lundi 3 décembre 2007

ARCHIVE DE L'HUMANITE

J'ai trouvé dans les archives du journal l'Humanité (du 02 août 2007) cette note de Murielle Steinmetz à l'occasion du décès d'Isou. Malgré quelques erreurs et inexactitudes, voilà une brève qui changeait des habituels liens entre lettrisme et situationnisme.


Isidore Isou : l’esprit de la lettre
Décès . L’inventeur du lettrisme s’est éteint à l’âge de quatre-vingt-deux ans.

Isidore Isou est mort samedi à Paris à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Il est l’inventeur du lettrisme, l’un des principaux mouvements d’avant-garde qui prit la suite du dadaïsme et du surréalisme dans les années cinquante.

Né le 29 janvier 1925 à Botosani, en Roumanie, Isidore Isou Goldstein, enfant surdoué (il lit Dostoïevski à treize ans, Karl Marx à quatorze ans, Proust à seize ans) a, en 1942, l’intuition de la poésie lettriste en parcourant ces mots de Keyserlin : « Le poète dilate les vocables. » Il arrive en France en 1946 et fonde immédiatement le mouvement littéraire lettriste. Dans la lignée des poètes futuristes et dadaïstes, il annonce la fin de la poésie des mots au profit d’une poésie des lettres et des signes où les sons et les onomatopées prennent le pas sur le sens habituel. Dans Bilan lettriste, il définit le lettrisme comme « un art qui accepte la matière des lettres réduites et devenues simplement elles-mêmes ». Parmi les ouvrages dans lesquels ce contestataire né théorise son mouvement, citons la Dictature lettriste (1946), Essai sur la définition et le bouleversement total de la prose et du roman (1950). Par-delà la poésie, le lettrisme entend aussi s’opposer au mode de vie prôné par le capitalisme. Isidore Isou vante le potentiel révolutionnaire de la jeunesse comme base de changement de l’économie. Il appelle à la subversion des normes édictées par les moeurs bourgeoises, et milite pour la libération des puissances du langage. Guy Debord, l’un des futurs fondateurs de l’Internationale situationniste, sera longtemps parmi ses proches avant la brouille qui aura lieu sur le tard. Isou a écrit sur des domaines aussi variés que la philosophie, la physique, les mathématiques. Il est le créateur de pièces de théâtre et de films expérimentaux. On lui doit un très beau roman, Je vous apprendrai l’amour. Même si le mouvement lettriste s’est parfois perdu dans des formes particulièrement alambiquées, il n’en demeure pas moins à l’origine d’oeuvres audacieuses comme le Syncinéma, de Maurice Lemaître.

Muriel Steinmetz

jeudi 29 novembre 2007

INSURRECTIONS, VIOLENCES URBAINES, EMEUTES

La multiplicité des appellations utilisées pour nommer les évènements survenus à Villiers-Le-Bel ces derniers jours masquent bien le désarroi, l'impuissance, les illusions des commentateurs qui ressassent à chaque poussée de fièvre urbaine les mêmes lieux-communs à gauche comme à droite : chez les uns la violence résulterait d'une misère économique prolongée sans espoir de sortie et doit être déchiffrée comme une contestation sociale, la révolte d'un sous-prolétariat urbain dont les actions, hors de tout mot d'ordre précis, n'en relèvent pas moins du politique ; pour les autres, la violence serait le fait d'une minorité radicale profitant de toutes les occasions pour marquer son territoire et continuer à faire prospérer ses affaires et à assurer sa main-mise sur les quartiers... Les uns comme les autres touchent un aspect de la vérité (l'opposition gauche/droite au regard de la complexité du phénomène est là encore sans pertinence) : le recul du plein emploi, l'échec scolaire grandissant dans les catégories les plus exposées aux effets d'une économie en totale restructuration qui laisse loin derrière nous les espoirs qu'avaient nourri pour tous les Trente glorieuses, la concentration des populations aux prises aux plus grandes difficultés dans les mêmes quartiers participent sans nul doute à la destruction du lien social et à ses conséquences violentes redoutées.
Le chômage de masse maintient désormais une population de plus en plus nombreuse sous la perfusion de l'assistanat : aussi, là où l'économie réelle fait défaut, une économie souterraine, fondée sur l'illégalité, s'installe et participe à l'emploi des désœuvrés qui veulent à tout prix sortir de la survie assistée. Le lumpenprolétarait joue en ce sens un rôle en tant qu'acteur économique, et possède les modalités brutales d'action indispensable pour garantir la viabilité de ses affaires. S'il est légitime que l'état assure l'ordre et la sécurité des biens et des personnes, il ne peut s'arrêter au seul traitement judiciaire de ces phénomènes devenus récurrents. Mais encore faut-il les comprendre...
A l'autre bout du "descenseur social" se tiennent les étudiants, gagnants de la méritocratie scolaire et de ses nombreuses sélections, mais eux aussi s'agitent et s'inquiètent de constater combien des diplômes parfois difficilement arrachés (redoublement) n'offrent aucune garantie quant à leur placement dans une société de plus en plus inégalitaire. Les spécialistes des questions sociales ne sont pourtant pas avares d'explications et au final si ces explications ne permettent pas de comprendre la société dans ses fractures et ses tensions et surtout d'agir, quelle peut-être leur légitimité si ce n'est de brouiller toujours plus une urgence économique que l'on dissimule sous les vrais-faux débats relatifs au racisme, aux discriminations, à l'intégration républicaine face au multiculturalisme et au profit de qui... Entre les thèses sécuritaires et le lobby culturaliste défendu par les amis de la gauche de la gauche, il faut affirmer et défendre un espace intellectuel où puisse encore se penser la racine matricielle de la société dans sa modernité : l'économie politique comme projet de transformation de la société et voie d'émancipation individuelle.
Les pouvoirs publics semblent dépassés et pourtant les plans d'urgence n'ont cessé de se succéder sans aboutir aux résultats espérés. Tous les intervenants et décideurs s'accordent pour noter le taux anormalement élevé de chomâge dans ces quartiers en difficultés, très peu de solutions sont proposées si ce ne sont les éternels moyens financiers supplémentaires dont les effets se font toujours attendre. On préfère disserter à perpétuité sur "l'intégration", le "vivre ensemble", les questions ethniques et culturelles (Aux test ADN des uns répondent les statiques ethniques des autres), mais d'intelligence économique, il n'est guère question comme si cette dimension représentait un simple appendice négligeable alors qu'elle est le coeur sismique d'un contrat social proche de la banqueroute et de tous les effondrements sociaux qui ne manqueront pas de se produire.
La territorialisation est maintenant revendiquée par les habitants de ces quartiers dans une posture d'appartenance alors qu'elle était dénoncée il y a encore peu (le terme ghetto est tantôt positif tantôt négatif selon le contexte comme le souligne Loïc Wacquant dans son précieux ouvrage Parias urbains, ghetto, banlieue, état, La Différence, 2007), c'est bien parce que cette reconnaissance économique de l'individu est devenue presque impossible pour une partie importante d'entre eux qu'ils cherchent dans la communauté restreinte (le quartier) et ses codes le lien social et la reconnaissance qu'ils ne trouvent plus ailleurs (comme salarié et citoyen). L'accès de tous a une activité économique où chacun voit ses mérites, talents et compétences reconnus pour le plus grand bénéfice de l'ensemble de la collectivité, reste le plus grand défi que tout gouvernement se doit de relever avec des obligations de résultat ! Les jeunes en difficultés en se contenteront pas toujours des pis-allers culturalistes et exotiques qu'on leur accorde (être reconnu comme "minorité") même s'ils peuvent permettre de manière ponctuelle de franchir quelques barrières, ils aspirent surtout à être reconnus comme individus et sujets, à participer à la société contractuellement sur la base de ce qu'ils sont singulièrement et non du groupe qu'ils sont supposés représenter. Le problème de cette jeunesse reste un problème économique.
Toutes les solutions préconisées s'appuient sur des postulats inspirés des doctrines libérales ("libérer" l'initiative économique en allégeant les charges, en diminuant la TVA, en proposant des contrats simplifiés à l'avantage des employeurs de type CNE, CPE) ou sur des postulats étatistes (intervention massive de l'état dans la création d'emplois aidés du type emplois-jeune), toutes ont trouvé leurs limites et condamnent le pays à une logique de guerre civile en raison même de leur faillite désespérante. Faute de solutions durables, le pays se condamne à osciller entre le tout-répressif, la perfusion des ressources allouées par l'État pour maintenir tout le monde à minimum de niveau de survie, et le repli grégaire toujours plus marqué des individus sur des communautés restreintes d'appartenance. Exit la société d'abondance, bonjour la société de pénurie et d'indigence !
Tout a été essayé ? Non, à commencer par l'école qui jusqu'à présent n'a bénéficié que de moyens financiers supplémentaires sans s'interroger sur les réformes qui sont à mener sur l'organisation même de l'école (ses missions, ses méthodes, ses contenus). Qu'il s'agisse du Collège unique ou de l'Université les mouvements actuels témoignent d'une crise profonde d'un système qui mènent une partie des jeunes vers des voies sans issue ni perspectives ; il ne s'agit pas de faire table rase d'une organisation là où elle fonctionne mais de partir de ses dysfonctionnements pour en comprendre les failles et les limites et ainsi le réformer au bénéfice de tous. N'en déplaise à ceux qui considèrent ce système éducatif comme l'un des meilleurs, il se paie d'un gâchis énorme que constituent tous les jeunes qui en sortent sans diplôme ni qualification ; les enfants des classes populaires ne peuvent se payer le luxe de l'échec et du redoublement dans le supérieur tout simplement parce que leurs familles n'ont pas les moyens de prolonger indéfiniment les études... surtout quand elles ne mènent pas à la place espérée. La première des responsabilités de l'Education Nationale devrait donc être d'accompagner les élèves dans la réussite et non dans l'échec, de comprendre là où son propre fonctionnement opératoire peut créer des conditions favorables au succès et là où il installe les malchanceux dans des logiques d'échec. Par ailleurs, la qualification par le diplôme doit être pensée dans son prolongement professionnel : quelles études pour quel emploi ? En refusant d'articuler économie et études supérieures, on se condamne à de douloureux lendemains qui déchantent : savoirs obsolètes, filières sans débouchés....
En définitive, les solutions libérales et étatistes tendent soit à réformer au profit des employeurs et actionnaires qui voient là autant d'occasion de relancer l'initiative économique (sans souci du coût social), soit à bloquer la dynamique économique indispensable pour garantir un plein emploi approximatif par des contraintes législatives, des emplois statutaires : tandis que les uns défilent pour leurs "acquis sociaux" les autres n'ont d'autre horizon que le marché et des contraintes. Il faut ici saluer Bernard Thibault de la CGT qui lors des grèves de novembre a choisi la voie d'un réformisme assumé sans renoncer au rapport de force et a privilégié moins des revendications catégorielles (la situation des salariés installés) que l'urgence de renouer avec un salariat du privé complètement livré à l'arbitraire du marché. De son côté Nicolas Sarkozy fait le chemin inverse en proposant de "travailler plus" pour améliorer le pouvoir d'achat à ceux qui sont déjà salariés (internes) quand c'est le non-emploi d'une partie de la population (les externes) qui est devenu insupportable et quand c'est la création/production de richesse, l'émergence de nouveaux secteurs porteurs d'emplois qu'il faut avant tout encourager. Sur ce chemin, l'université enfin réformée aurait sans doute un rôle clef à jouer.
L'alternative est donc simple : ou continuer à ne penser la politique économique qu'à travers le marché et ses acteurs institutionnels existants (l'Etat, le patronat, les actionnaires, les syndicats), avec les débats habituels et leurs fausses solutions (plus ou moins de marché/plus ou moins d'état) ou prendre comme élément central du jeu les externes, et au premier plan parmi eux les jeunes, en ouvrant davantage le marché institué à ces nouveaux acteurs, pour mener de concert réforme économique (des crédits de lancement plutôt que les minima sociaux !), sociale (la sécurisation des parcours professionnels proposée par la CGT s'avère ici une piste prometteuse) et réforme du système éducatif.

jeudi 22 novembre 2007

LA JEUNESSE TRAHIE PAR SES CHEFS !

