mercredi 29 octobre 2008

CRISIS !

CRISIS

Voilà que le vieux Marx fait encore actualité là où personne ne l’attendait plus… Même les plus libéraux avaient fini par oublier que le modèle économique dominant aujourd'hui, que nous nommerons pour faire court Capitalisme financier, n’en continue pas moins de posséder les mêmes travers structurels que feu le capitalisme industriel d’hier : il n’avance que par les crises qu’il génère et qu’il doit, avec les secours de l’ensemble de la société (farce ultime !) résoudre pour prospérer et contribuer malgré tout à un relatif épanouissement de cette même société… mais au prix de combien de luttes !
La crise actuelle ne se résorbe pourtant dans aucun des précédents du 19ème et du 20ème siècle par bien des aspects ; de quoi s’agit-il donc ? Sans jouer les Cassandre et les dames Irma de l’économie politique (laissons cela aux économistes dont le gai savoir vient d’être mis à rude épreuve, ce qui n’ôte en rien la pertinence d’analyse d’un Daniel Cohen ou d’un Jacques Généreux), il semble qu’une période historique peut trouver en cette crise son point d’aboutissement : cette période est grosso modo celle d’une mondialisation reposant sur la priorité donnée à la circulation libre des capitaux notamment au détriment des instances de régulation (légitimité plus que douteuse du FMI, retrait des Etats et disqualification de l’Etat providence, paralysie de la construction européenne), processus accéléré par l’utilisation des nouvelles technologies informatiques qui modifient comme jamais auparavant la temporalité de la vie économique (dans les décisions, les montages financiers, les « bulles » spéculatives d’où cette impression que l’on quitte une crise pour en retrouver aussitôt une autre).
La mondialisation économique achevée (on sait que sur le plan décisif de la question sociale tout a contrario reste à faire et que l’organisation syndicale internationale qui porte les revendications complexes de centaines de millions de salariés n’a que trois d’existence !) oblige cependant à la recherche commune et pour tous de solutions, car elle frappe tout le monde, même si les effets varient grandement d’un pays à l’autre (que l’on compare par exemple les situations respectives de l’Allemagne et de l’Angleterre). Cette période placée sous le signe du « laisser-faire », a permis, la gauche l’oublie souvent, sans nul doute des créations immenses de richesse, celle-ci s’est pourtant accompagnée d’un accroissement des inégalités entre pays et au sein même des pays concernés, jusqu'aux limites du supportable. En France l’impression pessimiste d’un « déclin » traduit dans les classes moyennes la conscience d’un horizon de plus en plus fermé pour leurs enfants, la dégradation des conditions de vie, d’un déclassement par le bas quand l’après-guerre s’était donnée pour ambition de faire fonctionner pour tous le fameux « ascenseur social ».
Car au delà de la « crise financière » actuelle qui s’ajoute à une croissance économique déjà moribonde, il convient de s’inquiéter des possibles dommages collatéraux sur la société dont personne ne peut anticiper la teneur. Sans agiter un catastrophisme qui brouille souvent plus la discussion qu’il ne l’éclaire, faut-il rappeller que la colère sociale peut être un formidable accélérateur de transformation qualitative de la société (que l‘on se souvienne du Front Populaire ou de mai 68) mais aussi le jouet des pires régressions. Il n’est qu’à évoquer combien les inégalités économiques poussent les jeunes en Irak ou en Afghanistan, les laissés-pour-compte d’une richesse qui les tient toujours à son seuil, à habiller d’un vague bavardage mystique leur inexistence économique et sociale, et que cette dimension économique joue dans la montée d’un terrorisme international qui n’a, on le découvre au terme d’une guerre coûteuse dans tous les sens du terme, que bien peu à voir avec le fumeux « choc des civilisations ».
On mesure aussi l’intérêt d’achever le projet européen qui peut contribuer à promouvoir et à faire rayonner son exception, prenant acte des limites d’un capitalisme dérégulé et hautement financiarisé. Mais comment sortir d’un tel système sans garantie de solutions crédibles et durables ? On voit dans l’urgence des décisions prises pour limiter les effets négatifs de la crise actuelle les vieilles lunes revenir avec d’autant plus d’arrogance qu’elles savent qu’elles n’auront sans doute jamais à passer la douloureuse épreuve de l’exercice du pouvoir. Après l’Etat absent, voici l’Etat omniprésent ! Le retour des soviets ? Que non ! Ce n’est pas l’Etat entrepreneur ou l’Etat providence comme dans l’après-guerre mais l’Etat Assurance qui garantit les déboires des agents économiques ! Quant à ceux qui rêvent à quelques « nationalisations » en guise de base programmatique pour les prochaines échéances électorales, qu’ils se souviennent que le Crédit Lyonnais a autrefois été géré par l’Etat, on connaît le résultat !
