lundi 12 juillet 2010

F(R)ACTURE GENERATIONNELLE ?

La place exhorbitante qu’ a pris, avant les turpitudes Woerth/Bettancourt, le débat sur les retraites, est un signe manifeste des antagonismes réels qui travaillent la société, des voiles divers avec lesquels le vieux monde entend continuer à s’imposer et à imposer sa grille de lecture usée jusqu’à la corde. Chacun joue sa partition à merveille : la droite, plus comptable que jamais, souligne l’urgence d’une réforme au regard de l’allongement de l’espérance de vie et de la diminution du nombre d’actifs, la gauche et les syndicats ne sont pas avares en contre-propositions au nom de la « justice sociale » et de la solidarité intergénérationnelle : élargissement de l’assiette de côtisation, taxes exceptionnelles sur les revenus financiers, prise en compte des années d’études ou simple status-quo pour les moins ambitieux…. Bref, c’est la bonne vieille opposition capital/travail qui joue une énième représentation et passe ainsi sous silence l’essentiel du débat.
On reconnaîtra pourtant à la droite gouvernementale un certain sens des « responsabilités » (au sens d’une éthique de la responsabilité à la Max Weber… d’ailleurs Rocard en son temps avait produit un « livre blanc » sur le sujet devenu culte) car il faudra bien sortir d'un systéme qui protége les mieux protégés et ne permet plus une réelle mobilité à ceux ceux, toujours plus nombreux, qui s'impatientent à ses marges. Malheureusement pour elle, elle n’est pas en mesure de s’emparer de ce sujet et d’entrer en dialogue avec une société qui voit les inégalités de revenus et de statuts se creuser, les efforts toujours plus grands qui lui sont demandés (austérité, réduction de la dépense publique et des politiques de redistribution), les « affaires » et l’irresponsabilité des élites s’afficher décomplexée au grand jour… Bref, ni cette majorité, ni a fortiori ce président, n’ont la confiance des citoyens nécessaire pour entreprendre toute réforme conséquente, dans la mesure où ils n’ont cessé de montrer combien ils ne représentaient qu’une classe, pire une caste (bouclier fiscal), sans égard pour l’ensemble de la société et de ses problèmes (crise économique majeure, ascenseur social en panne, déclassement, chômage).
Pour autant, la gauche est-elle plus pertinente sur le sujet ? Pas vraiment, on reconnaît surtout chez elle le vieux fond malthusien qui lui sert de boussole en matière économique : dans l’impuissance reconnue à permettre un retour au plein emploi, il reste les pis-aller : partage du temps de travail avec les 35 heures, principe des préretraites pour désengorger le chômage des jeunes (disent-ils...)… Puis viennent les postures et les justifications : justice sociale d’abord car la réforme actuelle se fait sur les dos des salariés les plus fragilisés (les femmes notamment, les métiers « pénibles »), liberté ensuite car une partie importante de la gauche ne fait pas du salariat un horizon indépassable, les gains en espérance de vie n’ont donc pas vocation à allonger la durée de travail mais d’abord à modifier qualitativement la vie individuelle…
Tout cela est fort sympathique mais peine à dissimuler le conflit réel ici à l'oeuvre : gauche et droite, Medef ou syndicats, représentent les intérêts bien compris des insiders, qui en l’occurrence sont les sortants, tandis que les entrants, les outsiders (notamment les jeunes), sont noyés dans la masse des premiers alors qu’ils n’en ont ni le statut, ni le destin. Autrement dit, il apparaît pour le moins étonnant de demander une mobilisation de tous contre ce projet de réforme quand cette mobilisation cherche surtout à garantir les droits et les statuts des uns (les insiders, qu’ils soient employeurs ou salariés), via les efforts supplémentaires qui seront demandés aux autres (les outsiders qui eux devront côtiser plus, travailler plus pour maintenir le pouvoir d’achat de leurs ainés) sans garantie pour eux d’avoir in fine les mêmes avantages (études longues et arrivée tardive sur le marché de l’emploi, précarité et temps partiel, parcours professionnel éclaté).
La démographie fournit ainsi une partie des clés de ce conflit : dans une société « vieillissante » (pour l’instant car la natalité est encore forte en France), l’opposition gauche/droite se reconfigure en fonction des intérêts représentés : à droite, on défend les personnes âgées et leur patrimoine (d’où les discours sécuritaires et les « faits divers » montés en épingle sur « l’insécurité ») et ce d’autant qu’elles constituent un réservoir de voix non négligeable, à gauche, à force de cécité face à cette diversité des destins générationnels, on finit par avoir des revendication catégorielles, quasi artérielles, et à n’être que le porte-voix de ceux qui sortent (en fait les retraités de gauche !). Il était d’ailleurs très amusant d'entendre certains ténors, comme Jean Luc Mélanchon se répandre lyriquement sur les salariés "usés" ayant commencé à trimer dès leurs 16 ans alors que l’allongement actuel des études (disparition des BEP au profit des Bac pros avec possibilité de poursuivre un cycle court dans le supérieur) va accentuer dans l'avenir une arrivée de plus en plus tardive sur le marché de l’emploi des diplômés de l’enseignement général, technique et professionnel. Le vrai scandale n’est pas dans la remise en cause de ce symbole/chiffon rouge de l’âge légal à 60 ans mais bien plutôt dans le taux anormalement élevé de jeunes chômeurs (24% chez les 18/25 ans). Et c’est à la lumière de ce chiffre, mais aussi d’une Université en crise qui ne garantit pas aux étudiants une bonne insertion professionnelle (tiens donc Pourquoi ?) et des conditions dégradées dans lesquelles les jeunes doivent s’efforcer de trouver leur place (la survie pour beaucoup), que le curseur se trouvait ainsi mis en lumière : partir à 60 ans mais avec quel espoir et quel revenu si on a une trajectoire professionnelle éclatée, incomplète, faite de périodes chômées, de temps partiels, de stages plus ou moins bidons avec des diplômes qui ne mènent à rien ?
Seul Louis Chauvel, dans une remarquable tribune publiée dans Le Monde a pris acte des enjeux générationnels de ce débat :
« La réalité est que jamais le taux de pauvreté des seniors n'a été aussi bas par rapport à une jeunesse paupérisée. Jamais leur revenu moyen n'a dépassé si nettement celui des générations de travailleurs, jamais leur patrimoine net moyen accumulé n'a été aussi élevé, comparé à celui des nouvelles générations. Jamais le taux de propriété ne les a mieux protégés de la crise du logement vécue par les jeunes. Jamais le taux de suicide des jeunes retraités n'a été aussi faible, relativement à celui des quadragénaires. Jamais ils ne sont partis plus longtemps en vacances, aussi, alors que, depuis 1979, cette pratique a régressé chez les adultes d'âge actif.
Pourtant, dans l'ordre de la réalité, ni les uns ni les autres, par pragmatisme électoraliste sans doute, n'ont intérêt à heurter les sensibilités d'une population de retraités qui n'ont jamais été aussi actifs politiquement. Le Parti socialiste a rendu son verdict : sa position est celle du maintien, le plus longtemps possible, des apparences de la retraite à 60 ans. Arc-boutée sur sa position fondée sur le symbole de l'héritage mitterrandiste, Mme Aubry va jusqu'à proposer à chaque Français l'horizon radieux d'une "révolution de l'âge" où les jeunes n'existent semble-t-il que pour recevoir une aide de leurs anciens. L'augmentation du taux de cotisation et l'invention de nouvelles taxes sur le capital serviraient bien sûr à combler le gouffre. Mais ces moyens nouveaux feront défaut à des besoins collectifs bien plus urgents, comme la formation efficace de nos jeunes et de nos salariés. En réalité, l'effort reposera pour l'essentiel sur les cotisations alourdies des salariés, notamment les plus jeunes, bien mal défendus par la gauche. Le gouvernement quant à lui compte bien sanctuariser les ressources économiques de seniors dont le vote sera décisif :faut-il rappeler que sans le vote des plus de 68 ans, Mme Royal eût été élue. Il n'est donc pas question de manoeuvrer le curseur le plus efficace : le niveau des pensions des retraités d'aujourd'hui.
C'est la force des idéologies que de fourvoyer les plus faibles, ceux qui n'y ont aucun intérêt, dans des directions qui leur seront néfastes. Le débat sur les retraites correspond bien à cela, puisque, à droite comme à gauche, les positions semblent en profonde contradiction avec la logique qui devrait guider les deux camps, à la défaveur des jeunes travailleurs, groupe social sans support politique. Du point de vue de la justice sociale, les retraités aisés doivent contribuer, mais, d'un point de vue pragmatique, ils en seront exonérés. C'est ici la conséquence du fonctionnement politique français, fondé sur un faux libéralisme qui réserve la liberté à ceux qui peuvent l'acheter et sur un faux socialisme qui a oublié ses enfants" .

