jeudi 16 juin 2011

DE LA MISERE EN MILIEU ETUDIANT ET QUELQUES PROPOSITIONS (externistes !) POUR EN SORTIR !

Via sa fondation, le milliardaire américain Peter Thiel distribue des bourses aux étudiants qui abandonnent leurs études pour développer un projet lié aux nouvelles technologies.

Les diplômes, c’est surfait. C’est le message de Peter Thiel, un Américain qui a décidé de distribuer des bourses à des étudiants non pas pour poursuivre leurs études mais pour les planter. Ils sont vingt-quatre jeunes de moins de 20 ans à avoir été sélectionnés par la Thiel Foundation. Ils recevront 100 000 dollars chacun s’ils ne mettent plus les pieds au lycée ou à l’université pendant deux ans.

Ils développeront leurs projets, suivis par des mentors établis dans la Silicon Valley. Peter Thiel, cofondateur de PayPal, a fait partie du premier tour de table d’investisseurs de Facebook. Avec la valorisation actuelle du réseau social, sa participation représente 1,5 milliard d’euros.

Le milliardaire dit aujourd’hui que si les fondateurs de Facebook étaient restés étudiants à Harvard le temps d’obtenir leur diplôme, leur fenêtre de tir pour développer le site se serait refermée. Selon lui, beaucoup d’innovations – un sujet qui le passionne – proviennent de gens qui ne pouvaient pas attendre.

Nous ne sommes pas en train dire que les études supérieures nuisent à tout le monde. Mais l’entreprenariat, l’innovation dans des domaines tels que l’informatique ou internet demandent une combinaison de compétences et de dynamisme qui n’est pas enseignée efficacement dans les universités et les grandes écoles. Le monde réel est probablement un meilleur enseignant”, expliquait récemment le président de sa fondation, James O’Neill, invitant les jeunes à “réfléchir soigneusement aux coûts et à ce qu’apportent les études supérieures” avant de s’y engager.

Aux Etats-Unis, où les frais de scolarité ont flambé ces dernières années (des études supérieures coûtent facilement 50 000 dollars par an), le raisonnement de Thiel est d’abord économique. Il estime que dans 70 à 80 % des universités américaines, les diplômes ne rapportent pas ce qu’ils ont coûté.

Des prix irrationnellement élevés, des projets financés par des dettes sans espoir de retour sur investissement, les études supérieures présentent selon lui les caractéristiques d’une nouvelle bulle. Un domaine dans lequel il est crédible : les anciens de PayPal se souviennent que Peter Thiel avait anticipé celle d’internet en 2000, quand personne ne voulait encore y croire ; son fonds d’investissement a aussi anticipé le krach immobilier de 2007.

Mise à part la faible rentabilité, s’endetter au-delà du raisonnable pour un diplôme, argumente-t-il encore, c’est s’empêcher de prendre des risques dans sa carrière professionnelle (tout comme les remboursements des traites d’une maison achetée trop chère). Steve Jobs, Bill Gates et Mark Zuckerberg sont connus pour avoir largué leurs études en route. Ce n’est pas le cas de Thiel, passé par la très réputée université de Stanford avant de monter PayPal à 31 ans.

Il ne regrette pas ses études mais déplore que personne ne remette en question l’idée qu’elles soient une espèce d’assurance frileuse sur l’avenir, un peu comme un placement immobilier. Plutôt qu’au recrutement de ces vingt-quatre jeunes, Thiel, libertarien convaincu, semble d’abord s’intéresser aux discussions que l’initiative va susciter. Dans leur dossier de candidature (les prochains seront disponibles en octobre), les candidats à quitter l’école devaient répondre à deux items, dont “Parlez-nous d’une idée à laquelle vous croyez et à laquelle les autres ne croient pas.”

Guillemette Faure


http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/66203/date/2011-06-11/article/old-school-les-etudes/

dimanche 5 juin 2011

UN NOUVEAU PARADIGME POLITIQUE ?

