dimanche 24 février 2008

LETTRISME ET EROTISME


Depuis le 09 février (et jusqu'au 15 mars) se tient à l'Atelier Lettrista à Verone une exposition de Maurice Lemaître Corps Ecrit dont on trouvera une version PDF du catalogue sur le blog du lettrisme (http://leblogdejimpalette.typepad.com/lettrisme/). Il s'agit du tirage réalisé en 2007, en quantité très limitée, de 10 négatifs de photos réalisées en 1981, revues et enrichies en 1989. L'érotisme comme champ d'expériences et de connaissance a été très tôt abordé par le lettrisme : depuis le scandale de la Mécanique des femmes en 1949 jusqu'aux sérigraphies réalisées sous l'égide de Fransesco Conz en 1988 à partir des planches du cultissime Initiation à la haute volupté (1960) dont sont reproduites en ouverture et fermeture de ce post deux pages, sans compter les ouvrages nombreux d'Isou publiés sous pseudonyme ou non relevant d'une littérature "sexy" et dont la plupart livre toujours leur lot de pépites et de trouvailles, malgré les règles d'un genre hautement stéréotypé, ou encore le très didactique Je vous apprendrai l'Amour (1959)... l'énigme de la chair n'a cessé de se voir interrogée dans une quête incessante de multiplication d'un principe de plaisir enfin libéré de l'ascétisme et de la culpabilité judéo-chrétienne autant que de la métaphysique romantique (manifeste chez les surréalistes par exemple).
Chez Lemaître le Nu comme catégorie héritée du champ artistique et exercice de style occupe une place de choix (c'est le moins que l'on puisse dire !), sans pour autant négliger la part libidinale aventureuse qui en est le pendant théorique, érotologique. Car l'érotisme dans le lettrisme est une thématique artistique autant qu'un discours sur l'amour, voire une science de l'amour qui cherche à procurer sur le plan de la sexualité individuelle ce que l'économie nucléaire entend créer à l'échelle collective : la prodigalité. Qu'il s'agisse d'
Au delà du déclic (film hypergrahique,1965), de sa peinture et surtout de sa production photographique, en intégrant l'élément figuratif (le nu dessiné ou photographié) comme un signe particulier dans une grammaire personnelle, il donne à un genre académique à souhait une dimension nouvelle, hypergraphique, où le corps référentiel se voit disputer l'espace où il trône souverainement par les signes dont il est désormais le support électif, quitte à s'y dissoudre totalement (je pense particulièrement, et sans rapport avec le Nu (!) à un portrait hypergraphique de Michel Tapié de 1964) . Comme le Portrait, le Nu est a priori un exercice qui autorise tous les styles. Force est pourtant de constater qu'en ce domaine comme en tant d'autres on peine à s'émanciper de la pesanteur du réel comme justification ultime du geste : qu'il s'agisse de néoréalisme, de réalisme, de surréalisme ou d'hyper-réalisme comme l'image pornographique contemporaine (chic ou choc), le réel est cet horizon qu'il ne faut jamais dépasser. Les nombreuses photographies de Lemaître (qui ont déjà fait l'objet de plusieurs expositions) comme celles d'Alain Satié (notamment celles qui constituent le superbe recueil Tatouages, 1969), les récits hypergraphiques de François Poyet Poïesis et Champs Panhellesiques (1970) parmi d'autres nous rappellent aussi qu'il y a traitement hypergraphique de la thématique érotique en général et du nu féminin en particulier. A ceux et celles qui pensent que 1929 de Perêt, Eluard et Man Ray représentent un moment inspiré de l'érotisme artistique (certes, certes) et poétique (plus discutable !), je les engage à consulter d'urgence ce livre/objet incu(l)nable et remarquable Cul en tête ou au service de l'hypergraphie de Roland Sabatier et Alain Satié (1969) .

lundi 4 février 2008

DU THEATRE RESTREINT A L'ART TOTAL


Isidore Isou : hypergraphie polylogue, 1964-1988 (cliquez deux fois pour le grand format, elle est sublime !!!!)
On se souvient de la polémique bruyante qui accompagna l'édition 2005 du Festival d'Avignon et de la pseudo querelle des anciens contre
les modernes qui s'en suivit : en introduisant la danse et l'expérimentation, la performance c'est-à-dire les codes de l'art contemporain dans le rituel bien huilé des festivaliers, en travaillant aux limites de la représentation dans son sens institutionnel, Jan Fabre et quelques autres iconoclastes se sont attirés les foudres d'une partie de la critique et surtout du public qui d'habitude respectueux du protocole et des usages n'a pas hésité à siffler et huer les "spectacles " qui lui étaient ainsi offerts. Les prises de position radicales de part et d'autres ont conduit à une surenchère d'invectives où il était difficile de distinguer qui des faux-avant-gardistes ou des tenants d'un théâtre textuel soucieux du respect des normes académiques était le moins infréquentable.



















