jeudi 27 décembre 2018

EDGAR MORIN A PROPOS DES GILETS JAUNES

"Ce qui est intéressant dans les rassemblements des gilets jaunes, c’est qu’à la différence des rassemblements de personnes unies par une idéologie commune (les manifs de gauche du passé, la manif pour tous) c’est qu’ils lient évidemment dans une communauté de refus des personnes d’idéologies non seulement hétérogènes mais souvent contraires. Or cette hétérogénéité d’idéologies et de croyances, c’est l’hétérogénéité du peuple français, et dans ce sens ils constituent un parfait échantillon de notre peuple : il y a de tout chez eux, des cultivateurs, des routiers, des commerçants, des salariés, des salariées, des ménagères, des jeunes, des fachos, des anars, des ultra-gauchos, des furieux, des paisibles, des apolitiques, des hyperpolitisés. On y rencontre le pire de l’extrême droite et le plus délirant de l’extrême gauche. Mais le gilet commun les fraternise, de même que la brutalité policière : l’énorme arsenal déployé contre eux ce samedi aux Champs Élysées leur donne un sentiment de communauté de destin qui, pendant un temps, va occulter tout ce qui les divise voire oppose."
SOURCE MEDIAPART (I C I)

mercredi 26 décembre 2018

PETITE LICENCE UCHRONIQUE : LENINE ET LES GILETS JAUNES....

La multiplication des réserves (indispositions, gènes, nausées..) de la "gauche intellectuelle et prescriptrice d'opinion" (hum...hum...les "assis" et leur '"morale" ?) à l'endroit du mouvement des Gilets Jaunes désormais suspecté des pires tares (I C I) nous oblige à relire nos classiques de la contestation sociale  et à affirmer plus encore notre total soutien à ce mouvement populaire qui, authentiquement externiste, malgré ses faiblesses, pose de manière brûlante la Question sociale en des termes inattendus que beaucoup de nos "internes", perplexes, préfèrent balayer d'un revers méprisant : 
"Croire que la révolution sociale soit concevable sans insurrections des petites nations dans les colonies et en Europe, sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c'est répudier la révolution sociale. C'est s'imaginer qu'une armée prendra position en un lieu donné et dira "Nous sommes pour le socialisme", et qu'une autre, en un autre lieu, dira "Nous sommes pour l'impérialisme", et que ce sera alors la révolution sociale ! C'est seulement en procédant de ce point de vue pédantesque et ridicule qu'on pouvait qualifier injurieusement de "putsch" l'insurrection irlandaise.
Quiconque attend une révolution sociale "pure" ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n'est qu'un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu'est une véritable révolution.
La révolution russe de 1905 a été une révolution démocratique bourgeoise. Elle a consisté en une série de batailles livrées par toutes les classes, groupes et éléments mécontents de la population. Parmi eux, il y avait des masses aux préjugés les plus barbares, luttant pour les objectifs les plus vagues et les plus fantastiques, il y avait des groupuscules qui recevaient de l'argent japonais, il y avait des spéculateurs et des aventuriers, etc. Objectivement, le mouvement des masses ébranlait le tsarisme et frayait la voie à la démocratie, et c'est pourquoi les ouvriers conscients étaient à sa tête."
Lénine : sur l'insurrection irlandaise (I C I)

dimanche 16 décembre 2018

MOUVEMENT DES GILETS JAUNES : ACTE V ET APRES ?

Dans la dramaturgie classique, tout, comédie ou tragédie, doit se jouer en cinq actes ; le mouvement des gilets jaunes n'échappe pas à cette règle même si on doit lui reconnaître d'avoir su éviter les poncifs de ces deux genres et leurs avatars ; la violence insurrectionnelle et policière n'a pas eu le dernier mot, le pouvoir politique débordé par cette contestation inédite dans son expression a fini par se résoudre à lâcher quelques concessions, à suspendre sine die une politique certes ambitieuse mais devenue illisible. Certains ont noté qu'il y avait là plus qu'un virage, mais une véritable réorientation d'un quinquennat jusque là attaché à provoquer une relance économique par l'offre. Ne rêvons pas. Les concessions improvisées par le Président lui permettent sans doute de gagner du temps, d'arrêter un moment une contestation qui rencontrait une réelle sympathie dans l'opinion, du jamais vu depuis 1995. L'ingénierie bureaucratique promet quelques différés et de nombreux couacs. Nous les verrons très vite. Mais cette aventure ne s'arrêtera pas tant que les problèmes que ces gilets jaunes ont portés dans l'espace public, à tous les ronds-points de France, n'auront pas trouvé de réponse satisfaisante et durable. Le pouvoir, qui a tant tablé comme argument électoral, sur l'idée de réforme, de transformation et surtout de progrès ne peut se satisfaire de cette baisse de régime de la contestation, prévisible après 5 semaines de mobilisation, hors de toute structure, sans aucun appui. Nul doute que le Président, pris au piège d'une dynamique qui a pourtant porté son propre mouvement La République en Marche, n'a d'autre souci à l'heure actuelle que de répondre à "l'état d'urgence économique et social" qui visiblement lui avait échappé jusque là. Car cette première bataille en 5 actes, en annonce d'autres, sous des formes différentes sans doute (la question de listes Gilets Jaunes européennes semble poindre) ; c'est le moment, de fournir un état des lieux de la contestation et de ses opposants, de prendre la mesure d'une révolution en marche qui n'est ni une "farce" pour reprendre la formule de Marx ni heureusement une tragédie comme le mouvement ouvrier en a connu tout au long du XIXème siècle.