Cela ne veut en rien dire qu’il faut comme c’est le cas actuellement « privatiser les profits et socialiser les pertes » mais que les missions régaliennes de l'Etat dans un monde économique qui n’a plus rien à voir avec la période des Trente Glorieuses (cette régérence agit comme un inconscient collectif dans la plupart des discours et des représentations politiques) doivent être clairement identifiées, et définis son périmètre et les moyens de son action. Les bulles spéculatives ne cessent d’accumuler des ressources qui échappent ainsi à une redistribution au bénéfice de l’ensemble de la société (par des augmentations de salaires et par la fiscalité). La dérégulation s’est faite jusqu'à présent en grande partie au détriment du salariat (dans les pays émergents comme dans les pays occidentaux), la réhabilitation du travail si chère à notre Président passe d’abord par sa reconnaissance économique, donc par une augmentation des salaires.
Mais au delà de la classique question de la demande, c’est bien l’offre qui doit constituer le centre des révisions déchirantes car elles touchent à l’essence même de notre modèle économique. L’Etat s’engage comme garant des banques, il vient aux secours (comment pourrait-il faire autrement sous peine de créer une crise de confiance généralisée) des turpitudes de la finance, et sacrifie ainsi ses faibles marges de manœuvre présentes alors qu’elles devraient participer à la préparation de l’avenir. Les jeunes apparaissent ainsi comme les perdants provisoires de la crise : la collectivité reste davantage solidaire (ou plutôt contrainte à la solidarité pour une question de survie élémentaire) avec la bourse et ses spéculateurs qu’avec la génération qui vient et qui pourtant détient sans le savoir les perspectives économiques de demain. Les sommes monstrueuses engagées par l’Etat américain laissent par exemple rêveur : on imagine non sans mal les mêmes fonds affectés, non pour éviter les faillites et les banqueroutes des loosers de la finance, mais pour aider des initiatives et des projets innovants, créateurs d’emplois et de richesse, pour le plus grand bénéfice de tous. Réhabilitation d’un libéralisme entrepreneurial ? Et alors, les nouvelles technologies avant de devenir affaire de spéculation ont émergé grâce à des externes qui ont du bousculer l’organisation économique, un capitalisme ronronnant et ses marchés acquis, avant d’être avalés par elle. Bis repetita ? A Gauche, on ne cesse d’en appeler à une économie des services, de la qualité de vie et du développement durable, bref à cet « immatériel » dont André Gorz revenu du productivisme industriel et du prolétariat, avait fait sa cause et qui met au premier rang des priorités publiques l’éducation et la formation. Mais l’argent ne va pas aux externes, il va au rentiers qui ont joué avec leurs rentes, la richesse collective, des entreprises, des emplois, et ont perdu !
Nb : quelques livres pour approfondir la discussion ; par ailleurs, il m’est impossible de citer toutes les contributions lues, polméiques, contradictoires et passionnantes, lues ces dernières semaines dans la presse ou sur le Web mais elles témoignent d’un événement rare : l’économie est devenue une affaire publique que intéresse visiblement au plus haut point les simples citoyens que nous sommes et c’est vraiment une bonne nouvelle ! Chacun veut comprendre, et comprendre pour agir !
- Elie cohen : L’Ordre économique mondial : essai sur le pouvoir régulateur (Fayard)
- Elie Cohen : Le nouvel âge du capitalisme (Fayard)
- Jean Peyrlevade : Le Capitalisme total (La République des idées)
- Jean luc gréau : Le capitalisme malade de sa finance (Gallimard/le Débat)
- Jean luc Gréau : l’avenir du capitalisme (Le Débat/Gallimard)
Cela en attendant la mise en ligne d’un manifeste d’Isou, publié dans l’Union des jeunes, des créateurs et des producteurs conscients (programme Ô combien d'actualité !) publié il y a quelques années et qui fourmille d’idées !

mardi 21 octobre 2008

Belle planche où l'équivoque Wolmanienne joue sa pleine finesse qui est aussi sa puissance : NOUS ETIONS CONTRE LE POUVOIR DES MOTS/CONTRE LE POUVOIR ou faut-il davantage lire LE POUVOIR DES MOTS CONTRE LE POUVOIR ? La seconde proposition renvoie à la faillite du détournement, comme l'écriture automatique d'hier devenue poncif, tic et manière de littératurer à moindre frais, présentée comme l'arme définitive de la guerilla situationniste dans le champ culturel, à défaut d'un prolétariat en insurrection. Les mots d'ordre affichés, dans tous les sens, en mai 68 ("fin de la société spectaculaire et marchande"), une fois les batailles de l'histoire achevées, nous reviennent modestement par la petite porte autrefois méprisée de l'Art et des aventures, non moins décisives que celles de l'économie politique dans un projet transformation de la société, qui s'y jouent. Mais la réthorique marxisante a stérilisé les esprits, les langues et les consciences tandis que l'artiste Wolman tel l'obscur travailleur envisagé par Rimbaud, abandonné en cours de route, continuait à explorer, à défaire les discours, les concepts, les représentations devenus les mots d'ordre exclusifs d'un nouveau dogmatisme.