En 2005 Jan Fabre nous refaisait une bataille d'Hernani, réchauffée au regard du Cabaret Voltaire, de la séance de cinéma lemaîtrienne ou des happenings Fluxus. Dans ce climat particulièrement tendu, qui suivait les attaques pertinentes lancées contre un art contemporain hégémo
nique, officiel et académique (sans parler de sa suffisance), rien n'était plus salutaire que d'inscrire cette problématique théâtrale dans sa propre historicité. Crise de la représentation ? Oui ! Et après ?
C'est une telle interrogation qui est l'origine de la manifestation
A theater without theater organisée sous la houlette de Manuel Borja-Villel et de Bernard Blistène (d'abord au MACBA de Barcelone, puis au Musée Berardo de Lisbonne avant de traverser l'Atlantique pour le Walker Art Center de Minéapolis) en proposant de réfléchir à un théâtre sans théâtre, étendu hors des limites d'une théâtralité héritée, de ses codes, de ses impératifs textuels et scéniques. En reprenant les contributions Dada du cabaret voltaire, des futuristes russes et italiens jusqu'aux performances Fluxus et aux installations développées par les artistes contemporains, on comprend combien la modernité a fait de la transversalité des arts, et de l'élargissement permanent de leur sphère d'action une nécessité, quitte à y perdre justement la théâtralité, la plus-value du spectacle d'un art total jouant sur toutes les ressources des arts particuliers qu'ils convoque en un acte unique et ultime. Les lettristes sont donc naturellement représentés (Isidore Isou, Maurice Lemaître et Roland Sabatier) dans la mesure où il s'agit sans doute après la seconde guerre mondiale du seul mouvement qui se soit attaché à comprendre le fait théâtral comme art (et non comme espace mythique transgressif et/ou régressif à la Artaud ou à la façon des Actionnistes, ni comme éloge du banal et du fortuit, du non-art, avec l'anti-art des Fluxus). Dés le Tome 1 des Fondements pour la transformation intégrale du théâtre (Bordas, 1953) Isou, prenant acte d'une crise de la représentation travaillant l'ensemble de la modernité artistique, entendait dépasser le grand désordre Dada pour offrir de nouvelles propositions dramatiques témoignant d'un souci permanent de prendre en compte tous ses aspects (corps des acteurs, texte, environnement visuel et sonore...). L'introduction de la danse, de la gymnastique, dans le cadre de la représentation ne cherche pas à supprimer un texte devenu obsolète mais à déployer leur plus-value artistique à côté du texte devenu lui aussi autonome (principe de la discrépance déjà appliqué par Isou et Lemaître au cinéma). Le hors-spectacle, la vie quotidienne, à l'instar du ready-made dans l'art sont en effet les limites que l'avant-garde s'est efforcée de dépasser dans un projet politique de lutte contre la division du travail artistique (art/non-art) et du temps social (travail/loisirs). Les lettristes ont élaboré une autre culture faite des ruptures dans la modernité qu'ils provoquent et de la continuité classique qu'ils perpétuent ; dans le schéma amplique/ciselant les arts ne meurent que pour renaitre, réunis sous une forme totale ("la cathédrale des arts" formulée par Isou dès ses Memoires sur les forces futures des arts plastiques et leur mort, Ur, 1950) et non pour céder la place à une "vraie vie" décidément introuvable. Que l'anecdote ne soit pas le fin de l'histoire théâtrale, ni la réplique ou le monologue, permet d'en réinventer la pratique en y inscrivant les lignes de perspective offertes par l'audiovisuel, les corps des acteurs, l'architecture, le mime, la danse... Le catalogue rend compte de ces liaisons clandestines entre art(s) et théâtre et des tentatives réalisées par ce dernier tout au long du XXème siècle, via le lettrisme, Fluxus, les actionnistes, Ben ou Beuys, pour échapper à sa condition littéraire. Le catalogue se clôt sur les années 80 ; cette date doit être considérée comme emblématique car depuis la division sociale du travail a certes été brisée, non au profit de la société sans classe mais de celui de l'entertainment généralisé, de la "télévision réalité" qui dissout les frontières entre public et privé, fiction et réalité ; désormais le happening est permanent, la mise en scène continuelle... et plus que jamais le théâtre doit reconquérir un public et une légitimité, non en se faisant la chambre d'écho pathétique de "la violence du monde" comme Jan Fabre le souhaitait mais en s'assumant pleinement comme fait artistique, espace d'invention et d'expérimentation en quête de nouvelles formes.
Je recommande vivement de consulter sur le site www.lelettrisme.com la rubrique Arts du spectacle pour en savoir plus sur les propositions et les oeuvres des lettristes en ce domaine.