Ce qui frappe d'abord chez les Gilets Jaunes, c'est le procès de toutes les médiations politiques et médiatiques mené en permanence comme si par principe était refusée toute forme d'organisation hiérarchique. On s'étonne que la gauche sénile incarnée ici par un Daniel Cohn Bendit (mais La Règle du Jeu, Lobs n'étaient pas en reste pour cracher avec élégance sur ce mouvement I C I/I C I/ et L A) bien fatigué ait pu voir dans ce mouvement un penchant inquiétant pour une solution "autoritaire". Leur anarchisme fondamental les condamne pour l'instant à l'impuissance et à l'inefficacité mais combien de décennies a-t-il fallu au mouvement ouvrier, combien de révoltes écrasées, avortées, de morts pour qu'il puisse s'organiser et peser de manière efficace dans le non dialogue social de l'époque ? A l'heure du numérique et des réseaux sociaux, soyons optimistes et gageons qu'il leur faudra moins de temps et de morts pour parvenir  à asseoir dans une forme solide des revendications qui rencontrent un écho bien au delà de leur mouvement. Mais leur défiance est à la mesure d'une défaillance de la représentation politique et de ses interlocuteurs médiatiques. Depuis trop longtemps des pans entiers de la société sont sortis du jeu électoral qu'ils observent indifférents en spectateurs désabusés. Le Président pensait sans doute que pour séduire ces catégories modestes, sorties des radars de l'urgence politique, il suffisait d'afficher ostensiblement son goût pour le Foot-Ball à l'occasion de la coupe du monde, ou son admiration pour le chanteur Johnny Halliday dans un discours dithyrambique prononcé le jour de ses obsèques, visiblement ce peuple souvent caricaturé a d'autres attentes. L'entre-soi politico-médiatique disqualifie ceux et celles qui n'en partagent ni l'agenda ni le langage ; il ne s'agit pas ici de justifier l'hostilité des manifestants à l'encontre de certains médias d'informations en continue, mais la manière dont la presse puis les canaux audiovisuels habituels ont  dans un premier temps rendu compte de ce mouvement, entre "stupeurs et tremblements", pour le disqualifier à l'aide des mots-pièges attendus ("populisme"), est à la mesure d'une fracture devenue béante entre ceux qui valident l'ordre des choses et les pouvoirs établis et ceux pour qui cet ordre et ces pouvoirs représentent le problème par excellence.  Tout se passe comme si la presse n'était plus là pour interroger l'ordre du monde mais pour le garantir et le défendre ("ce qui est bon paraît, ce qui paraît est bon" Guy Debord). Presse, médias et politiques sont confondus dans une même détestation par ceux-là mêmes qui y voient un pouvoir légitimant qui se passe de leurs suffrages et obéit à d'autres priorités. Voici des médiations qui ne servent plus de relais entre le monde social complexe et les citoyens, les élus, voici donc des représentants qui oublient que leur mandat les oblige à porter et à défendre les demandes, les intérêts, les exigences de leurs concitoyens. La démocratie représentative est en crise, Rosenvallon en a fait la matière d'une suite d'ouvrages brillants, et Ségolène Royal voyait il y a encore peu la démocratie participative comme une alternative à cette situation critique. Les prescripteurs d'opinion et les politiques en appellent à la représentation comme si hors d'elle il n'était pas de vie démocratique possible, ils s'empressent en conséquence de dénoncer comme un "danger" le mouvement des gilets jaunes... et si c'était le contraire qui était vrai, si ce mouvement était l'occasion de poursuivre une aventure, celle de la démocratie, dont la forme "représentative" et "républicaine" ne constitue pas le fin mot, et sur laquelle l'esprit critique est sommé de ne pas se prononcer. Certains heureusement ne s'en privent pas et avec des mots acides qui font mouche à chaque phrase (I C I)