Le débat sur les retraites occulte celui sur l'horizon bouché de la jeunesse,
par Louis Chauvel (LE monde, juin 2010)

Les grilles de lecture et de positionnement classique des syndicats et des organisations de gauche laissent sans voix et sans perspective la masse de ceux qui arrivent et pour qui manifestement la solidarité intergénérationnelle ne jouera pas. La gauche finira-t-elle pas prendre elle aussi sa retraite à force de corporatisme ? Comprend-elle les inquiétudes et les interrogations des générations qui arrivent, et prend-elle vraiment la mesure dès lors de l’extrême relativité de ses dogmes (défense des statuts et des droits acquis) ? Pourquoi par exemple demander de prélever davantage encore sur la richesse produite au profit du financement des retraites alors que l’Université française et sa recherche crient misère et devraient être la priorité de la nation pour la préparation de l'avenir ? Quel sens aurait une « société du bien être » (chère à Madame Aubry) où les aînés non sans paternalisme, entre une grande exposition à Londres et un séjour au Maroc, aideraient matériellement leurs petits-enfants, surdiplômés, précaires quasi clochardisés les maintenant ainsi sous dépendance permanente ? Quel sens a ce « débat de société » (et pour qui si ce n’est pour les futurs retraités du PS) sur le dépassement du travail par le temps libre quand les entrants subissent de plein fouet un chômage de masse durablement installé ? Le retour à un plein emploi relatif via l’innovation et la recherche ne représentent-ils pas un moyen d’augmenter le nombre d’actifs ? A quand un dépassement du malthusianisme économique à gauche ?!!!! Le souhaite-t-elle vraiment et comment ne pas noter combien cette fracture générationnelle travaille aussi le Parti Socialiste !
Il ne s’agit pas d’opposer frontalement les générations mais de souligner que le juste et l’injuste ne se posent seulement pas seulement de manière statique (travail versus capital, salariés versus employeurs) mais aussi dynamique (externes versus internes) et que cette exigence oblige à revoir les logiciels en usage et sans doute à prendre au sérieux les pistes de l’économie nucléaire et son protégisme juventiste théorisée et développée par Isidore Isou. A quand une réelle Union des jeunes, des créateurs et des producteurs ????