Le fait divers l'a emporté sur la raison politique : l'affaire DSK a brouillé, provisoirement il faut l'espérer, les enjeux de la prochaine présidentielle. Cela faisait bien longtemps pourtant qu'à Gauche on désespérait de voir une once d'idée nouvelle. La posture, l'héritage sans inventaire des, années Mitterrand, les mythologies et illusions entretenues dans des réflexes quasi pavloviens, une rhétorique d'un autre temps, tout cela avait finit par faire du Parti Socialiste un parti vieillissant, hors jeu et hors course, voué comme le Parti radical autrefois a décliné inexorablement.
Pour quelle alternative ? La base historique du PS (les fameuses "classes populaires") n'a cessé de fuir les promesses de ce parti ambigu, qui oscille entre principe de réalité et de plaisir selon qu'il se trouve dans l’opposition ou aux affaires ; d'où une montée de l’abstention, le report grandissant à l'extrême droite et l'instabilité de la nouvelle bourgeoisie issue de la gentrification qui peut être séduite autant par le centre (en 2007) que les écologistes mais semble de toute façon sourde aux discours ouvriéristes . Ambiguïté en effet car le Ps au moins depuis 1981 avait réalisé une coalition d'intérêts inattendue (c'est là son vrai succès politique) : une base prolétarienne (ouvriers et employés), les classes moyennes et supérieures, issues des Trente Glorieuses, l'employé et son DRH si l'on veut : la critique sociale et la critique artiste, la justice sociale, la redistribution pour les uns, la mobilité, la promotion individuelle pour les autres.

La mondialisation avec ses impératifs de libéralisation tous azimuts a fait explosé cette mythique union qui s'était matérialisée jadis par le programme commun : les perdants de la mondialisation (ouvriers et employés), disqualifiés par la compétition mondiale, moins dotés en capital culturel et scolaire ou relationnel, peu mobiles, rejettent en partie une gauche qui n'a pas su les accompagner dans ces nouveaux défis auxquels ils n'étaient pas préparés, les gagnants de la mondialisation (la bourgeoisie gentrifiée, "progressiste" (sic) bien sûr) se reconnait davantage dans les propositions post-industrielles des écologistes, dans le "qualitatif" libérée qu'elle est pour l'instant de la dure nécessité économique. Comme l'écrivait autrefois de manière prémonitoire André Gorz Adieu au prolétariat... La question écologique a remplacé la question sociale. La matrice marxiste productiviste est rejetée au profit d'un paradigme qui décline dans l'oubli actif des classes populaires ouverture au monde, décroissance heureuse et sacralisation de l'environnement. Certes tout cela est schématique et on trouve parmi les écologistes quelques résistants pour qui la question sociale a encore quelque importance... et aucun des partis politiques ne méconnaît l'importance de la problématique écologique. Mais la composition sociologique de cet électorat urbain le rend peu à même de comprendre les problèmes des perdants de la mondialisation et leurs aspirations (la compassion tient lieu souvent de vernis social, le "prolo" est presque devenu un repoussoir).
C'est le grand écart pour l'instant intenable : la gauche ne peut espérer mobiliser l' électorat populaire que dans la mesure où elle promet de réinstaller une sécurité sur le plan social : démondialisation, protectionnisme, retour de l'Etat omnipotent, encadrement et limitation des salaires, fiscalité lourde pour les stocks-options, critique de l'Europe, quitte à renoncer à '"l'efficacité économique" ; elle tourne le dos au libéralisme et prend des accents populistes parfois que l'on peine à distinguer du programme de Marine Lepen. Cette dernière s'est appropriée la question sociale, oubliée en partie à gauche, pour en faire le centre de son programme : les classes populaires malmenées par le mondialisation, orphelines sur la plan politique, se jettent en France comme en Europe dans les mouvements conservateurs mais la gauche n'a-t-il pas fini pas désespérer Billancourt ? Que reste-t-il au Parti socialiste ? Les plus réformistes seront tentés par le centre comme en 2007 ou Europe/Ecologie/Les verts, les plus radicaux par le Parti de Gauche, les petites classes moyennes risquent de donner leur suffrage à l'extrême droite ou s'abstenir ? DSK apparait comme le candidat idéal du Nouvel Obs, de Libération et de Sciences Po... d'une micro bourgeoisie qui s'illusionne et prétend représenter "la gauche" in extenso. Cela suffira-t-il à gagner ?
C'est dans ce contexte que Terra nova a publié une Note (Gauche, quelle majorité pour 2012 ?) qui est venu comme un salutaire pavé dans la mare aux évidences. Le propos est ambitieux puisqu'il définit une nouvelle coalition historique, une nouvelle base sociologique et nécessairement de nouveaux enjeux et défis en terme de programme et de propositions pour la gauche, le fameux changement de paradigme tant espéré :
"Une nouvelle coalition émerge : "la France de demain", plus jeune, plus diverse, plus féminisée. Un électorat progressiste sur le plan culturel. Une population d'
outsiders sur le plan économique, variable d'ajustement face à la crise d'une société qui a décidé de sacrifier ses nouveaux entrants. Il constitue le nouvel électorat "naturel" de la gauche mais il n'est pas majoritaire ». Qui sont donc ces outsiders ? Les jeunes, les femmes, les minorités et immigrés par opposition aux insiders attachés au statu quo et à la défense de leurs acquis et de leur position, les entrants face aux sortants. Il s'agit d'une approche qui fait peu de cas des antagonismes de classe où chaque groupe est réifié à une place et à des intérêts identifiés, pour s'intéresser à ceux et celles qui ont un intérêt objectif au changement et donc à la réforme. Voilà bien le peuple de gauche nouvelle mouture. L'opposition insiders/outsiders plutôt que les clivages de classe ? Cette distinction est opératoire depuis bien longtemps dans les sciences sociales aux Etats-Unis (Howard Becker) ou dans la théorie économique, mais il est vrai qu'une pareille lecture d'inspiration libérale n'a jusqu'à présent jamais trouvé sa place dans un contexte français muselé par un surmoi marxisme ou une mythologie républicaine fondatrice, si on excepte le Soulèvement de la Jeunesse d'Isou dont j'ai moi-même tenté dans une récente brochure de montrer toute l'actualité (Editions Acquaviva). La démonstration de Terra nova est particulièrement convaincante : elle souligne l'épuisement des grandes références discursives et symboliques, l'enracinement de la gauche institutionnelle dans un conservatisme électoral, une posture défensive qui sous couvert de justice sociale laisse des pans entiers de la société sans place, ni perspective. Si l'on ne peut ici que saluer le caractère novateur d'une telle lecture, et l'urgence en effet d'une révolution culturelle à gauche, il n'en reste pas moins que la Note de Terra nova souffre de deux défauts :