Beaucoup ont fait un rapprochement avec mai 68 pour en souligner toutes les différences ; le contexte économique d'abord (elle est loin la croissance, et ses généreuses marges de manœuvre), le caractère dispersé, et presque non parisien de ce mouvement social se déclinant plutôt aux sorties des villes, l'appartenance à L'Union Européenne et ses impératifs (déficit public maîtrisé), l'intervention tardive des étudiants et des lycéens alors qu'en 68 ils étaient l'avant-garde, les réseaux sociaux... C'est Gérard Mordillat (LA BEAUTE ET LES HUMILES) qui a sans doute eu les mots les plus justes pour dire tout ce qui sépare les journées de décembre 2018 des utopies de mai 68, voilà qui démontre avec brio que toute vieillesse n'est pas un naufrage... Mais il est un point qui rapproche indubitablement ces deux moments ; ici comme là, des hommes et des femmes, pris dans des routines infernales ont cessé de fonctionner, de jouer le jeu des obligations sociales ; ces ronds points où personne ne s'arrête jamais, qu'empruntent les automobilistes pour honorer leurs obligations professionnelles, ont été investis et donc subvertis, des individus atomisés jusqu'à l'absurde (comment ne pas penser à ce slogan de 68 "perdre sa vie à essayer de la gagner"), ont recrée sur ces points une forme élémentaire et inattendue de sociabilité, une micro-place publique où chacun a pu venir décliner ses doléances et ses colères, partager et construire un espace commun, une solidarité dans l'action et dans la conscience d'une communauté d'expérience (à lire pour les abonnés au Monde le très bon papier de Florence Aubenas I C I) ; ce sont là des moments infra-politiques mais qui possèdent plus de sens politique que tous les exposés brillants qui font l'ordinaire des cours dispensés à Sciences_Po ou à l'Ena. Il faut donner maintenant à cette expérience collective les mots, les concepts et les perspectives du Politique...
Les contre-feux de la réaction n'ont pas manqué ; de manière récurrente revient le spectre du Rassemblement National à la manoeuvre en coulisse... Comme dirait l'autre, il y a les bons et les mauvais complots... Les dérapages montés en épingle dans la novlangue médiatique "homophobes, racistes, sexistes, antisémites" sont venus comme les preuves du caractère liberticide voire démoniaque de ce mouvement qui attaquait aussi frontalement la représentation politique ("Macron démission") et l'univers de la noblesse médiatique, ses petits marquis courroucés. Sur la question de l'extrême droite je crois qu'il faut prendre au sérieux les propos terribles de Christiane Taubira sur la "responsabilité de la gauche" (I C I) dans la colère des gilets jaunes ; la gauche institutionnelle a depuis longtemps laissé pour morte la question sociale, c'est sans doute l'aspect le plus étonnant du Rassemblement National que d'avoir remplacé le Parti Communiste dans sa fonction tribunitienne, et d'avoir cristallisé le mécontentement des gens modestes, sans voix, désormais sans importance pour une gauche de notables. Là où je vis et travaille, j'ai pu aussi constater que des français issus de l'immigration n'étaient pas insensibles aux thèmes du Front National nouvelle mouture. A chacun son paradigme et ses succès ; Le Président ne cesse de se présenter comme un rempart démocratique contre tous les populismes, La France insoumise et le Rassemblement National jouent de leur côté à fond l'opposition des élites contre le peuple avec un succès inégal (désolé mon cher jean-Luc...).  