Le mouvement de contestation étudiante actuelle contrairement à ce qu'une approche superficielle pourrait suggérer ne s'inscrit pas dans le prolongement attendu et naturel des grandes manifestations anti-CPE même si l'un et l'autre obéissent aux mêmes ressorts : la frustration des étudiants, l'absence de perspectives futures, l'absurdité d'études et de diplômes qui ne mènent pas aux places espérées mais à la précarité et à des emplois sans rapport aucun avec la qualification obtenue. Les déclarations belliqueuses de l'UNEF, la surenchères des étudiants les plus radicaux, le folklore gauchiste, la récupération politique dans des mots d'ordre confus (contre la droite, Sarkozy, un "libéralisme" rampant et menaçant), les méthodes autoritaires d'un autre temps justifiées pour l'occasion (non à la démocratie quand elle donne raison aux étudiants opposés au blocage des campus) ne doivent pas empêcher de saisir la dynamique d'un mouvement qui par une ruse paradoxale de la raison en vient à défendre le statu quo, le maintien et le renforcement de l'université actuelle alors que c'est bien la situation actuelle qui condamne à la survie et au déclassement les étudiants légitimement inquiets. Mouvement conservateur donc... qui se nourrit de l'insatisfaction des étudiants pour demander le maintien à tout prix de la situation existante aux détriments des étudiants eux-mêmes !
Aussi était-il surprenant de lire, dans une rhétorique inspirée de la lutte des classes dans sa version année 30 , des appels à la solidarité entre les cheminots et les étudiants afin de "lutter ensemble" et de mettre en échec les "réformes" du gouvernement. Les cheminots (internes) restent mobilisés pour la défense d'acquis relatifs à leur sortie du monde du travail (la retraite) tandis que les étudiants (externes) restent au seuil d'un salariat qui les inquiète mais auquel ils souhaitent pleinement participer (exit les vieilleries gauchistes et sous-situationnistes "d'abolition du travail salarié aliénant et de la société spectaculaire et marchande"). Ce qui se lit derrière cette vague d'opposition parfois irrationnelle que les mots d'ordre de ses leaders peinent à restituer, voire déforment ou récupèrent pour faire avancer leurs propres combats, c'est le désespoir d'une jeunesse dépossédée d'avenir qui anticipe une arrivée sur le monde du travail dans des conditions dégradées alors que leurs études devraient représenter une voie d'excellence pour la réussite de chacun et la richesse même d'un dynamisme économique retrouvé. D'où ce paradoxe : pour résoudre les problèmes de l'université actuelle (filières qui ne mènent nulle part, échecs nombreux sans parler du contenu des enseignements et des méthodes), on ne se propose que de la renforcer et la maintenir à tout prix en l'état, tout en demandant une Réforme improbable dont tous (étudiants, syndicats, enseignants) soulignent l'urgence.
Plutôt que de luttes des classes faudrait-il ici parler de lutte des déclassés : entre les déclassés du système universitaire et les "réussites" des classes préparatoires, des grandes écoles et des filières pourvues de débouchés dont les étudiants généralement ne manifestent pas, entre les déclassés présents qui fourniront le gros des déclassés sociaux futurs et les "gagnants" qui pourront négocier leurs savoirs, leurs compétences et leur intelligence dans les meilleures conditions et obtenir la place espérée quand d'autres devront se contenter d'un placement au rabais. Luc Cédelle dans un article du Monde du 22/10 saisit remarquablement ce mouvement contradictoire des étudiants ; commentant les accusations à charge formulées contre la Loi Précresse (pourtant négociée avec les organisations syndicales étudiantes), il rappelle que "même l'affirmation de la mission d'insertion professionnelle de l'université et l'encouragement à développer des formations dites "professionnalisantes" sont présentés comme des abominations. "La professionnalisation est au contraire le plus court chemin vers la déqualification et la précarité", assène le texte adopté par la "coordination nationale" qui s'est tenue les 17 et 18 novembre à Tours".
Externes par rapport au salariat organisé et à ses nécessités, les étudiants n'ont pour interpeler la société sur l'avenir qu'elle leur prépare (ou que justement elle ne leur prépare pas !) qu'une contestation de leurs conditions qui va grandissante, et ce dans la plus totale confusion. Le gouvernement autant que l'opposition seraient bien avisés de prêter attention à cette rumeur qui gronde dans la mesure où elle anticipe l'état dégradé dans lequel les nouvelles générations arriveront au salariat... et pour quelle place ! Cela permettrait ainsi que les questions de fond relatives aux problèmes qui minent l'université française soient posées, hors de toute récupération politique ; malgré les éructations des organisations étudiantes, ni Sarkozy, ni le "capitalisme mondialisé", ni la droite pas plus que la gauche, ne sont la source première de leurs problèmes, ce sont là autant d'os à ronger livrés à l'inquiétude et au ressentiment des étudiants (et à sa créativité détournée) sur lesquels les plus politisés espèrent construire leur légitimité et faire avancer leurs combats (qui ne sont pas nécessairement les combats et les urgences des étudiants !) ; plus grave ce sont autant de contre-feux allumés pour éviter de poser un diagnostic éclairé sur l'état du système universitaire, ses faillites et ses réussites, et poser les questions essentielles : quelles études ? Pour faire Quoi ? Comment mieux articuler les relations entre le savoir universitaire et l'économie de la connaissance dans laquelle nous sommes désormais ? Quelles sont les raisons du fort taux d'échec en premier cycle universitaire ? Comment faire pour que l'université devienne une voix d'excellence, jouant pleinement le rôle d'ascenseur social ouvert à tous, n'ayant rien à envier aux grandes écoles ?... A y réfléchir sérieusement l'autonomie des universités représenterait moins un problème qu'un début de solution.

jeudi 15 novembre 2007

Voies et détours de la reconnaissance : Isidore Isou et Amanda Sthers !

Voici contre toute attente une peinture d'Isou et sa propriétaire (romancière et femme de Patrick Bruel, ce dernier étant peu au fait de la poésie lettriste !). Ceux qui ont vu l'exposition organisée au Centre Culturel de Roumanie auront reconnu la série d'où est extrait ce tableau. Cette rencontre d'un dé à coudre et d'un parapluie dans les chroniques mondaines du Figaro me laisse perplexe et me ravit : Madame Sthers explique a minima ("une manière de peindre en trois couleurs avec des alphabets de cultures différentes") ce tableau hypergraphique bien mieux que tous nos critiques officiels qui n'y entendent rien à la peinture lettriste noyée dans le "signe" et "l'informel" quand ils daignent bien en parler. Les dès pipés de l'art officiel jamais n'aboliront quelques heureux hasards !

jeudi 8 novembre 2007

RETOUR SUR L'ACTION AU CIPM


Symphonie n°4 : Juvenal, 2001 - (page 54 de la partition)

La manifestation organisée au Centre International de Poésie de Marseille Introduction à un nouveau poéte et à un nouveau musicien constitue la première grande rétrospective consacrée à une oeuvre poético-musicale violemment exemplaire dans ses prétentions et ses sommets mais encore dispersée dans de nombreuses revues et publications. Cette dispersion même contribuait sans doute à masquer la cohérence et la continuité dans le temps d'une production qui du premier poème Rituel somptueux pour la sélection des espèces publié sous pseudonyme dans le revue Fontaine (1947) à Juvénal (enregistrée et mise en voix par Frédéric Acquaviva) ou à la pénultième Symphonie n°5 en marque l'importance qualitative au sein même du travail pluridisciplinaire d'Isou. Voilà qui surprendra ceux qui encore trop nombreux ne voient dans le lettrisme qu'un primitivisme phonétique et en Isou un théoricien impénitent... sans oeuvre réelle ! Comme Breton et Tzara qu'il a en son temps défendus comme poètes dans son Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique alors qu'ils étaient reconnus essentiellement comme des théoriciens et des chefs de groupe, Isou tend lui aussi a disparaitre comme artiste et poète sous la masse des écrits théoriques et polémiques qu'il a publiés et qui lui valent une reconnaissance encore bien modeste. Les oeuvres vives sont là pourtant...
Je recommande la visite de leur site Internet (http://www.cipmarseille.com/) et bien sûr la lecture du numéro 163 des Cahiers du refuge réalisé sous la direction de Frédéric Acquaviva qui fourmille de prolongements susceptibles de faire chavirer bien des certitudes. On se reportera à titre d'exemple à la bibliographie établie à cette occasion et qui à elle seule s'inscrit moins dans l'hommage légitime et attendu que dans le souci de faire oeuvre de connaissance en présentant une documentation rigoureuse. Pour l'occasion, les lettristes Gérard Broutin, Jean-Pierre Gillard et François Poyet étaient présents, le blog du lettrisme donne la teneur de l'évènement :
http://www.leblogdejimpalette.typepad.com/

M. Lemaître, I. Isou et J. Spacagna









jeudi 11 octobre 2007

DEGUEULASSE DIT-ELLE...

Nombre de députés à droite se sont émus, voire sentis insultés, par la récente sortie de Fadela Amara qui qualifiait de "dégueulasse" l'instrumentalisation de l'immigration par la droite parlementaire. Elle est en effet membre d'un gouvernement qui a fait de l'ouverture à gauche sa dynamique et visiblement cela ne va pas sans heurter le conformisme de la vie politique. Les raisons de cette ouverture ne sont pas sans arrière-pensées tactiques de la part de Nicolas Sarkozy qui en stratége éclairé veut priver la gauche de certains de ses meilleurs éléments en donnant à ceux-ci les moyens concrets d'agir pour transformer la société, et ce afin de liquider le PS pour longtemps. A gauche , où le projet de loi sur l'immigration avec cette régression du politique au biologique que constituent les tests ADN a suscité une franche hostilité, nombreux sont ceux qui s'étonnent de voir Fadela Amara autant que Martin Hirsh rester au gouvernement malgré les vives critiques qu'ils ont formulées à l'encontre de ce projet de loi. Ce qu'il manque à tous ces messieurs c'est le sens de L'EXTERNITE ! Les clivages d'hier n'ont plus de pertinence aujourd'hui, les postures identitaires et les solidarités politiques supposées acquises (les membres du gouvernement doivent soutenir l'action des députés de la majorité !) se trouvent bousculés par des externes, des électrons libres pour qui l'appartenance à telle ou telle organisation politique ne saurait se substituer à la nécessité de faire avancer un certain nombre de chantiers et d'idées. Opportunisme ? pragmatisme ? Laissons donc ce moralisme aux gardiens du dogme et à leur sectarisme ! Cela fait des années que Fadhella Amara milite dans les quartiers et qu'elle porte les couleurs du Parti socialiste ... Ceux qui critiquent au PS son choix d'entrer au gouvernement oublient un peu vite, derrière leur morgue identitaire, que le PS n'a sans doute pas sufffisamment fait une place et un avenir à toute une jeunesse issue des quartiers que l'on nomme par euphémisme "difficiles". C'est donc seuls et selon des stratégies bricolées mêlant survie et désir de reconnaissance que les uns et les autres ont évolué, saisissant toutes les opportunités (qu'elles viennent de la droite ou de la gauche) susceptibles de les sortir de leur inexistence. Pour résoudre sa problématique individuelle (jeune femme issue de l'immigration et habitant un quartier difficile), elle a décidé de résoudre une problématique collective (d'où son travail remarquable de militante associative) ; qui à gauche pourrait contester cette heureuse dialectique de l'individuel et du collectif aux antipodes de l'égoïsme autosuffisant prôné par les libéraux ? Que les marges de manoeuvre soient faibles, que Nicolas Sarkozy instrumentalise ce principe d'ouverture, non sans cynisme, pour mener une politique réellement à droite, que "l'immigration choisie ou subie" serve de contre-feux, comme les régimes spéciaux, pour cacher une croissance en berne, les cadeaux fiscaux accordés aux plus aisés... Tout cela est vrai, il n'empêche que la vraie rupture dans une vie politique française bien réglée vient de ces membres du gouvernement, décentrés, qui refusent la logique du TOUT ou RIEN et qui, dépositaires en cela d'une éthique nucléaire, expriment désaccord et critique tout en continuant à travailler et à agir là où un accord reste possible. A méditer !

mardi 2 octobre 2007

NEWS LETTRISME ET CIE !

octobre 2007, 16h

“De Henri à Chopin, le dernier Pape”
film de Frédéric Acquaviva & Maria Faustino
présentation d’un extrait en présence des auteurs et de Henri Chopin et Jacques Donguy
Act’Oral#6, Montevidéo, 3 impasse Montévidéo 13006 Marseille

+ Edition du Cahiers du Refuge n°162 : “Henri Chopin”, coordonné par Frédéric Acquaviva et Jacques Donguy

26 octobre 2007, 18h30
Exposition “Isidore Isou, introduction à un nouveau poète et un nouveau musicien”,
26 octobre au 19 janvier 2007
Commissariat Frédéric Acquaviva
Vernissage en présence des lettristes Broutin, Jean-Pierre Gillard et François Poyet
CIPM, 2, rue de la Vieille Charité, 13002 Marseille

+ Edition du Cahiers du Refuge n°163 : “Isidore Isou”, coordonné par Frédéric Acquaviva