  • d'une part elle définit la distinction entre outsiders et insiders sur la base des « valeurs » adoptées ; elle reste ainsi à une description sociologique statique alors que cette distinction est forte d'implications sur le terrain de la dynamique économique (totalement négligée par la Note).

  • D'autre part, elle réintroduit un clivage entre insiders/outsiders qui ressemble fort à l'ancienne lutte des classes. Certes, de nombreuses critiques adressées à Terra nova sont excessives et relèvent du procès d'intention : il ne s'agit pas se débarrasser des classes populaires mais de se décentrer, de faire de catégories nouvelles le centre radioactif d'une recomposition électorale et la base des alliances à venir. Ceci dit, il y a sous la plume des auteurs de Terra Nova comme un l'aveu d'un soupçon qui pèse sur les classes populaires et leur conservatisme définitif. Isou a, de son côté, toujours placé son Soulèvement de la jeunesse sous le signe de l'union entre jeunes, producteurs et créateurs. L'Appel récent du 21 avril, les propositions du plus jeune candidat déclaré à la présidentielle Maxime Verner ne vont pourtant pas dans le sens d'une lutte à mort entre conservateurs et réformistes, groupes d'intérêts divergents, mais bien plutôt dans celui, authentiquement progressiste, d'un Nouveau Contrat Social entre insiders et outsiders :

    « Un pacte : nous ne donnons pas à notre démarche une dimension guerrière. C’est absolument le contraire. Nous appelons à un nouveau pacte entre les générations Nous estimons qu’elles ne ressentent pas assez à quel point leurs intérêts sont liés. Générationnel(s) : la question d'un nouveau pacte entre les générations est pour nous la question centrale, puisque la diffusion de ce message d'une nouvelle solidarité et la transformation réelle opérée notamment au sommet des institutions, sont seules capables de remettre la société en mouvement. Nous parlons aujourd'hui d'une alliance, objective et au profit de tous, entre les jeunes actifs et la génération du baby-boom pour trouver le compromis nécessaire à la définition de ce nouveau pacte générationnel. Cette question est aujourd'hui existentielle. En effet, d'une part, les jeunes générations sont de plus en plus déclassées économiquement, culturellement, politiquement, et socialement en France. D’autre part, jamais l'extraordinaire allongement de la durée de vie nous a autant interrogés collectivement. »

    ( http://appeldu21avril.org/media/le-pacte-generationnels-version-internet.pdf)


Les classes populaires méritent mieux en effet que les ficelles grossières du populisme qu'il vienne de la droite comme de la gauche.