J'ajouterais reprenant en cela les propos de Mordillat qu'un mouvement social se caractérise par une mise en mouvement de la société dans toute sa diversité autour de points de revendication partagés ; qu'il y ait des propos "sexistes ou homophobes" n'est donc pas un surprise, ce qui est surprenant c'est de les grossir jusqu'à en faire un critère de délégitimation qui entend passer sous silence le caractère autrement plus significatif d'une critique de la représentation politique instituée. J'ai relu les slogans immortalisés de mai 68, "ne dites pas monsieur le professeur, dîtes crève salope" et tant d'autres qui suintent aussi leur lot de masculinisme ordinaire, je sais ce que voulaient les étudiants de Nanterre (accéder aux dortoirs des étudiantes), je n'ai jamais su ce que voulaient les étudiantes, sans doute là comme ailleurs elles devaient être "belles" et se taire ! Mais ce sexisme d'ado attardé dans les slogans et l'iconographie ne disqualifie en rien ce formidable laboratoire politique que fut la "commune" de la Sorbonne en 68.  Que ces censeurs sourcilleux ouvrent les yeux ; les femmes sont étonnamment très présentes dans le mouvement des gilets jaunes et pas comme des seconds couteaux. Voilà qui devrait faire réfléchir nos plumitifs ahuris ! Enfin, le moment révolutionnaire est justement cet instant qui défait tous les acquis antérieurs pour fédérer des hommes et des femmes qui une semaine auparavant se seraient sans doute totalement ignorés ; sur la barricade au moment du combat, on ne demande pas à celui qui se tient à vos côtés s'il est vegan ou pas, s'il est pour le mariage pour tous, s'il est de gauche ou de droite... une forme nouvelle de fraternité tient ceux là mêmes que tout peut être hier encore opposait. Cinq semaines de conflit ont permis de décanter les choses ; si beaucoup de gilets jaunes sont réfractaires pour l'instant aux formes traditionnelles et institutionnelles de la vie politique, si beaucoup parmi eux ne veulent rien entendre des syndicats ou des partis, deux sensibilités a priori contradictoires se font jour peu à peu, un pôle plutôt "droitier" porté par le groupe Les Gilets Jaunes libres et un pôle libéral, égalitaire et solidaire brillamment représenté par les gilets jaunes  de La France en colère réunis devant l'opéra ce samedi et dont je ne peux que soutenir les revendications ; c'est en vain qu'on s'amusera à les opposer, comme on pourra demain trouver mille nuances parmi d'autres sensibilités des gilets jaunes, c'est un mouvement d'outsiders qui fait exploser les cadres habituels du dialogue et du conflit social, ils se séparent de toutes les procédures, stratégies, jeux d'alliance connus ; il faut donc voir qu'ils peuvent se rassembler autour d'une plateforme commune revendicative, malgré tout ce qui peut par ailleurs les séparer, en l'occurrence, une critique de l'Etat, de sa fiscalité, de son efficacité et de son coût, une défense de la valeur/travail comme condition de l'autonomie, une exigence de justice sociale... tous ces points peuvent largement être débattus par l'ensemble de la société : quel état providence au XXième siècle, quel modèle social ? ce n'est pas une défense réactionnaire de situations acquises mais bien une demande de réformes qui touchent tous les aspects de la vie économique et sociale. Ce sont les invisibles de la mondialisation heureuse qui entrent en lutte pour exister, pour abolir l'univers de la survie quotidienne à laquelle le jeu politique les condamne. La gauche saura-t-elle s'en emparer ou laissera-t-elle à Emmanuel Macron  la tache ardue de mener cette "révolution" jusqu'au bout ? A suivre....