27 octobre 2007, de 14h à 17h
Diffusion de l’intégralité des symphonies de Isidore Isou réalisées ou orchestrées par Frédéric Acquaviva avec la voix de Isidore Isou et choeures letristes :
“Symphonie n° 1 : La Guerre” (1947), “Symphonie n° 3 : Quartier Latin” (1999), “Symphonie n°4 : Juvenal”(2001-2003) et l’inédite “Symphonie n° 5” (2006, création mondiale)
Avec le concours de l’acousmonium du GMEM
Chapelle de la Vieille Charité, 2, rue de la Vieille Charité, 13002 Marseille

jeudi 27 septembre 2007

POUR EN FINIR AVEC LA CONSPIRATION DU SILENCE : RETOUR D'EXPOSITION

Dans le quasi silence institutionnel, l'exposition organisée par l'institut culturel roumain de Paris et François Poyet fait date et évènement... ne cachons notre plaisir, c'est là l'occasion de prendre acte in situ du travail artistique d'Isou et c'est aussi l'opportunité précieuse de voir un grand nombre de ses toiles (29 !) réunies en un seul lieu. Les oeuvres exposées témoignent de la richesse des directions explorées par l'artiste, capable tout à la fois de réalisations denses, saturées de signes (je pense notamment à la série des Résaux violents de 1975 mais aussi aux 9 toiles qui composent l'ensemble Géographie de 1972) autant que de créations minimales, épurées (la série Polythanasie atomique, de 1974). Cette dernière reproduit la même suite de lettres avec à chaque toile une lettre différente biffée, ce qui rend la toile unique mais en même temps l'inscrit dans une continuité d'ensemble (une destruction lettre par lettre d'un motif lettriste initial qui gagne ainsi à être lu pour chacune des toiles). Frédéric Acquaviva dans le texte d'introduction au catalogue fait remarquer que ce jeu de différence et de répétition reprend dans le cadre de la peinture lettriste la problématique traitée par Monet de manière impressionniste dans sa série de toiles consacrée à la Cathédrale de Rouen ; on peut aussi évoquer de manière plus anecdotique les portraits répétés (avec variation de couleurs) de Warhol dans une perspective néodadaïste. On en saisit d'autant mieux l'irréductible singularité du lettrisme, de ses apports et de ses contributions. Ce qui ressort de fait de manière manifeste, c'est sans doute chez Isou l'importance de créer en adoptant le format de la série plutôt que de s'attacher à des oeuvres ponctuelles mais aussi le travail encore à faire (démesuré !) pour en rassembler toutes les pièces afin de les rendre à leur vérité. L'exposition présente par ailleurs un autre intérêt, sans doute davantage éthique, qui éclaire un aspect non négligeable de la vie du mouvement lettriste ; François Poyet est un artiste pluridisciplinaire, présent et actif dans le groupe lettriste depuis 1966, ce n'est donc pas en tant que Curator, historien ou scientifique qu'il a initié cette manifestation mais sur la base de sa collection personnelle, porteuse d'une histoire, d'un dialogue créatif entre artistes, d'un échange continu dans le temps entre les oeuvres qu'il possède et celles que lui-même a créées ; cette manifestation se présente in fine comme le témoignage vivant de cette permanence dans la création qu'Isou a cherchée toujours et tout le temps à susciter chez ses contemporains.
INSTITUT CULTUREL ROUMAIN DE PARIS : 1 rue de l'exposition 75007 PARIS ; la visite de l'exposition est hautement recommandée autant que la lecture du catalogue !

mardi 11 septembre 2007

ISIDORE ISOU A L'INSTITUT CULTUREL ROUMAIN DE PARIS

A l'initiative de François Poyet se tiendra du 13 septembre au 11 octobre une exposition, consacrée à Isou à l'Institut culturel Roumain (1 rue de l’exposition 75007 Paris), du 13 septembre au 11 octobre 2007. Le vernissage aura lieu le jeudi 13 septembre à partir de 20 heures.

Adresse du site de l’institut culturel roumain

http://www.icr.ro/filiale/index.php?cod_filiala=10

Les Cahiers saluent cette manifestation et feront un compte rendu de ce petit évènement qui rompt provisoirement le silence des institutions à l'égard du fondateur de l'avant-garde lettriste.

lundi 10 septembre 2007

CE(UX) QUI RESTE(NT)

Jean-François Bizot est mort : avec lui c'est un peu du gauchisme culturel qui s'en va (mais au fait qu'en restait-il vraiment ?), Actuel, Nova... c'est aussi l'infatigable défricheur de tous les underground qui s'est trouvé dépassé par le TOUT FESTIF dont il était devenu, au fil des années, à son coeur défendant le promoteur. Nous n'oublions pas que la revue Nova sur sa fin se trouvait suffisamment inspirée pour consacrer une petite place aux avant-gardistes, lettristes notamment. L'interview d'Isou par Bizot reste un grand moment de non compréhension réciproque où chacun des protagonistes parle sans doute d'un lieu inconnu de son interlocuteur... Si d'aventure quelqu'un pouvait la mettre en ligne... Je regarde derrière moi les étagères où s'accumulent dans le plus grand désordre les livres une fois lus : je relis les titres pour mieux les situer, le nom de leurs auteurs : Foucault, Derrida, le freudo-marxisme, la gauche prolétarienne, Deleuze, Tel Quel, Althusser... Que reste-t-il fatalement de tout cela qui en son temps FAISAIT ACTUALITE de manière indépassable ? Si peu, une nuance et un style pour les meilleurs ( Deleuze, vrai disciple de Nietzsche dont il renouvèle la lecture), un concept, une idée qui aujourd'hui encore fait sens, mais que dire des autres, de tous les autres qui appliquaient avec talent, sans une once d'originalité, la doxa du moment (structuraliste, prosituationniste, maoïste...) avant d'en changer, avec la même absence d'originalité, pour continuer à exister. Et je tombe sur les livres d'Isou et là, je suis quand même pris d'un sérieux vertige : ce n'est pas un mot ou une expression qui me vient en tête (comme la déconstruction chez Derrida ou l'habitus chez Bourdieu) mais une liste impressionnante de concepts tous justifiés en actes par des livres et des oeuvres : économie nucléaire, Hypergraphie, art infinitésimal, cadre supertemporel, excoordisme... formules et pratiques qui sans doute n'ont jamais FAIT ACTUALITE, au sens festif et récréatif du terme et pourtant elle continuent à jouer du côté de l'HISTOIRE et d'un PRINCIPE DE PLAISIR CREATIF trop souvent sous-estimé...

jeudi 2 août 2007

SALUT A ISIDORE ISOU

Le 28 juillet Isou s'est éteint à son domicile parisien ; il avait 82 ans. Les Cahiers saluent l'homme, le créateur, l'artiste, sa force d'invention et ses contributions majeures dans de nombreuses disciplines culturelles et artistiques.

dimanche 1 juillet 2007

ISIDORE ISOU CITE PAR PHILIPPE LEMOINE

Philippe Lemoine était l'invité de Dominique Souchier sur Europe 1 hier matin pour parler de son livre La nouvelle origine (Editions nouveaux débats publics). J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'un nouvel Attali ou d'un nouveau Minc, gourous/penseurs, liés au monde de l'entreprise et du managment, qui décryptent et anticipent les grandes mutations de la société, et mettent ce gai savoir (souvent inexact dans le cas du pauvre prédicateur Minc) au service du politique et/ou des tenants d'une économie en quête perpétuelle de nouveaux marchés. Evoquant le vieillissement de la population dans nos sociétés occidentales tandis que la jeunesse au niveau mondial représente plus de la moitié de la popualtion, Philippe Lemoine cite sur le sujet, comme une autorité, un nom dont on peut dire qu'il n'est pas usuel de l'entendre mentionné sur les grandes ondes : Isidore Isou. Par ailleurs, l'homme en appelle à une mise en commun des apports de l'avant-garde artistique, des entrepreneurs, des acteurs économiques, de la société civile... tout cela évoquant curieusement, quoi que de manière lointaine quelques points argumentés dans le cadre de l'économie nucléaire d'Isou. Enfin, l'idée même d'une avant-garde, au contraire des postmodernes, lui apparaît plus que jamais d'actualité, pertinente et porteuse de sens..., voilà qui nous change heureusement de la misère sous-marxistes des néo-situationnistes autant que des apôtres du tout marché présenté comme le meilleur des mondes possibles ! Intrigué, j'ai fait quelques recherches sur ce monsieur, j'invite d'ailleurs les internautes à consulter sur le site http://lanouvelleorigine.com/blog/ les "40 tableaux pour une nouvelle origine" qui par certains aspects peuvent apparaître comme une réponse provisoire, sans doute encore insuffisante, à la Créatique d'Isidore Isou, dont ils valident et actent la ligne intellectuelle.
J'ignore jusqu'où va sa connaissance en ce domaine (d'ailleurs, une rapide comparasion entre ces 40 tableaux et la Carte de la culture élaborée par Isou, permet de saisir ce qui sépare les deux auteurs) mais cela m'a convaincu de faire de sa nouvelle origine une lecture estivale appropriée. Pour le reste, s'il y a un bien un nouveau paradigme de la modernité qui a été proposé, et ce à partir d'une nouvelle origine (Ur ?), c'est sans nul doute dans les pages de la Créatique et de la Carte de la Culture qu'il s'est trouvé le plus puissamment exposé et défendu. Affaire à suivre, donc....

mercredi 20 juin 2007

LE CADAVRE BOUGE ENCORE ?

Sans doute ceux qui décyptent les stratégies et les jeux de guerre qui font de la politique la plus durable des passions de nos démocraties, malgré tout, en fonction d'une fidélité exemplaire à des convictions ont-ils été quelque peu déboussolés par le remarquable travail de sape de Nicolas Sarkozy. En ouvrant son gouvernement à des personnalités de "gauche", (mais qu'est-ce qu'un Besson ou un Kouchner ont encore de "gauche"?) à la société dans sa diversité (Fadela Amara, Rachida Dathi, Rama Yade), aux femmes... Il réussit à ringardiser, un peu comme l'avait fait Tony Blair en son temps, une opposition privée, dépossédée de ses appuis, avec un risque pour celle-ci de marginalisation puisque ce mouvement s'il devait se trouver couronné de quelques succès reconstruirait immanqablement la vie politique française autour de Nicolas Sarkozy. Il n'y aurait donc plus ni gauche, ni droite mais une gauche sarkozienne et une droite sarkozienne. Ce tour de force a déjà connu ses premiers succès lors de l'élection présidentielle où le candidat UMP a littéralement mis hors course un Front national qui n'avait cessé depusi 15 ans de voir ses résultats électoraux augmenter. Ce recul du Front National n'a rien de conjoncturel comme l'a montré son échec aux législatives. François Bayrou qui cherchait à construire une troisième voie "ni gauche, ni droite" en appellant des hommes et des femmes de toutes les sensibilités politiques à travailler ensemble pour le bien commun, se trouve dépossédé de son idée fondatrice. La gauche socialiste, embourbée dans des réglements de compte internes, sans logiciel, ni ligne directrice, incapable d'avancer vers sa nécessaire refondation, ne peut qu'assiter , impuissante, à la constitution d'un gouvernement placé sous le signe d'une modernité pour laquelle elle a toujours oeuvré même si les cosnidérations tactiques des uns ou des autres ont souvent nui à sa pleine manifestation. Au delà des clivages les plus apparents (gauche/droite), se situe une ligne de fracture qui peut dans une certaine mesure expliquer ses ralliements surprenants pour certains (Fadela Amara appellait à voter Oui au Traité constitutionnel européen mais elle a soutenu Laurent Fabius aux Primaires socialistes...). Le Parti Socialiste est moins que jamais un parti de militants, c'est avant-tout un appareil en grande partie vérouillé par sa bureaucratie, son histoire et ses cadres mais sans lequel pourtant, comme Ségolène Royal en a fait la triste expérience, il est difficile de mener et de gagner une campagne. Si Ségolène Royal y a taillé quelques brêches portée par de nouveaux adhérents en situation d'externité, la parenthèse récréative est maintenant terminée et la politique au très mauvais sens du terme a désormais repris ses droits : il n'était qu'à voir la satisfaction relative affichée par certains ténors socialistes au soir des résultats des législatives pour prendre la mesure de ce fait ; alors que les socialistes continuent à perdre élection après élection, le score honorable de 200 sièges semblait avoir calmé les ardeurs réformistes ; plus personne ne semblait se scandaliser qu'un Bayrou qui a fait près de 18% aux Présidentielles ait autant de députés que les Verts (qui eux ont fait 1,9 %!), qu'il y ait encore 18 députés communistes (d'ailleurs il n'y a plus de communistes qu'à l'Assemblée !) alors que Marie George Buffet a obtenu 1,9 % des voix et que le candidat de la LCR Olvier Besancenot faisait 4,5 %, parti qui n'a pas un seul député à l'Asemblée ! Tout est rentré dans l'ordre... A ces cadres et ténors lénifiants il n'est pas venu à l'idée que pour transformer la société il faut d'abord gagner les élections, être en position majoritaire et que le rôle d'opposant perpétuel est une impasse. Faut-il donc ne compter que sur les fautes et erreurs tactiques de l'adversaire (la TVA sociale par exemple) pour escompter quelques succès électoraux ? Voilà des perspectives peu glorieuses et peu porteuses d'avenir...
Les externes, sans avenir réel dans une organisation qui ne sait pas encore leur laisser une place, des marges de manoeuvre pour qu'ils puissent déployer leurs talents et y inscrire leurs apports, au bénéfice de tous, n'ont d'autre alternative que de saisir toutes les opportunités et situations qui leur permettront de sortir d'une relative inexistence et d'accéder enfin très hégéliennement à leur reconnaissance. Cela, le Parti Socialiste, ne l'a pas compris comme il n'a compris ce qui réellement se jouait derrière la popularité de Ségolène Royal et la vague des nouveaux adhérents. Nicolas Sarkozy l'a très bien compris, lui, qui joue sur tous les tableaux : les externes "aboutis" contre les externes en échec dans les banlieues, les insiders (le travail et le pouvoir d'achat) contre les outsiders (relégués, déclassés, assistés qui constituent une charge pour la collectivité). Il témoigne sans doute d'une intelligence politique et d'un sens de la stratégie remarquable (voir les postes régaliens qu'il a accordés à ceux qui ne sont pourtant pas issus de l'UMP) mais cela suffira-t-il ? Les grandes réformes qui s'annoncent ne vont visiblement que renforcer les situations acquises quand elles sont confortables (diminution des impôts, bouclier fiscal, défiscalisation des heures supplémentaires, crédit d'impôt pour les emprunts immobiliers...), fragiliser la cohésion sociale, creuser les écarts (aux salairés la valeur symbolique positive du travail, aux capitalistes le produit économique de ce même travail, quel partage équitable de la richesse !), exacerber une classe d'externes que cette politique, de classe, ne pourra résoudre à grands renforts de libéralisme même tempéré. Quant à la gauche, plutôt que de décerner les bons et les mauvais points, de se laisser aller au moralisme et à la fidélité aux principes peut-être serait-il temps d'essayer de comprendre avec les bons outils ce qui est en train de se passer sous peine de rejoindre sous peu les poubelles de l'histoire.

