inadvertance, par dilettantisme ou par hasard, jamais par vocation ! Autrefois Faust faisait un pacte avec le diable, en parfait petit agent de l'économie de marché, il escomptait de la transaction infernale un bénéfice terrestre supérieur au salut de son âme ; aujourd'hui rien de tout cela, on attrape le virus comme d'autres attrapent un rhume et bien sûr on le devient parce qu'on n'est pas vacciné, pas assez bien protégé comme votre ordinateur qui vérolé de partout  refuse d’exécuter ses programmes faute d'un antivirus à jour.
Étonnant prolongement dans la vie réelle : cette viralité menaçante ne concerne jamais les corps (sauf pour souligner l'apathie du geek) mais exclusivement les esprits, les consciences, elle a débordé les cadres étroits et ludiques de la culture underground  pour devenir une vision du monde (weltanschauung) qui organise le champ social selon les axes de la médecine, de la morale et de la police ; on ne comprend pas autrement le leitmotiv repris en chœur par toute la France vertueuse lors du safari lancé contre l’humoriste dieudonné ; j'étais chaque fois plongé dans la plus grande perplexité quand je lisais ou  écoutais les formules définitives assénées comme un crédo de guerre sainte : "non à la propagation de la haine" ; la haine comme l'amour sont des sentiments qui peuvent se partager, si affinités, mais comment pourraient-ils se propager sauf à être des virus, porteurs de pathologies, aux conséquences funestes et mortelles ? La Haine comme l'amour relèveraient donc de l'action publique, préventive, de l'état, de sa médecine et de ses praticiens, dans l'intérêt bien sûr de la bonne santé de la nation. Le petit mot de Patrick Cohen à propos des "esprits malades" invités par Frédérique Taddéi n'avait rien de gratuit : dans cette lecture biologico-médicale d'un corps social malade, "anomique", la coupure épisté(de)mo(no)logique distingue à la fois le normal du pathologique, le sain du morbide, Elle fixe de facto la norme sociale comme une question morale et médicale, en excluant les "accidents" comme autant d'anomalies virales qu'il faut neutraliser afin de garder sain le corps social. Les interdictions de spectacle, les demandes pressantes de contrôle accru d'internet, la "lepenalisation"  de la loi qui privilégie l'ordre public aux droits et aux libertés individuels, l'effraction du judiciaire et du policier dans le champ artistique... tout concourt à former par la bureaucratie d'état et ses mandatés  un esprit sain dans un environnement sain ! Nous voilà donc revenus à "l'hygiènisme" social et moral, au XIXème siècle à la fois progressiste et obscurantiste si bien étudié par Philippe Murray, à ses sciences balbutiantes (psychiatrie, sociologie, histoire....), empreintes de préjugés, à son biologisme conquérant (Gobineau), à sa criminologie naissante, à son républicanisme autoritaire, à ses dames patronnesses, à sa bourgeoisie inquiète, à sa morale puritaine....en 2014....
  
LE FLEAU SOCIAL en 3 temps

 ETAPE 1 : PREMIERS SYMPTOMES
lors du spectacle


Etape 2 : 
la nuit suivant une séance au théâtre de la main d'or


 Etape 3 :
la mutation achevée


Comparaison n'est pas raison, d'autant que la répétition en histoire n'a aucun sens,  mais les éléments de langage qui se sont imposés dans l'espace public autorisent d'étonnants parallèles : les vices de la classe ouvrière ont été remplacés par les incivilités des banlieues ou sa délinquance (le sexe et plus largement le corps des classes populaires à travers notamment aujourd'hui la question du "voile"  est une constante de cette fixation du pouvoir) , les "apaches" ont pris leurs quartiers de l'autre côté du périphérique, leurs faits d'armes font toujours les unes d'une presse et de ses lecteurs effrayés, ce n'est pas le "socialisme" qui inquiète les lecteurs du Figaro (non vraiment nos socialistes ne font plus peur à personne !) mais plutôt l'islam comme menace révolutionnaire imminente et sanguinaire (le cimeterre entre les dents !), les lois sur la liberté de la presse de juillet 1881 ne sont par contre plus d'actualité, trop "libérales", il faut remettre au goût du jour le nihil obstat, l'autorisation préalable, le délit de presse et le délit d'opinion... tout cela bien sûr dans l'intérêt de tous ! Il y a bien eu une affaire Dreyfus new look mais le casting en était quelque peu différent, peu de Zola, et la gauche dans le rôle de l'action française pour demander la tête de l'histrion, le "traître", le "renégat", la Ministre de la Culture main dans la main avec un inquiétant sinistre de l'intérieur, les minorités d'hier ostracisées ne sont pas forcément celles d'aujourd'hui, la sociologie de la France a changé, pas de Pasteur pour guérir la "rage" sociale mais des Diafoirus qui se répandent en éditoriaux apocalyptiques dignes des lignes les plus mortifères de feu Oswald SPengler (le déclin de l'occident) et accompagnent de leur bienveillance la mise au pas policière de nos libertés, je ne parle de la présence française militairement parlant dans ces colonies d'hier avec toujours le souci sans doute d'apporter "bonheur et prospérité"....  il nous manque pour compléter ce tableau comparatif les anarchistes très actifs à l'époque mais en matière d'attentats et d'assassinats ils font figure de petits joueurs désormais, une crise de légitimité du pouvoir républicain qui entend affirmer son autorité sur/contre des populations rétives au "rêve français" dont elles sont depuis toujours exclues... Le XXIème siècle n'est toujours pas à l'ordre du jour.
Pour finir la saga zombiesque ou plutôt ouvrir un nouveau chapitre, alors que les bombes tombent sur Gaza, que des écoliers apprennent sans doute à compter en comptant les morts et les explosions, que l'expression "cesser le feu" va s'imposer comme un exemple mémorable d'antiphrase, je trouve cet extrait d'un nanar à gros budget World War Z; on y voit des hordes de palestiniens zombifiés prendre d'assaut Jérusalem !!! Message politique ? Ce serait beaucoup en demander, mais....


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