BARRICADES PARISIENNES 2018













vendredi 7 décembre 2018

le mouvement des gilets jaunes : le retour de la lutte des classes ?

Le mouvement des gilets jaunes a pris de court tout le monde ; politiques, journalistes, spécialistes des questions sociales, politologues aguerris, responsables syndicaux, personne n'a vu venir ce retour de flammes que beaucoup peinent à comprendre, qui échappe par bien des aspects à tous les précédents auxquels certains souhaiteraient les réduire. L'aspect apolitique, la diversité des revendications empruntant aussi bien à la "colère fiscale" (d'inspiration libérale, portée souvent par la droite) qu'à des demandes de justice sociale, de pouvoir d'achat et d'amélioration des services publics (plus marquées à gauche), la diffusion de cette colère sur l'ensemble du pays et non dans quelques lieux hautement symboliques, sa puissance d'irradiation virale par les réseaux sociaux, tout concourt à rendre illisible selon les standards habituels du commentaire politique ce mouvement qui autorise autant des lectures de gauche que de droite. 
Il est étonnant de voir que tous ceux qui n'avaient pas vu venir cette insurrection 2.0 ont immédiatement cherché à en disqualifier la teneur insurrectionnelle et les demandes paradoxales. L'expression "chiens de garde" n'a jamais été autant d'actualité : que l'on compulse les premières réactions il y a trois semaines de la presse "progressiste", "éclairée" et l'on prendra la mesure des "préjugés de caste" qui ont conduit nos éditorialistes bavards à passer à côté de l'histoire en marche ; au hasard des lectures j'ai appris que ce mouvement n'était là qu'un avatar du "poujadisme", du "boulangisme", du "lepénisme", que tout cela ne mènerait qu'à "l'autoritarisme", à des ligues liberticides... bref, tout cela était "dangereux" autrement dit indisposait des plumes et les voix qui il y a quelques années se seraient rangées aux côtés de ces nouveaux "déclassés" en quête de justice, de dignité, de reconnaissance... mais non, les temps ont décidément changé, les coups les plus durs, les jugements les plus expéditifs et les plus infamants sont venus... de la gauche  ! Ce gilet jaune phosphorescent est à lui seul un drapeau et un déclaration : ces gens là sont seuls dans la nuit, ni les syndicats, ni la gauche intellectuelle (à l'exception notable du triptyque Todd, Guilluy, Michea), ni leur propre représentation traditionnelle (gauche comme droite) ne les voient, ils sont l'ombre portée d'une mondialisation heureuse, ils n'ont pas disparu, ils décrochent, ils tombent, mais ils sont toujours là et ils sont là pour longtemps ; c'est le coursier qui vient livrer vos vêtements achetés sur un site web et livrés à domicile en une journée, ce sont ces femmes (beaucoup de femmes chez les Gilets jaunes, qu'en pensent nos féministes officielles qui militent pour l'écriture inclusive ?) qui cumulent les temps partiels pour permettre à leurs enfants d'avoir une vie décente, ces salariés qui partent tôt le matin et rentrent tard le soir, en voiture ou dans les RER bondés, parce qu'ils travaillent très loin de chez eux, ne pouvant plus se loger à proximité de ces grandes villes toutes interchangeables où la "france gentrifiée" tient désormais ses quartiers inaccessibles au commun de ces néo-prolétaires... Et voilà qu'ils décident de sortir de leurs périphériques, de se rappeler au bon souvenir d'une majorité et d'un Président qui leur avait promis la "révolution" dans un remarquable livre/manifeste. Alors jacquerie ? révolte ? insurrection ? Révolution ?
ici je tenterai une lecture externiste de ce mouvement que nos éditorialistes ne peuvent/veulent comprendre ; certains y ont vu le salutaire et espéré retour d'une lutte des classes sur le modèle des grands précédents de la Commune de Paris ou du Front populaire ; il est vrai que la rhétorique et les rappels à l'ordre de toutes les ORTF du moment (mention spéciale à BFM là se trouvent quelques futurs ministres de l'information !) évoquent furieusement la presse bourgeoise conservatrice "versaillaise" qui appelait à faire "sonner la troupe" contre le "socialisme" rampant des communards... Mais au final tout est bien plus complexe ; les hommes et les femmes qui arborent les gilets jaunes ne sont pas réductibles aux exploités et aux opprimés que les organisations marxistes représentaient autrefois, ils appartiennent à ces catégories sociales hier  encore normatives qui dans la nouvelle donne économique sont peu à peu externalisées, "outsiderisées", reléguées aux marges d'un meilleur des mondes,  propriété de nouveaux insiders, heureux gagnants d'une économie ouverte où ces derniers trouvent spontanément leur place. L'erreur du Président, outre le fait d'avoir réduit la "république en marche" aux seules CS+ qui forment le gros de ses sympathisants, tout en offrant un diagnostic et des perspectives à l'ensemble des outsiders qui y ont vu une promesse d'avenir et d'amélioration de leur vie dans ce qu'elle a de plus élémentaire, est d'avoir cédé au credo du libéralisme classique : dans le schéma isouien la révolution "en marche" LREM se réduit aux seuls gagnants de la nouvelle économie, avec l'idée que la bonne santé de ces premiers de cordée rejaillira mécaniquement sur l'ensemble des catégories sociales. Mais le Président découvre que l'histoire n'est pas écrite pas les gagnants, bien au contraire, ceux-ci défendent des situations acquises, tandis que les outsiders