vendredi 15 juin 2007

QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE III ? (REISSUE)

La théorie économique d'Isou se veut nucléaire, dans la mesure où elle s'appuie sur l'ensemble des individus décentrés par rapport au circuit économique et ses agents, l'entrepreneur capitaliste et la classe prolétaire. Si la perspective des partis de gauche, très fortement marqués par le marxisme, a longtemps été l'issue révolutionnaire des conflits et antagonismes de classe, le résultat recherché par l'économie nucléaire est plutôt d'éviter les dénouements révolutionnaires et leur issue malheureuse, bref d'apparaître, quitte à heurter l'héroïsme radical, comme un réformisme efficace capable de peser dans une transformation effective de la société. Refusant la planification communiste aussi bien que le marché et ses ressorts, les propositions d'Isou détonnent au sein d'une gauche qui souvent oublie que l'opposition entre droite et gauche tient moins à des valeurs sociétales (liberté des moeurs par exemple) qu'à des conceptions économiques. Proudhon, Marx, ou encore Fourrier s'inscrivent dans une tentative de réappropriation de la sphère économique pour en faire un moteur de l'émancipation et du développement comme autant d'alternatives au libéralisme de la bourgeoisie. Le marché et ses lois doivent être critiqués et dépassés parce qu'ils maintiennent le potentiel humain et technique (les fameuses forces productives) dans un état de sous-développement. C'est bien à l'aune de cette utopie que les doctrines classiques sont fustigées et "avalées" par Marx. Isou reprend en partie cette critique mais il ne manque pas de l'appliquer au marxisme qui a plutôt conduit au "socialisme de la misère" historiquement. La faiblesse de Marx est de n'avoir pas intégré l'élément créatif dans son analyse économique tandis que le marché n'obéit lui qu'à des logiques de courts termes et ne fait siennes les problématiques de développement (durable en particulier) que si elles permettent un retour pertinent sur investissement. A la prolifération des biens et des services voulue par un marketing généralisé correspond un sous-développement des forces productives et créatives, totalement parasitées par les impératifs de rentabilité immédiate. Par ailleurs, cette abondance marchande n'implique pas la satisfaction de l'ensemble des besoins, même les plus élémentaires, bien au contraire. Le marxisme s'il entend répondre à l'ensemble des besoins les enferme dans un mode de production qui est incapable de les satisfaire. L'aspiration à un mieux-vivre inscrite dans la modernité ne peut être tenue par une planification qui en méconnaît les tenants et les aboutissants, qui les réduit à quelques fonctions rudimentaires à mesure que pourtant elle libère et promet des "lendemains qui chantent". La réduction de l'existence à un travail répétitif et planifié, aussi aliénant que l'usine sous domination bourgeoise, l'absence de perspective de dépassement, définissent un degré d'externité qui à terme met en échec le socialisme "réel" et sa bureaucratie. Le communisme soviétique finit par démentir les deux projets qu'il était supposé porter : l'émancipation et le développement au profit de l'aliénation sous la férule d'une dictature bureaucratique et le sous-développement des forces productives et des moyens de production. Bien sûr comme le rappelle Maximilien rubel Marx lui-même jugeait la Russie trop arrièrée, en raison du poid de la paysannerie, pour permettre une révolution de type socialiste, il regardait davantage l'Angleterre ou l'Allemagne comme des pays porteurs et décisifs quant à l'avenir du socialisme... Ces deux pays ont en définitive inventé la sociale-démocratie pour l'un et le Welfare state pour l'autre (le fameux état "providence"), très loin donc de la dictature du prolétariat attendue. Ni le libéralisme que les externes de gauche ont rejeté pour le socialisme via la révolution ou la réforme sociale-démocrate, ni le marxisme que les externes ont fini par abattre dans sa forme soviétique, n'ont réussi à épuiser et à résoudre la problématique de l'externité du seul point de vue qui compte, celui de l'économie politique. C'est là que se situe spécifiquement l'apport d'Isou. L'économie nucléaire ne rejette pas par principe le marché, elle en connaît les limites et en régule politiquement le fonctionnement. Le crédit de lancement est ainsi destiné à lancer et promouvoir les projet innovants, porteurs de nouveaux marchés et créateurs d'emplois. Le principe de libre entreprise est ainsi respecté. Cette politique forte de soutien à l'initiative privée et public trouve ses principales ressources dans un enseignement réformé qui privilégie les apports créatifs des disciplines enseignés. L'école et l'université dans cette perspective deviennent non plus les pourvoyeurs d'une main-d'oeuvre formée pour un marché de l'emploi donné (conception productiviste) mais un pôle de formation d'inventeurs, d'entrepreneurs et de salariés hautement qualifiés dont les compétences et connaissances permettent de renouveller totalement le marché, en anticipant les besoins à venir par leurs forces d'innovation. En développant l'initiative privée, le principe de la contribution de tous à la solidarité étant acquis (impôts), l'économie nucléaire entend multiplier les recettes fiscales par le nombre d'entreprises et d'emplois crées et ainsi financer les politiques éducatives, sociales et culturelles. L'état joue pleinement son rôle quasi keynesien de régulateur de la vie économique par une intervention qui se veut précise dans ses missions. Ce rôle de l'état nécessite comme Isou le préconise dés 1950 le renouvellement nécessaire des cadres des partis, des syndicats et la rotation des élus aux postes à responsabilité, ce qui implique un nombre limité de mandats, afin de ne pas confisquer le mieux être de la collectivité au profit d'une bureaucratie (étatique, syndicale ou patronale). Comme on le voit l'économie nucléaire s'appuie, c'est là sa grande originalité, sur des postulats à la fois libéraux et socialistes pour constuire un projet singulier de dépassement de leurs oppositions et une théorie économique qui vient donner un second souffle à un socialisme toujours hanté par le spectre de Marx.

jeudi 7 juin 2007

QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE II ? (REISSUE)

Selon Isou, le prolétariat conscient et organisé ne constitue pas cette classe révolutionnaire à qui Marx avait assigné la tâche historique de critiquer et de dépasser la société bourgeoise ; il ne porte que des revendications visant à aménager le circuit économique existant, à y faire reconnaître les droits et le rôle des salariés dans l'appareil de production. Les doctrines économiques classiques et critiques s'appuient donc sur les agents économiques, leurs relations et leurs antagonismes, afin, selon une logique politique du rapport de force d'ajuster le "marché" en fonction des intérêts défendus par chacun d'entre eux. Le libéral promeut l'investisseur, l'entrepreneur comme des figures motrices et clés de la création de richesse (en d'autres termes emplois et croissance) ; il assure que l'intérêt égoïste de ceux-ci est utile et bénéfique à la collectivité qui n'est jamais qu'une addition d'égoïsmes singuliers. Marx démontre brillamment que l'économie classique méconnaît le rôle du travail, de sa valeur, dans la production de la richesse, et comment les salariés sont dépossédés des fruits de leur labeur, alors qu'il sont obligés de s'y aliéner par l'organisation bourgeoise des rapports et des modes de production. A l'égoisme et à l'utilitarisme de la pensée bourgeoise, Marx oppose une compréhension du travail humain comme praxis inscrite dans un tissu social (valeur d'usage). La reconnaissance symbolique et économique de ce travail, le partage conséquent de la plus-value créée, constituent les grandes revendications trade-unionistes des organisations ouvrières autant que l'exigence de solidarité nécessaire à la lutte ("prolétaires de tous pays, unissez-vous" s'opposant au "chacun pour soi" des libéraux).
Les rapports de domination d'une classe (prolétariat versus bourgeoisie) sur une autre reste, dans cette perspective, l'explication dernière des conflits qui traversent la vie économique et l'organisation sociale. Pourtant ces classes elles-mêmes ne sont pas homogènes : les jeunes en effet sont en effet tenus pour la plupart hors du circuit économique, et se singularisent par la "gratuité", en terme économique, de leurs efforts et de leurs actes. Au service de la famille, comme dans la paysannerie, ils constituent une main-d'oeuvre peu honéreuse, employés comme apprentis ils accomplissent un travail comme n'importe quel salarié mais sont peu rettribués au prétexte qu'ils n'ont pas encore l'expérience et les compétences suffisantes pour prétendre à un vrai statut. Etudiants ou scolarisés, ils représentent une force potentielle de subversion de l'échange institué, libéral ou socialiste, dans la mesure où pour y exister ils doivent incessamment en déplacer les lignes, en transgresser les seuils et les limites. Isou perçoit cette catégorie d'agents négligée par les économies classiques et critiques comme une zone particulièrement instable, qui dépossédée des moyens d'une souverraineté économique, sociale et politique supporte toutes les aliénations et exploitations (la famille, l'école avant d'éprouver l'apprentissage du monde de l'emploi auquel il doit s'ajuster).
Les jeunes sont dans une situation unique : ils ne connaissent de l'échange que les peines et sont privés de toutes les satisfactions qui sont la retribution normale de celles-ci dans le cadre du salariat. Cette frustration orginelle explique le désordre, hors de tout folklore romantique, inhérent à la jeunesse qui cherche à exister par tous les moyens, ceux de la créativité pure (les valeurs qu'elle apporte et qui modifie positivement le ciruit établi en permettant aux nouveaux venus de trouver leur place pour le plus grand bénéfice de la collectivité) ou ceux de la créativité détournée (le nihilisme et ses nombreuses manifestations : révoltes diverses, délinquance...). Pour Isou, les jeunes cherchent ainsi avant tout à entrer dans le circuit économique pour y déployer leur force de travail et d'invention, y gagner une reconnaissance sans pour autant renoncer aux valeurs et aux aspirations qu'ils portent. Il y a là un dépassement de l'opposition traditionnelle entre acceptation servile d'un système, adaptation à son principe de réalité et rejet de celui-ci pour la fuite romantique hors d'un réel décevant. Les jeunes en entrant dans le circuit en modifient les règles et l'équilibre, dans la mesure où ils entrent en concurrence - puisque le libre échangisme est le norme dominante - les uns avec les autres dans la course aux meilleures places, le nombre de celles-ci étant limité. Ils s'opposent aussi aux salariés ou dirigeants déjà en fonction qui n'entendent pas céder les postes qu'ils occupent et obligent les nouveaux venus à emprunter des itinéraires interminables (stages, justification d'ancienneté...) avant de pouvoir atteindre l'emploi souhaité, et dans quel état ! L'impatience et la frustration de la jeunesse définissent ainsi des moteurs forts d'une dynamique de subversion qui en certaines circonstances (crise par exemple) explique les mouvements insurrectionnels que ces jeunes accompagnent ou conduisent afin de liquider un "vieux monde" où ils ont si peu leur place. Plus largement, les salairés qui végètent dans des emplois peu épanouissants, en quête d'une reconnaissance et d'un poste où ils pourraient enfin se réaliser comme agent économique en soi, partagent avec les jeunes cette même insatisfaction. Isou définit comme Externité cette catégorié de mécontents et d'insatisfaits, qui peinent à exister dans une organisation économique donnée, les jeunes de par leur situation présentant le plus haut degré d'externité. Les internes représentent l'ensemble des agents économiques (qu'il s'agisse des investisseurs, des employeurs ou des salariés) qui se touvent pleinement insérés et réalisés dans le cadre du circuit institué, ils en sont les gardiens autant que les garants. Les théories classiques (atomistiques dans la mesure où elles se fondent sur l'individu type capitaliste) et critiques (moléculaires dans la mesure où elles s'appuient sur une classe) négligent la masse d'agents pré-économiques, les jeunes, qui interviennent pourtant massivement dans les bouleversement de l'ordre économique en place autant qu'elles méconnaissent le quantum d'externité qui habite souvent même les mieux intégrés de ces deux systèmes . Toutes les solutions et les réformes proposées par les libéraux et par la gauche dans sa pluralité s'avèrent donc insuffisantes en raison de leur ignorance de cette donnée essentielle de la question économique et des conflits qui lui sont inhérents.
De ce constat, Isou dégage trois grandes orientations pour asseoir sa théorie économique : d'abord, la nécessité d'une réforme de l'enseignement afin de permettre aux jeunes d'entrer sur le marché de l'emploi au plus tôt avec la meilleure formation possible, ensuite la redistribution d'une partie de l'impôt collecté sous la forme d'un crédit de lancement, afin de favoriser l'initiative et la création de nouvelles entreprises, enfin une planification repensée à la lumière des désirs exprimés, des besoins constatés et apports innovants introduits, afin d'ajuster la productions des biens et des services aux attentes complexes, en devenir, de l'ensemble de la société. Il s'agit en fait de dépasser le "tout marché" et sa jungle défendue par les libéraux autant que le "tout-état" promu par le socialisme. Plus profondément, pour en finir avec la lutte de "tous contre tous", Isou popose un socialisme qui place la création, et non plus seulement comme Marx la production, au centre de l'activité économique afin d'installer, à la place de la rareté qui est encore la norme, une société d'abondance et de prodigalité.

QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE I (Reissue)

Le lettrisme ambitionne de bouleverser l'ensemble des pratiques et des savoirs existants en postulant la création comme dynamique de l'histoire humaine. Il ne se départit pas de cette urgence que le surréalisme avait fait sienne en son temps (changer la vie et transformer le monde) mais entend réaliser ccette utopie, qui emprunte au messianisme de Marx, avec méthode (la Créatique). Dès son arrivée à Paris en 1946 Isidore Isou a pour projet de dépasser les erreurs et les approximations de l'auteur du Capital, insuffisant à ses yeux pour penser et réaliser une société débarassée des antagonismes et des conflits de classe. Il a déjà un passé de militant en Roumanie, aux côtés des communistes mais surtout dans les organisations sionistes de Gauche. Ce qui l'intéresse avant tout chez Marx c'est sa critique de l'économie classique, bien plus que le jeune Marx qui nourrira tant la prose des situationnistes, et l'importance accordée à l'échange économique dans la structuration de la société. La mise à jour d'une catégorie d'agents économiques ignorée des classiques, le prolétariat, partie prenante, agissante et exploitée d'un système économique, permet à Marx, par sa réappropriation de la dialectique hégelienne, de la poser comme contradition et force possible de dépassement de la société bourgeoise et de son mode de production. L'appropiation des moyens de production, la planification de ceux-ci, en place d'un marché de libres entrepreneurs et de sa concurrence "non faussée", en fonction des besoins toujours plus complexes et divers de la société restent des apports clés de la théorie marxiste que les syndicats et organisations de gauche vont relayer politiquement afin de porter le projet et le programme d'une société de type socialiste. Certes le mythe révolutionnaire, aidé en cela par l'exemple russe, va longtemps stimuler l'imaginaire de gauche, et pas seulement des communistes orthodoxes ; pourtant dans les pays où Marx prophétisait la grande révolution socialiste, la démocratie politique, "bourgeoise", devenue un élément régulateur de la vie publique, va disqualifier les mythologies révolutionnaires pour les réduire au rang de folklore et le prolétariat via ses représentants syndicaux et politiques progressivement gagnera, certes par des luttes non négligeables, des droits, un rééquilibrage de l'échange et du contrat social à son avantage avec les conséquences que l'on sait : constitution d'une classe moyenne, élévation du niveau de vie et des perspectives de vie... Par contre, partout où des révolutions se sont faites au nom du marxisme ou de ses dérivés, l'utopie progressiste et généreuse de Marx a toujours été niée, écrasée par des systèmes bureaucratiques et autoritaires qui s'en prévalaient pourtant.
C'est cet échec historique des "prévisions" de la science de Marx qui amène très vite le jeune Isou à prendre ses distances avec ce magister qui, au regard des tenants des théories économiques classiques et du type d'organisation sociale qu'elles supposent et défendent, représente une avant-garde encore pertinente et séduisante, bien plus que les anarchistes dont Marx comme le rappelle Isou avait déjà balayé les propositions (cf. Misère de la philosophie et philosophie de la misère). L'exemple russe ou plutôt "soviétique" à l'époque, l'émergence de mouvements fascistes, lui fournissent matière à réflexion. Ni le marxisme, ni le libéralisme n'ont réussi à dépasser et à résoudre les antagonismes qui traversent et décomposent, crise après crise, la société. Les démocraties bourgeoises se sont vues menacées et réduites par des forces politiques (les fascistes) qui avaient attiré à elles les mécontents, les laissers pour compte, les déclassés, les jeunes sans avenir du "laisser-faire" libéral. A l'est, les répressions et purges incessantes demandées par la bureaucratie stalinienne restaient significatives d'un pouvoir illégitime craignant à tout moment que des "contradictions objectives" non prévues et planifiées dans ce meilleur des mondes possibles ne le chassent par la violence définitivement.
L'économie politique reste pour Isou la discipline où se jouent, se nouent et se dénouent les tensions, les antagonismes que le libéralisme méconnait et que le marxisme analyse comme une lutte de classe. C'est donc sur ce terrain qu'il va reprendre, à partir d'une critique des travaux de Marx et de ses devanciers classiques, l'élaboration d'une nouvelle théorique économique, dite nucléaire, à même de servir de base fondatrice à un projet de transformation politique de la société.

mercredi 9 mai 2007

BILAN DE CAMPAGNE : QUEL AVENIR POUR LE PARTI SOCIALISTE ?