n'ont d'autre choix que de subvertir l'ordre existant pour exister, politiquement, économiquement, socialement. Ma sympathie leur est acquise, n'en déplaise à tous les Roger Gicquel qui se répandent en images ou en textes pour nous expliquer que la France doit avoir peur devant cette peste jaune, où en sommes nous arrivés pour considérer avec mépris les demandes de ceux et celles qui veulent juste "vivre dignement de leur travail", comment la République qu'ici et là on nous demande de défendre par tous les moyens, y compris les plus répressifs, policiers, a-t-elle pu à ce point devenir "censitaire" ? Les insiders ( les internes dans le vocabulaire d'Isou) occupent aujourd'hui les grandes métropoles qui concentrent des services publics de qualité, les secteurs innovants de l'économie, une population pleinement  en phase avec la mondialisation heureuse, et ses gains matériels... au delà du périphérique commencent les problèmes, les banlieues et plus loin les zones périurbaines et leur déclassement... Tandis que je termine ce post, j'apprends que PAris se "barricade" dans l'attente d'une journée dont depuis une semaine on ne cesse de nous annoncer qu'elle sera "terrible", il fut un temps où dans ce même Paris les communards dressaient des barricades contre le pouvoir versaillais ! Ce n'est pas un classique retour de la lutte des classes mais bien un conflit inédit entre déclassés et surclassés, insiders et outsiders.  Et l'on comprend d'autant mieux cette irruption des lycéens et des étudiants dans un conflit qui de prime abord ne les concerne pas : la galère comme communauté d'expérience laisse entrevoir ce que ce monde non réformé leur offrira ; les gilets jaunes de demain seront peut-être tous titulaires d'un Master universitaire plafonnés dans leurs revenus et leurs perspectives de vie, les étudiants connaissent déjà ces conditions précaires (leurs difficultés matérielles sont largement documentées), ils anticipent que la promesse républicaine d'un surclassement par le diplôme qui valait pour leurs parents n'est peut-être plus d'actualité, toutes ces années de servitude pour quel résultat ? Dans cette convergence des luttes externes qui n'aura pas lieu pour l'instant, il manque la banlieue, qui commence à bouger (un comité Adama Traoré était présent aux manifestations de dimanche dernier), car nombre de leurs habitants ne sont pas des "assistés" mais des salariés en galère comme leurs homologues des zones périphériques. Les émeutes de 2005 avaient mis en lumière ce paradoxe de zones enclavées aux portes de Paris.
Je n'ai jamais goûté le lyrisme de la violence cher aux situationnistes, la course en avant vers toujours plus de radicalité est une impasse ; les commerces détruits, les blocages ont des conséquences économiques dont ces mêmes gilets jaunes seront demain les premiers à pâtir. On entend résonner de plus en plus l'injonction "Macron Démission", les circonstances historiques révèlent les hommes, distinguent les grands des seconds couteaux insignifiants, je mesure tous les manques  du président actuel, comme si la promesse macroniste, avec tout ce qu'elle comportait d'inédit, n'avait été qu'un argument publicitaire destiné à mettre à la première place un chef d'entreprise attaché d'abord à récompenser ses cadres performants, mais autour de lui quelle alternative ? Je ne pense pas contrairement à Serge Rafy (ICI) que les extrêmes soient en embuscade et menacent notre Démocratie, et pour tout dire je considère que la France Insoumise et le Front national sont des offres politiques comme les autres, aussi respectables et aussi défaillantes que les autres à savoir "partielles, insuffisantes, falsificatrices" et donc incapables de proposer des réponses économiques, sociales durables aux crises que traverse pays. Mais le Président doit parler et sortir d'un libéralisme restreint qui ne s'intéresse qu'aux heureux gagnants d'une mondialisation de plus en plus grippée. La République en Marche doit marcher jusqu'à cette France périphérique et non se bunkériser dans les grandes villes ! 
J'ai dans le cadre d'un bulletin dont le nom frappe par son urgence (Union de la Jeunesse, des Créateurs et des Producteurs) publié le dernier manifeste politique d'Isidore Isou, je suis saisi par l'actualité des points développés sur la fiscalité, la réforme de l'état et de la vie politique, la prise en compte des marges de l'économie officielle (jeunes et outsiders), et l'ambition de refonder un contrat social ouvert à tous, avec le projet fervent d'un progrès social dont beaucoup semblent faire leur deuil. Je le remettrai en ligne prochainement. Et Demain, 89000 policiers assureront quoi ? la maintien de l'ordre ? N'est-ce pas plutôt une déclaration de guerre ? Du jamais vu ! Les enjeux sociaux méritent mieux que cette dérive policière... mais ce qui devrait nous inquiéter, ce sont non les "casseurs" et les "ultras" qui seront malheureusement là bien sûr, mais plutôt les insiders, nos heureux gagnants, les bénéficiaires de l'ordre établi, et leur volonté aveugle de garantir fût-ce au pris des pires injustices l'ordre d'une république dont les valeurs de "liberté, égalité, fraternité" sont bafouées depuis trop longtemps ; le XIXème siècle a montré à quelle sauvagerie ces gardiens sourcilleux de l'ordre formel pouvaient se livrer face aux manifestations ouvrières ; demain dira de quelle étoffe est fait ce pouvoir, demain dira si l'ordre doit l'emporter sur la justice.