Le résultat des élections est sans appel et offre à Nicolas Sarkozy une légitimité fondée sur un programme libéral-conservateur clairement assumé et défendu par le candidat UMP ; La campagne a révélé une profonde mutation du paysage politique français qui voit une droite décomplexée s’émanciper de l’héritage gaulliste et une gauche située à un moment décisif quant à ses orientations et les alliances qu’elle devra nouer pour gagner. Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sont les deux figures emblématiques de ce désir de renouvellement qui a traversé le pays durant la campagne. Le taux de participation quasi-historique ne peut que réjouir dans la mesure où citoyens et citoyennes ont renoué en la circonstance avec la politique et contribuent ainsi à renforcer la vie démocratique autant qu’à responsabiliser les élus mandatés dans leurs engagements. Chacun des deux candidats, et François Bayrou dans une certaines mesure, s’est efforcé souvent contre son propre camp, en prenant à rebours son parti et sa culture de « bouger les lignes », de transgresser les frontières étanches, de trouver de nouvelles cohérences ou des rapprochements stratégiques : que l’on se souvienne d’un Nicolas Sarkozy proposant un Ministère de l’identité nationale qu’un Jean Marie Lepen ne désavouerait certainement pas ou de Ségolène Royal consciente des insuffisances de la gauche en matière de lutte contre « l’insécurité » avançant pour « tâcler » l’adversaire sur son propre terrain son concept « d’ordre juste »…
L’immobilisme et le statu quo, au regard des défis qui s’imposent à la France (politique économique, construction européenne, paupérisation des classes moyennes, relégation des catégories populaires, panne de l’ascenseur social, mondialisation dérégulée…) ne sont en effet plus tenables, ni défendables mais force est de constater que le candidat de droite a réussi à convaincre que son programme libéral (sur le terrain économique) et conservateur (ordre et autorité sur le terrain social et sociétal) représentait la « rupture » et le « changement » quand il incarne bien plutôt une révolution conservatrice sur fond de bonapartiste, un peu à l’image de ce qu’ont été les mandatures de Margaret Tatcher ou celle de Ronald Reagan. Au moins a-t-il le mérite de la transparence et de la lisibilité, ce qui change d’un Jacques Chirac, et d’une présidence mandatée pour résorber la « fracture sociale » en 1995 qui n’a eu de cesse, hors la cohabitation avec la gauche plurielle, de mettre en place des gouvernements (Juppé, Raffarin, Villepin) qui n’ont guère réussi à la résorber sinon à fragiliser davantage les catégories les plus en difficulté.
La gauche socialiste, qui revient de loin, n’a pas su convaincre qu’elle représentait plus qu’une alternative une solution aux problèmes économiques et sociaux de la France. Les raisons sont nombreuses et dès à présent des enseignements sont à tirer :
- d’abord l’effondrement des votes extrêmes : la stratégie de transgression d’un Sarkozy qui en décomplexant les thèmes du front national (sur la sécurité, l’immigration) a récupéré une partie de son électorat ; les électeurs frontistes ne s’y sont pas trompé qui ont voté massivement au second tour pour le candidat UMP ne suivant pas en cela les consignes de boycott et d’abstention de Jean Marie Lepen. Pour la première fois, le front national est arrêté dans son irrésistible ascension. Ceux qui donnaient leur voix au FN, moins par xénophobie que par ressentiment, pour protester contre le « système » ont pu par ailleurs être séduit par la surenchère offensive d’un Bayrou au premier tour partant en guerre contre les médias et la bipolarisation gauche/droite qui interdit toute alternative. Quant à la gauche de la gauche, elle a cessé d’illusionner : en adoptant une posture « anti » systématique ( contre la constitution européenne, contre Sarkozy, contre le « libéralisme »), en offrant le spectacle pitoyable des querelles intestines, des rivalités de personne, en témoignant de son infantilisme (au sens où Lénine parlait du gauchisme comme de la maladie infantile du communisme), de son peu de culture démocratique (voir le déroulement calamiteux des élections pour une candidature unique) et d’une absence totale de renouvellement intellectuel (les mêmes slogans usés jusqu’à la nausée), elle a fini par convaincre qu’elle représentait le vote inutile par excellence à gauche. Alors que ses militants ont été de toutes les batailles sociales (contre le Cpe, le référendum sur la Constitution européenne, la réforme Fillon sur les retraites, les émeutes du mois de novembre 2005), malgré une participation historique à ces élections, ils n’ont à aucun moment été en mesure de capitaliser et de canaliser le mécontentement social ; plus encore les résultats obtenus sont même notablement en baisse par rapport à ceux de 2002 (les Verts passent de 5% à moins de 2% pour Dominique Voynet, même chose pour Arlette Laguillier et LO, Marie George buffet fait 1,9 % là où Robert Hue faisait 3,84%, la LCR se maintient autour de 4% mais où sont donc passés les habitants des banlieues, les jeunes pour lesquels elle affirme se battre ?). Bref, au lieu comme le voulait Marx de « marcher au pas de réalité », la gauche de la gauche tient une posture purement idéologique qui a fini par le lasser : en guise du « grand mouvement populaire antilibéral » qu’était supposé incarné le Non au referendum sur la constitution européenne nous assistons à un véritable plébiscite, y compris dans certaines catégories populaires, pour une révolution conservatrice ! On ne pouvait pas faire plus grand contresens ! Si le diagnostic est erroné, que penser alors des solutions préconisées… et quelle erreur du Parti Socialiste (Melanchon, Fabius, Strauss Khan, et même Hollande) d’avoir couru après cette chimère quitte à en oublier leurs responsabilités et les aspirations réelles, concrètes des classes moyennes et populaires. Il valait sans doute mieux lire les textes publiés par la République des Idées (et Ségolène Royal ne s’y est pas trompé) que les publications toujours très inspirées de la nébuleuse altermondialiste (dont je ne néglige pas pour autant l’intérêt et l’apport pour certaines d’entre elles… mais elles apparaissent en si mauvaise compagnie…).
- Du côté socialiste, et avant d’avancer plus avant dans l’analyse, je dois ici saluer la campagne, malgré ses défauts, ses errements et ses tâtonnement nombreux, de Ségolène royal, et affirmer, n’en déplaise aux assis du Parti Socialiste que le renouveau idéologique qui doit y être mené ne peut se faire qu’autour d’une candidate, mandatée par les adhérents, qui a suscité une dynamique inattendue et a renoué avec les classes moyennes et populaires, malgré la défaite. Au premier tour à Saint-Denis, bastion rouge s’il en est, elle a fait un score de 49% qui va bien au delà des explications par « le vote utile » ou le « rejet de Nicolas Sarkozy ». Au contraire du candidat UMP qui se préparait à ce destin présidentielle depuis bien longtemps (avec tous les réseaux, relais et alliances que cela suppose ) Ségolène Royal a émergé dans le cadre d’un PS en crise profonde (échec de 2002, rejet du traité constitutionnel européen pour lequel il appelait à voter), avec l’arrivée massive de nouveaux adhérents qui ont contribué à modifier les équilibres au sein du parti et à changer sa sociologie. Elle a ensuite affirmé un style, une ligne qui ont permis, quoi qu’on en dise, d’apporter des éléments neufs à la vie politique (démocratie participative, soucis de la proximité contre la distance théorique et l’approche technocratique). Ce qui a fait la force de Sarkozy, en situation comme Ségolène Royal d’externe, c’est sans doute que le nouveau président a fait tomber une à une, avec talent, tactique et aussi brutalité, les forteresses qui se mettaient entre lui et son rêve présidentiel : mis à l’écart après sa fronde balladurienne, il a réussi à être adoubé à la fois par les militants qui ont adhéré à sa droititude fièrement revendiquée ainsi qu’à son volontarisme, et par les cadres de l’UMP puisqu’il a réussi à devenir le chef d’un parti crée et construit autour de Jacques Chirac et à retourner à son avantage toutes les manœuvres et les coups de ses adversaires (Villepin et les chiraquiens); Ségolène Royal a elle bénéficié du soutien des adhérents socialistes mais jamais elle n’a fondamentalement obtenu l’adhésion majoritaire des cadres qui ostensiblement ont manifesté leur résistance au Royalisme offrant aux électeurs l’image d’un parti divisé, tiraillé entre des tendances contradictoires. N’ayant pas su retourner l’appareil, ne pouvant y installer les hommes et les femmes neufs qui gravitent dans son sillage, elle n’a pu bénéficier de l’appui de son propre Parti, là où Nicolas Sarkozy a obtenu une discipline sans faille de tous (et même de ses plus grands adversaires comme Villepin) indispensable pour conquérir le pouvoir alors qu’il y a encore un an il était l’épouvantail honni de son propre parti. La gauche en 1981 a gagné parce qu’elle était unie, la division entre adhérents et appareil, entre sensibilités divergentes (sans parler de l’impossible union de la gauche de la gauche) a joué contre la candidate.
- C’est dans ce flottement que Bayrou est parvenu à exister, en se présentant (alors que l’UDF s’est historiquement construite à droite), comme transcendant le clivage droite/gauche au nom d’une troisième voie improbable. La création de l’UMP en 2002 a vampirisé une partie de ses forces, et l’a marginalisé, c’est donc dans en partie grâce à l’absence de renouvellement théorique au PS qu’il su construire sa figure d’opposant (refus de signer le budget, interventions polémiques à l’Assemblée, conflit ouvert avec l’UMP, dénonciation des connivences entre pouvoir médiatique et politique avec des accents quasi « gauchistes » !). En courant après la gauche de la gauche dans l’illusion de reprendre dans un cadre institutionnel un mouvement de radicalité qui n’existait pas, le PS a laissé vacante la place du réformisme de gauche à d’autres, tandis que sa candidate légitime apparaissait comme en décalage par rapport à la culture et aux orientations de celui-ci. Les 18,5 % obtenu par le candidat UDF ne doivent pourtant pas illusionner : ils traduisaient un désarroi d’électeurs de l’UMP et du PS devant la nouveauté des deux candidats dans leur style autant que dans leurs propositions. Au delà de cette bulle spéculative (que restera-t-il de ce mouvement en septembre ?), de la cuisine électorale (le ralliement de la plupart des députés UDF à Nicolas Sarkozy élu président n’est pas une surprise), il existe bien une électorat, certes modeste, mais qui peut peser et qui ne se reconnaît ni dans l’orientation libérale de l’UMP, ni dans l’étatisme longtemps défendu par le PS. Cela suffira-t-il à François Baryou qui visiblement souhaitait un éclatement du PS, disqualifié dès le premier tour, afin d’en reprendre l’aile social-démocrate pour son propre compte ? Car la modernisation social-démocrate du PS ne lui laisserait plus guère d’espace pour continuer à exister politiquement et le centriste devrait choisir son camp, ce que sa culture oecuménique du Ni…ni (Ni droite, ni gauche) se refuse à faire : ou la réforme libérale, ou la réforme social-démocrate.
- Enfin, les socialistes ont abordé la campagne sans ligne véritable, en manœuvrant à vue (avec des succès mais aussi des flottements) sans avoir au préalable procédé à l’urgence d’un renouveau doctrinal et théorique ; les primaires qui constituaient une nouveauté salutaire dans l’organisation de la démocratie politique, aux antipodes du dirigisme pyramidal et hiérarchisé de l’UMP, avait bien montré la pluralité des options qui cohabitent au sein du PS, seul parti de la démocratie française à rassembler des courants de sensibilité distincte : une aile mitterandienne (version programme commun de 1974) incarnée par Fabius avec un socialisme fortement étatique, interventionniste, une aile social-démocrate représentée par Strauss-kahn qui incarne sans doute le seul avenir possible et souhaitable au Parti socialiste afin de faire barrage à un nouvel adversaire politique libéral et conservateur, et enfin la démocratie participative défendue par Ségolène Royal soucieuse de décentralisation (davantage de décisions et de pouvoirs aux régions) et d’un pragmatisme qui la rapproche des travaillistes anglo-saxons. C’est sans doute sur le terrain économique que Ségolène Royal a perdu des points ; alors qu’elle portait de réelles innovations sur le plan politique, social et sociétal, elle a développé au cours de la campagne un programme classiquement socialiste afin de rassembler à gauche ; de son côté Nicolas Sarkozy en rompant (au moins dans le discours) avec la tradition gaulliste d’un état fort et interventionniste a pu ainsi apparaître à la grande satisfaction de Jacques Marseilles, Michel Godet et Nicolas Bavaerez (sans parler de ses soutiens patronaux Bouygues, Bebéar, Lagardère) comme le candidat qui allait introduire le loup du libéralisme dans la bergerie de l’exception française. Face à ce discours libéral, la gauche n’a pas encore renouvelé son logiciel, sa grille de lecture, sa méthode, ses concepts… malgré le travail remarquable de nombre d’économistes qui lui sont acquis et que nous nous n’avons hélas que trop peu entendu durant cette campagne. Pour faire bref et reprendre les propos de Jacques Généreux, on ne conteste pas un axiome économique (libéral en l’occurrence) en expliquant uniquement qu’il est injuste et méchant, on commence par expliquer qu’il est faux avant d’argumenter sur la nécessaire justice sociale qui constitue le cœur et la force d’une société apaisée. La ligne de partage entre droite et gauche n’a ainsi toujours pas bougé et se décline sous la forme de la fausse opposition entre justice sociale et efficacité économique, au détriment de la gauche. A Monsieur Sarkozy, la réduction des déficits publics, l’austérité nécessaire, la baisse des prélèvements et charges, la mise à plat du droit du travail, le marché rendu à lui-même, l’augmentation du temps de travail, la chasse aux « assistés »… ; à Ségolène Royal, l’intervention de l’état, la multiplication de nouveaux services publics pour accompagner (et non assister ) les personnes, les emplois aidés, l’allocation d’insertion pour les jeunes, l’aile protectrice de l’état, le rôle des régions dans les aides accordées aux entreprises… Devant une absence de renouvellement de propositions des socialistes sur cette question, qui tout en n’ayant jamais été frontalement abordée, n’en a pas moins pesé dans la promotion de l’image d’un Nicolas Sarkozy « compétent pour le job », ce dernier a pu faire passer une vulgate libérale pour la solution durable aux problèmes économiques de la France. Dans la version précédente du blog des Cahiers, j’avais déjà souligné l’importance d’une refondation de la pensée économique à gauche, portée par un marxisme critique d’une brûlante actualité mais dont les propositions sont en grande partie obsolètes. Laurent Baumel dans son remarquable essai Fragments d’un discours réformiste dresse un état des lieux précis des nouveaux chantiers théoriques auxquels la gauche dite de gouvernement doit désormais s’attacher ; faire son deuil de l’illusion révolutionnaire, et d’une « surmoi marxiste » encombrant et inutile, s’inscrire dans un réformisme « radical » social-démocrate qui réconcilie efficacité économique et justice sociale et vise cherche à obtenir en économie les meilleurs résultats afin de garantir la meilleure justice sociale et une plus grande redistribution, privilégier la négociation entre partenaires sociaux et la recherche d’un consensus consenti plutôt que de recourir systématiquement à la loi, donner des garanties aux individus et non garantir des emplois qui demain sans doute seront dépassés, bref passer d’une gauche de redistribution et de partage à une gauche de production et de création de la richesse collective, l’une n’excluant pas l’autre, bien au contraire . On le voit cette perspective ne s’inscrit absolument pas dans la tradition d’un discours antiéconomique (ou économico-sceptique), qui marque encore profondément l’électorat de gauche en France. Les économistes à gauche sont pourtant nombreux : Jacques Généreux, Thomas Picketty (proche de Ségolène Royal), Daniel Cohen (proche de Strauss Kahn)…Il leur revient de gagner la bataille que Nicolas Sarkozy a provisoirement emportée, celle des idées en apportant leurs contributions dans le cadre des débats qui détermineront, après les législatives, l’avenir du Parti Socialiste, ses nouvelles orientations, voire sa réforme tant attendue. Sur ce dernier point, je ne peux que rappeler l’apport essentiel que représente, quoique toujours aussi méconnue, l’économie nucléaire développée par Isidore Isou. Le déroulement de ces élections en a confirmé bien des points : à droite comme à gauche, ce sont les outsiders qui ont bousculé les équilibres installés ; on a vu l’outsider Sarkozy retourner la chiraquie et jouer hélas comme cela était prévisible les internes (la France qui possède du capital mais aussi les catégories les plus modestes du salariat inquiétées par un avenir de plus en plus incertain) contre les externes (les immigrés, les jeunes, ceux qui dans les banlieues ne trouvent pas où salarier leur force de travail, les « assistés », les sans-emploi). Gagner la bataille des idées c’est démontrer que le modèle économique promu par Nicolas Sarkozy dans le contexte d’une économie qui se financiarise de plus en plus ne permet plus cette « destruction créatrice » théorisée par Schumpeter (disparition de secteurs économiques et des emplois qui y sont liés, apparition grâce à l’innovation et aux investissements de nouveaux débouchés créateurs d ‘emplois) mais risque bien de grossir davantage encore ces contingents d’exclus que sa majorité ne veut plus désormais considérer que sous l’angle criminel (et jamais comme une chance, un capital porteur d’avenir, une force d’innovation, un apport) tandis que les richesses dégagées loin de préparer l’avenir de tous (investissement, recherche et développement, création d’emplois) ne profitent désormais qu’à des quasi-rentiers. Eric Le Boucher, que l’on ne soupçonnera pas de gauchisme infantile, schématise les deux projets de société porté par chacun des deux candidats sous la forme d’un losange pour Ségolène Royal (remise en route de l’ascenseur social, permettre le déclassement par le haut, arriver à une société où les classes moyennes dominent) et d’un sablier pour Nicolas Sarkozy (extension d’une classe à haut revenu, les gagnants de la mondialisation, disparition des classes moyennes qui se prolétarisent, retour de catégories très proches de l’ancien prolétariat, retour d’une politique sociale de type paternaliste et compassionnelle autant que policière à leur égard). Ségolène Royal a maintenu seule l’exigence d’une solidarité intergénérationnelle, les perspectives d’un contrat social à réinventer, là où Nicolas Sarkozy martèle ses principes d’ordre et de restauration de l’autorité tout en vantant les mérites du marché enfin délivré de toute obligation vis-à-vis de la société et livré de fait à sa jungle anarchique. Au premier tour 40% des plus de 60 ans ont voté pour lui, est-ce le candidat d’un pays tourné vers l’avenir ou plutôt d’un pays qui vieillit et où ceux qui ont effectivement quelque chose à perdre sont dans une posture de défiance face aux générations qui arrivent dans des conditions de socialisation (à l’école qui est en crise aussi bien dans le secondaire que dans l’enseignement supérieur, au travail) fortement dégradées ? Quant aux plus précaires qui ont voté pour lui, n’est-ce pas le signe que cette carence théorique à gauche a fini par désespérer Billancourt et à convaincre même les plus réticents que les réformes nécessaires ne pouvaient se faire qu’avec la droite et du seul point de vue de la droite ?
On le voit les enjeux sont d’une importance considérable et nécessite au Ps ce que Nicolas Sarkozy a visiblement réussi à l’UMP ; dans un court entretien accordé au Parisien le mercredi 8 mai le député socialiste Benoît Hamon, commentant la défaite, explique : « là où je me suis senti hier soir en décalage avec mes camarades, c’est quand j’ai vue que la droite présentait le visage du renouveau avec Rama Yade, Rachida Dati ou Laurent Wauquiez, alors que nous avions les mêmes pour expliquer la défaite de 2007 que ceux qui expliquaient la défaite de 2002 et celle de 1995 !On a aujourd’hui l’éléctorat le plus divers, le plus jeune, le plus curieux et pourtant c’est la droite qui donne l’exemple de la diversité, et nous, on donne le sentiment d’être restés scotchés aux années Mitterand… ». Le renouvellement théorique implique un renouvellement du cadre, du staff, des équipes… On ne peut prétendre vouloir remettre l’ascenseur social en route pour tous et en même temps avoir un Parti Socialiste totalement sous le contrôle de ses caciques inamovibles. Dans le sillage de Ségolène Royal, des hommes et des femmes ont adhéré, une nouvelle génération s’affirme qui attend qu’on lui laisse un peu d’espace pour exister et apporter ses talents et son énergie car c’est par eux que le renouvellement théorique sera porté. Les urgences sont donc doubles comme le formule magistralement Jean-Marie Colombani dans son éditorial au Monde du 04 mai : « il faut donc d’urgence, pour la clarté et la dynamique du débat démocratique, renouveler la pensée de gauche. La mondialisation reste vécue comme une menace et diabolisée comme la cause de tous nos maux ; seule la face négative de cette révolution planétaire est prise en compte et dénoncée. La gauche réformiste doit repenser de façon moderne le changement social. Elle doit sortir de l’impasse idéologique dans laquelle elle s’est enfermée. C’est pour elle la seule manière de retrouver sa vocation historique : incarner le mouvement, le changement et l’espérance, l’optimisme sur l’avenir. Ségolène royal a esquissé un « désir » de changement, tracé une perspective. Sa défaite, surtout si elle était lourde, plongerait inévitablement le PS dans les règlements de comptes, le retour en force de tous les archaïsmes et de toutes les utopies négatives. Sa victoire lui donnerait l’autorité pour engager ce travail de réinvention indispensable. C’est un pari. Pour le pays, il mérite d’être tenté ». Depuis, les urnes ont parlé, Nicolas Sarkozy a été élu par une majorité significative Président de la République, les querelles d’appareil et de personnes sont présentes, et alors ? Lionel Jospin a été battu en 1995, en 2002 il n’a pas passé le premier tour et a plié bagage laissant les socialistes dans le plus grand désarroi ; Ségolène royal se présentait pour la première fois, au soir de la défaite, elle reprenait la main pour annoncer que le combat continuait, afin de mener à bien la refondation du Parti Socialiste, au delà de ses frontières habituelles, et de soumettre aux français pour les prochains scrutins un projet de transformation de la société par la gauche. Quel chemin parcouru depuis ses débuts hésitants lors des primaires socialistes ! Quoi qu’en pense Dominique Strauss Khan, elle représente sans aucun doute l’élément clef, par le mouvement qu’elle suscite et par l’indépendance qu’elle garde au regard des dogmes inchangés depuis 20 ans du socialisme à la française, de sa modernisation, et des réponses à apporter aux questions nouvelles auxquelles celle-ci doit répondre, très vite, notamment dans ses rapports à un centre démocrate souhaité par François Bayrou et à ses partenaires traditionnels (Pc, verts, radicaux, extrême gauche). « Laissons les morts enterrer les morts et les plaindre, notre sort sera d’être les premiers à entrer vivant dans la vie nouvelle » (Karl Marx)




jeudi 26 avril 2007

LE LETTRISME EN 2007 (suite)

Tandis que le France s'apprête à célébrer les Nouveaux Réalistes, l'Italie plus audacieuse continue d'être la terre d'élection du lettrisme ; du 21 avril au 27 mai, à l'initiative de l'Association Zero Gravità, sous l'égide de Roland Sabatier et d'Anne Catherine Caron, se tient à la Villa Cernigliaro une manifestation placée sous le signe de la collection, intime et ultime, au sens le plus noble du terme, qui réactive l'image de l'amateur/collectionneur éclairé (qu'en pensent les responsables de nos institutions culturelles et muséales ?). Figurent dans cette collection Isidore Isou, Gabriel Pomerand, Maurice Lemaître, Roland Sabatier, Micheline Hachette, Alain Satié, Jean-Pierre Gillard, François Poyet, Gérard-Philippe Broutin, Woodie Roehmer, Anne-Catherine Caron, Virginie Caraven. Par ailleurs, on consultera avec profit le blog du lettrisme pour suivre plus précisément les manifestations lettristes en Italie (http://leblogdejimpalette.typepad.com/lettrisme/); comment ne pas ici mentionner le rôle de Francesco Conz, que l'on retrouve dans le même temps, avec Gérard Broutin, pour l'organisation de la manifestation Pianoforti lettristi, et les remarquables sérigaphies d'Isou, réalisées à partir du non moins remarquable roman hypergraphique Initiation à la haute volupté dans les années 80 ?

vendredi 23 mars 2007

PORTRAIT DE LEMAITRE EN SUPER-CELINE

Ce fut un grand moment radiophonique : l'émission consacrée à Maurice Lemaître sur France Culture hier soir a démontré que Lemaître n'est jamais en ses plus hauts sommets que lorqu'il déploie son verbe super-célinien en laissant de côté la rhétorique lettriste et ses impératifs. Ce fut l'occasion de découvrir des archives étonnantes et notamment cette défense de Lemaître par Isou lui-même... et un premier portrait saisissant de ce lettriste orthodoxe, qui continue à en promouvoir, non sans invective et polémique, l'utopie. Remarquable ! Souhaitons à ce programme de connaître une seconde diffusion !