DE L'ETAT PROVIDENCE A L'ETAT POLICIER ?



SOURCE LIBERATION I C I

TRIBUNE l'éducation mérite mieux que descentes de police et coups de matraque i c i

jeudi 6 décembre 2018

L INSURRECTION QUI VIENT ?

(gilets jaunes dépavant l'avenue de Friedland source Libération)

"Le même refus d'envisager de désagréables réalités apparaît encore mieux dans tes réflexions sur ces barricades du samedi 6, où selon toi "jeunes loubards de banlieue, lycéens parisiens et adultes de tout poil se retrouvèrent plutôt fraternellement". Il est remarquable que tu n'envisages pas la possibilité que la police, sans même parler des provocations particulières plutôt inutiles, ait abandonné trois heures durant le terrain à l'émeute, pour pouvoir ensuite monter en épingle "la violence", etc. Il est vrai que ce genre de manipulation est à double tranchant, et peut aussi bien, s'il y a une foule bien décidée à l'affrontement, lui donner le temps de s'organiser. Mais c'est justement ce qui ne s'est pas passé ce soir là, et c'est bien cette indécision générale qui a pu donner à l'acharnement de quelques-uns un caractère d'irréalité, sans qu'il faille pour cela condamner chaque individu présent, bien sûr, mais non plus le glorifier comme un Alexandre de l'émeute" 
lettre de Jaime Semprun à Jean-Pierre Baudet, le 2 mars 1987, in Jean-François Martos Correspondance avec Guy Debord, Le fin mot de l'histoire, 1998

dimanche 2 décembre 2018

PARIS BRULE-T-IL ?



(incendie des Tuileries lors de la commune de Paris)


(véhicules incendiés lors de la manifestation du 01/12/18)



(barricade dressée par les manifestants le 24/11/12)

dimanche 11 novembre 2018

NEWS FROM ACQUAVIVA


                                                                                                                             

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dimanche 21 octobre 2018

NEWS FROM DAMIEN DION :






DAMIEN DION SCRIPSIT :

"- Le lancement du premier numéro de Mâtin, revue chromatique, bâtarde et sans collier. Cette revue est une revue papier d'environ 150 pages en bichromie imprimée en offset
 A chaque numéro, une couleur, de laquelle découlent de multiples contenus critiques, théoriques, anecdotiques, fictionnels et artistiques attachés à divers domaines (critique sociale, histoire, politique, sciences, art, littérature...).
Le premier numéro est Mâtin Brun.
 En tant que membre du comité éditorial et responsable de la partie "art", j'ai invité les artistes Florian Cochet, Lucie Planty et Timothée Schelstraete à y intervenir.

Le lancement a lieu mardi 23 octobre de 18h à 22h30 au Doc! 26 rue du Dr Potain, 75019 Paris. Outre la revue, il y aura du son, du boire et du manger, l'entrée est libre et ça va être fabuleux (de toute évidence).

Pour plus d'information : https://www.revuematin.org 

- Autre événement non moins fabuleux : l'exposition Living Cube#2, organisée par la commissaire d'exposition Élodie Bernard à Orléans du 27 octobre au 11 novembre. Vernissage vendredi 26 octobre de 18h à 22h. L'exposition se situe dans un appartement privé, pour plus d'informations : 0695572143 ou b.elodiebernard@gmail.com

J'y participe aux côtés de Mariano Angelotti, Michael Buckley, Pierre Budet, Kim Hospers, Thomas Lévy-Lasne, Nicolas Loiseau, Mazzacio&Drowilal, Samir Mougas, Alexandre Benjamin Navet, Jean-Michel Ouvry, Gwendoline Perrigueux, Zach Reini, Mathieu Renard, Marie Samson, Clara Thomine et Florian Viel."

samedi 29 septembre 2018

ACQUAVIVA ON BBC-RADIO 3 TONIGHT !




SAMEDI 29 SEPTEMBRE, 10PM (UK) / 11PM (FR)
BBC-RADIO 3
A coproduction France Culture / BBC

Frédéric Acquaviva :  £pØ@n®diØn$n 
(Concerto pour ville et voix)
(2018, 57')
with Loré Lixenberg, voice