mercredi 28 février 2007

L'UTOPIE PARADISIAQUE ET SON MESSIE

L’Agrégation d’un Nom et d’un Messie, livre épuisé depuis bien longtemps, est un roman d’apprentissage pour le moins insolite. Publié en 1947 aux Editions Gallimard, cet épais volume surprend par l’âge de son auteur et le dessein qui s’y dévoile : Isou à vingt ans à peine fait de sa vie la matière exemplaire d’un destin, le préambule définitif à une œuvre à venir. De ce roman d’initiation, il est le personnage emblématique, érigé en mythe vivant. Le lettrisme reste incompréhensible sans référence à ce texte fondateur. La part autobiographique le dispute aux considérations éthiques et théologiques mais les tribulations du jeune Isidore, de chapitre en chapitre, contribuent, par ajouts et agrégations répétées, à la formation d’un personnage romanesque abouti et fixé dans sa perfection éternelle. Isou sera plus qu’un Julien Sorel ou un Rastignac, il sera le premier personnage de roman « vivant et réel », au delà de l’exemplarité classique et de la dispersion romantique :« Ce qui nous apparaît ici plus important reste la volonté de l’auteur de se projeter - en dehors de sa projection par l’œuvre – comme personnalité, comme exemple d’un état : incarnaion vivante du parfait-réussi (…) Mais nous ne connaissons pas d’écrivain (et surtout de romancier) qui puisse s’offrir comme modèle au delà de l’écrit . Ni Malraux ne représentera pour nous le Révolutionnaire (il ne le désire pas), ni Gide-Lafcadio ; ni Stendhal-Julien Sorel, ni Montherlant le sportif. (…) Nous trouverons les exemples des hommes incarnant des valeurs dans les figures sans activité littéraire (…) De ce genre d’hommes, l’auteur s’inspire alors qu’il veut créer Isou, exemple de l’homme complet-réussi. Héros équilibré, certain de ses possibilités de représentation ». La vie et la littérature se confondent moins dans un style communément adopté que dans une volonté de faire de l’œuvre la justification de la vie et la matière d’un panégyrique perpétuel. Méthodiquement, le romancier autobiographe ne retient de sa vie que les plus hauts moments significatifs d’un accomplissement créateur. Les personnages de l’épopée (Irina, Bif, Ludo, Zissu) constituent comme autant de passages initiatiques, d’échelons qui vont permettre à Jean Isidore Goldstein de devenir Isidore Isou. Au terme de son périple qui le conduit de sa Roumanie natale à la nouvelle Jérusalem que représente à ses yeux Paris, Isou est achevé, il s’est construit et édifié dans et par des œuvres (Marx, Lénine, le judaïsme, Proust, Joyce, Baudelaire, Rimbaud, Dada…), il portera désormais le feu de ses propres œuvres aux hommes. La fin du roman marque la clôture d’un cycle d’initiation dépassé par les nouvelles aventures bibliographiques d’Isidore Isou déjà sous presse :« Dans ce sens, un héros parfait et réussi reste un exemple à atteindre, symbole d’un dépassement des forces existantes (…) Le modèle isouien représente le premier effort, le cadre originel, pour l’obtention de cet inédit idéal collectif. Les générations prochaines seront isouiennes ou elles se perdront sans signification jusqu’à cette réalisation ».(p.443)Le livre est inégal bien sûr, certaines pages de circonstance, écrites dans l’agitation fiévreuse de l’après-guerre, ont sans doute bien mal vieilli. Mais ce curieux mélange de maladresses (dans la construction, les effets de style) et de sérieux presque académique, loin de rebuter le lecteur, rend d’autant plus manifeste la puissance d’invention que portent ces premières pages.Le titre du roman a une fonction programmatique : la trinité Nom/agrégation/messie délimite pour longtemps l’imaginaire isouien et ses pôles symboliques structurants.
Nom : Isou a toujours refusé la banalité du quotidien, productif et insignifiant, où chacun végète dans la répétition et la vacuité en attendant de disparaître dans l’anonymat et l’indifférence. La création seule peut émanciper l’homme de sa finitude et enchanter le monde. Le nom est la trace prescriptive d’une création qui redonne au chaos des gestes et des paroles un sens, une ligne directrice et une exigence. Au sortir d’une autre guerre, marquée par l’horreur génocidaire, Isou ne reprend pas le nihilisme désespéré de Dada. Sur quoi pourrait jouer la désinvolture dadaïste et sa table rase quand il ne reste que des ruines ? Son intelligence est d’anticiper alors la décomposition de toute la culture moderne. Ce gai savoir n’est en rien le secret, le code ésotérique, gardé par quelques initiés. Il constitue le préambule à la possibilité d’une révolution culturelle sans précèdent. La place laissée vacante libère la création et ses sortilèges : tout est à reconstruire, les idées, les valeurs, les pratiques, les arts. Isou manifeste une conscience particulièrement aiguisée d’une banqueroute irréversible de la modernité. Le vide de l’époque aidant (retour du surréalisme, de la peinture abstraite, vacuité philosophique d’un existentialisme tardif), Il procède selon une stratégie d’occupation systématique de la première place non sans impatience et prosélytisme : dans le cinéma, la poésie, l’économie politique, la peinture… Isou veut laisser son Nom. Le nom résume et immortalise l’œuvre comme destin, il renvoie au marbre d’un accomplissement créateur. Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé, Tzara, Breton ou Apollinaire ont marqué par leurs apports formels le devenir du domaine poétique, ils en ont bouleversé les pratiques, écrit l’histoire. Isou ne conçoit pas l’existence en deçà d’un tel achèvement. Le geste créateur reste à ses yeux le plus haut moment qualitatif de l’existence car il arrache au temps un peu de son éternité. Les déterminismes sociaux, psychologiques autant que les anecdotes venues du quotidien constituent le bas-fond commun contre lequel s’affirme la nécessité créatrice. Maurice Lemaître en lettriste conséquent formulera cette conviction en un raccourci saisissant, à savoir que « sur ce globe, personne n’a jamais vécu que Socrate, que Dante, que Joyce ! ». Mais au contraire de ceux-ci, Isou n’entend pas laisser un nom dans telle ou telle branche culturelle, il veut les occuper toutes et être le point de référence d’un renouveau culturel global, post-isouien : que l’on prenne le soin de lire la bibliographie « à paraître » qui ouvre L’Agrégation d’un Nom et d’un MessieEléments de la peinture lettristeLes Journaux des dieux précédé de : construction du dernier roman possibleFondement pour une transformation totale du théâtreLes tables génésiques : unité de mesure pour un autre départ de la philosophieSchèmes d’une véritable philosophie de la cultureEsthétique suivi de Bases pour la construction des arts nouveauxLettre au maréchal Staline sur la question palestinienne (notes pour la création d’un parti communiste sioniste)Politique suivi de principes des soulèvements futurs ».Plus déroutant encore est le fait qu’il a réalisé sur un demi siècle l’ensemble de ce programme initial bien au delà des objectifs visés.
Messie : car cette position philosophique devant l’existence, le salut des hommes par leurs œuvres, est fondatrice d’une réflexion théologique issue directement du judaïsme. La dérive mystique a toujours tenté l’avant-garde, souvent d’ailleurs contre ses mots-d’ordre modernistes et sa dialectique formelle. De Kandinsky et Malevitch à Yves Klein ou John Cage en passant par Dada et les « voyants » du surréalisme, l’énigme de la transcendance a survécu à Marx, Nietzsche et Freud. La modernité dans ses plus audacieuses propositions rejoint souvent l’interrogation métaphysique malgré et souvent contre un formalisme méthodologique.L’agrégation relate la formation spirituelle et politique du jeune Isou, lecteur attentif de Marx et militant sioniste de gauche. L’insatisfaction devant le monde, le désir d’en dépasser les imperfections, trouvent chez Isou, comme chez Marx leur formulation sécularisée : l’utopie d’une société paradisiaque.« L’unité du Dieu judaïque n’est pas un nombre, mais ce centre d’inconnaissance vers lequel nous avançons, que nous rétrécissons et autour duquel nous bâtissons le monde (..) Le judaïsme a mis sur le tapis, la discussion de la genèse et de la fin, la marche, le progrès de l’homme dans le monde et son but ». (L’Agrégation..., p259). Le judaïsme garantit la connaissance, l’élévation spirituelle des hommes, mais promet aussi la réalisation immanente, terrestre et concrète, de la grâce et de la joie. A ce noyau progressiste premier, Isou apporte une contribution qu’il estime décisive : la création et ses lois. La propension messianique de sa prose est attestée par l’usage redondant de l’indicatif futur et le recours toujours sur le mode de l’hyperbole à la troisième personne. Un tel lyrisme de la prophétie ne se retrouve pas même dans la bible, il envahit et gonfle jusqu’à saturation, la prose de tous les grands textes manifestes d’Isou, quitte à irriter le lecteur. Loin de céder à l’exerce de style, Isou démontre ainsi qu’il est la première confirmation exemplaire de l ‘exactitude de ses théories. Contrairement aux pains multipliés de la bible, ses créations sont l’oeuvre profane d’un divin en acte auquel chacun peut accéder dans la mesure où il en accepte les lois. Isou adopte la pose et la prose du messie qui vole aux dieux leur feu et en fait don aux hommes. Ni gourou fumeux, ni leader charismatique intéressé par l’exercice solitaire du pouvoir, il endosse le qualificatif de messie parce qu’il offre aux hommes la chance d’un dépassement dans les territoires culturels qu’il leur révèle : la peinture hypergraphique, la poésie lettriste, l’esthétique imaginaire, le cinéma discrépant, l’art supertemporel, la kladologie, l’économie nucléaire... Philippe Sers dans son ouvrage Totalitarisme et avant-gardes (Les Belles Lettres) souligne la présence d’« une notion qui va fédérer tous les apports de la judéité en unifiant sa tradition de la distance iconique et la puissance de la loi : c’est la notion de l’ou topos, propre au peuple errant, l’utopie toujours revivifiée par un modèle infini et toujours insatisfaite par les œuvre humaines. » (p. 89) La pensée d’Isou se tient toute entière dans cet ou topos poussé au paroxysme. Le judaïsme a le premier formulé l’exigence progressiste d’une humanité et d’un monde perfectibles : l’invention et la découverte, promues par Isou, marquent des étapes qui sont comme autant d’avancées vers cette utopie paradisiaque enfin rendue réelle :« Je nomme juif tout ce qui aide l’avance du monde (..) Le rôle des juifs, c’est d’égaliser, de créer Dieu dans le monde ». Isou prendra ensuite ses distances avec ce judaïsme originel ; sa Créatique se veut la Table des lois dernière, l’encyclopédie ultime qui complète et dépasse les approximations métaphysiques et philosophiques de ses prédécesseurs. Ainsi il affirme dans Amos ou Introduction à la métagraphologie qu’« à l’aveuglement mystique (ignorance de Dieu) et à l’aveuglement nihiliste (négation de Dieu) il s’agit d’opposer la méthode créatrice (isouienne) qui est la connaissance de la loi à laquelle obéit Dieu et des voies par lesquelles on peut devenir son égal » (p.12). Les théologies passées ont fondé des religions désormais figées dans leurs dogmes et leurs rituels, elles doivent être dépassées dans la mesure où elles sont incapables de manifester concrètement le paradis qu’elles promettent La référence a un ordre transcendant pleinement revendiqué constitue l’aspect le plus déroutant de sa pensée pour le lecteur formé à une modernité désenchantée. Loin des arrières mondes chrétiens autant que du scepticisme et du nihilisme, le divin est une catégorie anthropologique nécessaire qu’Isou n’entend pas abandonner à l’obscurantisme religieux :« Le monde recherche la particule éternelle capable de multiplier intégralement sa joie (…) Le « Paradis » sera une forme d’auto renouvellement intégral. Ceux qui connaîtront son ordre seront, seuls, dignes de lui. Toutes les branches de la connaissance n’ont d’importance que par rapport au Paradis. Les disciplines se sont constituées et formées en elles-mêmes, comme autant de voies centrales ou d’impasses, devenues meurtrières, vers le foyer éternel et intégral de la joie » (Amos p. 10/11) Le divin selon Isou ne relève donc ni de l’extase contemplative, ni de l’ineffable. C’est par l’ascèse créative et ses actes que l’homme actualise le divin qu’il porte et qui est sa seule transcendance légitime. A la contemplation il oppose le geste créateur, au silence mystique la révélation et le prosélytisme de la propagation (des milliers de pages noircies, un soucis patent de vulgarisation, des conférences), aux mystères ésotériques la connaissance et ses lois exotériques, au sacré acéphale et dévastateur d’un Bataille, une méthode d’élévation spirituelle, La Créatique, apte à fonder un nouveau mythe collectif. Greil Marcus commentant cette ambition théologique souligne qu’à l’instar de Dada et de son chaos millénariste, « Isou (déterre) lui aussi la croyance gnostique que ceux qui s’assemblent autour de la vérité, ceux-là et personne d’autre, deviennent les Dieux de la Vérité, et héritent de la terre » (in Lipsticks traces, P. 294, Allia). Rien n’est pourtant plus étranger au théoricien du lettrisme que l’idée de constituer une société secrète, un sanctuaire farouchement gardé, réservé à la jouissance des seuls initiés. Marcus comprend à tort l’histoire des avant-gardes comme un prolongement des hérésies nombreuses (groupe d’initiés, sectes païennes, sociétés secrètes) qui ont accompagné et combattu le christianisme dominant. Ce retour du refoulé mystique n’a sans doute pas épargné le surréalisme, Malevitch ou Kandinsky mais il est à chez eux à lire comme un désaveu, le renoncement aux exigences de l’avant-garde pour un repli sur des positions spirituelles régressives. Ce religieux intempestif tient justement lieu de programme quand l’art et le politique ont cessé d’être une problématique à résoudre et à dépasser. Le surréalisme, dans sa phase terminale, donne un exemple particulièrement confondant de cette régression mystique : après le communisme, le troskysme, l’anarchisme, André Breton en appelle pour finir aux « grands transparents » afin de prolonger un surréalisme moribond. La démarche d’Isou est inverse : si l’avant-garde tombe dans le gâtisme mystique après avoir joué sa meilleur carte, à savoir sa force d’invention formelle, c’est qu’elle n’a pas vu et su résoudre une problématique métaphysique que Nietzsche avait magistralement écartée par la formule : « Dieu est mort ». Alors que les avant-gardes avancent dans les espaces désenchantés et sécularisés de la modernité, en rejetant l’hypothèse transcendantale dans les poubelles de l’histoire, la créatique isouienne renoue avec celle-ci et en renouvelle la substance.
Agrégation : Isou en tant que héros de son propre roman est un personnage « agrégé » d’un type nouveau. Dans son Essai sur le bouleversement de la prose et du roman (Escaliers de Lausanne, 1950) il rappelle que le roman post-balzacien se singularise par une décomposition progressive et irréversible de ses formes organisatrices (l’espace, le temps, et surtout les personnages) :« Les personnages momentanément gagnés par un habile équilibre des nuances souterraines devaient, au premier mouvement volcanique, atteindre leur propre caricature. Ainsi le Père Goriot et le colonel Chabert se transforment en Bouvard et Péruchet. Flaubert, Zola et ensuite Proust représentent l’axe d’anéantissement des types ». Rastignac incarne ainsi le héros-type balzacien et l’idéal romantique : venue de la marginalité, en rupture avec la société, conscient de ses désirs et de ses frustrations, il part à la conquête de l’immensité parisienne. Cette ambition suppose une unité préalable au personnage, une identité définitivement fixée, qui soumet le réel à son ambition. Mais Rastignac est une exception sans descendance : Lucien de Rubempré préfigure bien plus emblématiquement le revers de la médaille romantique, son intégration dans une société médiocre au prix de sa compromission et de ses nombreux renoncements. Frédérique Moreau dans l’Education Sentimentale arrive trop tard à Paris pour devenir artiste, grand écrivain ou politicien… de tout cela il ne sera rien bien sûr et Flaubert, non sans férocité, décrit la chute progressive de cet inconsistant dans le conformisme petit-bourgeois. Bienvenue dans le monde réel ! La négativité des anti-héros du roman moderne tient à leur impossibilité à s’agréger en une totalité cohérente et durable, en terme isouien à « se résoudre » comme problématique individuelle et sociale. D’où leur dispersion qui va jusqu’à la voix indifférenciée, anonyme et lancinante des récits de Samuel Beckett. L’expérience de la société apporte son lot de désenchantements, le héros s’atrophie, revoie ses prétentions à la baisse, s’accommode, et réussit dans l’insignifiance ou rejoint la marginalité et la mort. Le type isouien est au contraire un héros positif, qui refuse à la fois l’échec romantique, l’exclusion et la marginalité revendiquée d’un Chatterton, et l’adaptation réaliste à la survie dominante. En rupture avec la société il fait de sa condition individuelle une problématique sociale qu’il lui faut doublement résoudre. Alors que le romantique désabusé jette un regard rétrospectif sur sa vie en essayant d’en faire un bilan acceptable (« qui suis-je ? qu’ai-je fait ? »), le héros isouien sait lui qui il est et ce qu’il doit faire ; son histoire sera celle de son élévation, non de sa chute, vers une perfection finale et définitive qui fera de lui un modèle, un type littéraire et un exemple édifiant, et surtout réel, pour les jeunes générations. Isou ne connaît que trop bien les pouvoirs de la littérature, la fascination que le romantisme a exercé sur la génération précédente. Le panthéon surréaliste est rempli de prêtres défroqués, de criminels, de révoltés, de dissidents de l’ordre moral et social. Guy Debord ne confessera-t-il pas ensuite éprouver la même fascination pour les conduites délinquantes et transgressives ? A défaut d’avoir changé la société, le raté romantique hante ses marges, sa force d’insurrection séduit mais n’inspire qu’une vaine compassion. Si le romantique part à la conquête du monde, c’est en effet toujours avec ses manques, ses failles, ses fêlures voire ses abîmes ; le héros isouien entreprend le même voyage avec ses pleins, sa plénitude et l’assurance sereine de le mener à son terme victorieux. Il s’impose enfin à la société qu’il contribue à transformer en propageant ses valeurs et devient pour ses contemporains un « classique » :« Autrement que Candide – le vieil individu classique qui ne s’intéressait pas à l’événement temporel, le fuyait même – il s’agissait de bâtir le héros qui, connaissant les valeurs romantiques (action, accident, hasard temporel) sache aussi les ordonner et les intégrer (…) pour aider son bonheur, non pour le perdre »Au terme de cette élévation, le héros Isouien est fin prêt à assurer le rayonnement en acte et dans l’histoire de sa perfection typologique. Le coup de force d’Isou est ici double : non seulement l’Agrégation consacre son auteur comme un Nom dans le domaine romanesque où il apporte un nouvelle typologie de personnage, mais il affiche l’ambition d’être pour ses contemporains le centre référentiel messianique qui initie, accompagne et porte la génération montante : il ne rêve pas de changer le monde, il veut le changer réellement. L’Agrégation reste un livre hybride qui tient de l’autobiographie autant que de la confession ; son auteur se place pourtant sous le double parrainage du mythe et de l’histoire, de l’éternel et de l’évènementiel. Isou connaît les ressorts et les sortilèges de la littérature, il sait que les mots d’esprit et les métaphores fuyantes incitent moins à la dérive collective que les mythes et leur pouvoir de structuration sociale. Il donne au divertissement littéraire la puissance d’attraction et l’envergure d’un mythe augural. Breton et Bataille dans l’après-guerre soulignaient l’urgence de constituer moins une nouvelle école poétique qu’un nouveau mythe fondateur à l’usage d’une collectivité en ruines. L’utopie paradisiaque réactive le parti de l’imaginaire, les rêveries séculaires d’une histoire à la démesure de ses héros, construisant hic et nunc la nouvelle Babylone. Comme tous les Grands récits, la fable isouienne ne déroge pas aux règles du genre : la vision cosmique emporte dans le mouvement de sa prophétie les réticences, les doutes, mobilise les énergies et les volontés à leur paroxysme pour d’inédites épopées qui mêlent furieusement mythe et politique.