https://www.bbc.co.uk/programmes/m0000kfz

mercredi 1 août 2018

VIES ET ETERNITE DU PHENIX MB



Début juillet nous avons appris la mort de Maurice Lemaître, figure majeure du mouvement lettriste. Sa personnalité, son engagement ininterrompu depuis ses premières armes aux cotés d'Isidore Isou ont longtemps contribué à faire de lui en quelque sorte la voix officielle d'une avant-garde dont il a porté tous les combats esthétiques et politiques. Révélé à la littérature par la lecture du Voyage de Céline, pigiste littéraire au Libertaire, il rencontre en 1949 un Isidore Isou heureux de pouvoir promouvoir auprès d'un journaliste sensible aux questions politiques les idées développées dans le livre qu'il vient alors de publier, à ses frais, Le Soulèvement de la jeunesse. Le jeune Lemaître est immédiatement séduit par l'Utopie politique qu'il y découvre, elle vient répondre à certains de ses doutes face au marxisme et à l'anarchie qu'il a rejoint presque faute de mieux, il entrevoit à la lecture des textes d'Isou la matière d'une oeuvre à venir possible, poétique, artistique, théâtrale et très vite cinématographique. Avec Isou il découvre et se découvre une vocation, et un destin, dans le brouillard existentialiste de l'après-guerre : "Maurice Lemaître a ainsi que les siècles se réduisent à quelques noms. Et sur ce globe personne n'a jamais vécu que Socrate, que Dante, que Joyce ! Il sait que les passions meurent. Mais que le monde est soumis à une seule loi implacable, une seule détermination absolue : celle de la création" (in Le film est déjà commencé ? 1951) 
Il fut sans doute, ainsi que lui-même l'a écrit, le premier lecteur réel d'Isou ou au moins le premier à le prendre totalement au sérieux, à en tirer toutes les conséquences. Et à édifier une oeuvre polymorphe sur ce socle fondateur.
C'est le début d'une aventure où Lemaître se dépense et dépense pour répandre la bonne nouvelle lettriste dans chaque lieu où le groupe, assuré de sa légitimité historique, porte le fer polémique ; il fonde la revue UR (deux séries majeures dans les publications lettristes), le Centre de Créativité où il ne cessera de publier revues, bulletins, tracts, organise des manifestations, tente des dialogues impossibles avec les officiels du moment, édite Isou face aux défections ou aux frilosités des éditeurs professionnels, accueille et forme les nouveaux-venus dans le groupe, ouvre les tribunes reconnues où il exerce son métier de journaliste et de directeur de rédaction à l'avant-garde (la revue Paris-théâtre dans les années 60, mais aussi la revue Poésie Nouvelle) ... et mène en parallèle une oeuvre dans chacun des domaines  "révolutionné" par les Manifestes de celui qui restera son magister ultime : théâtre ciselant et discrépant, récit métagraphique avec sa somme Canailles, cinéma fuyant l'écran pour installer le spectacle dans la salle même (syncinéma).... On peut dire qu'il incarne une certaine orthodoxie lettriste à un moment où le groupe, réuni autour de quelques principes fédérateurs, brillait par son instabilité. D'ailleurs l'adjectif "isouien" qu'il forge à l'occasion d'un premier ouvrage de vulgarisation (Qu'est-ce que le lettrisme et le mouvement isouien ? Fischbacher, 1954) n'est en rien un aveu de servitude, il fixe un idéal : se dépasser selon une discipline spirituelle (la connaissance de la création et de ses lois) pour incarner cet "homme nouveau" qui prétend égaler les dieux d'hier dans leur gloire et leur immortalité, se hisser jusqu'à cette "super-vie" par le geste créateur, offrir à tous cet horizon édénique, une fois que seront tombées les nombreuses barrières de la réaction et du vieux monde... La perspective politique fut assurément sa grande espérance ; elle le conduisit à se présenter en 1967 aux élections législatives sur la base d'un programme plus en phase avec les aspirations d'une jeunesse écrasée par le gaullisme que la surenchère gauchiste qui triomphera un an plus tard sur les barricades de la rue Saint-Jacques. La ligne réformiste qu'il défendait resta longtemps inaudible parmi des "enragés" qui ne juraient que par la révolution marxiste et sa lutte des classes... 
Mais les conflits inhérents à toute communauté humaine en mouvement prennent dans le cas du lettrisme un tour singulier : face à l'injonction créatrice, la moindre nuance est défendue, et le moindre écart combattu comme un renoncement, une "erreur" ou une hérésie. Les relations ne sont pas seulement tendues avec un "monde qui agace" mais à l'intérieur même d'un groupe où chacun évalue et s'évalue au regard des mérites créatifs comparés, reconnus ou au contraire discutés et contestés. L'action collective éprouve les impatiences et la cohérence du groupe, Lemaître, témoin et acteur de l'aventure, en connaîtra les vertiges, l'ivresse et aussi les limites ; la mutualisation des ressources créatives suscite émulation, enthousiasme mais ne se départit pas d'un certain hubris qui désajuste la mécanique des forces en présence, dresse les certitudes des uns contre les prétentions des autres. Lemaître n'aura de cesse de revenir tout au long de ses publications sur ces conflits internes au groupe, comme si chaque aspect de cette micro-société annonciatrice d'un nouveau contrat social, "avant-garde de l'avant-garde", condensait des problématiques universelles et restées jusque là sans solution. Ces conflits expliquent la préférence lettriste pour un fonctionnement par cercles, Lemaître avait le sien. 
La mort simplifie et purifie paraît-il ; la voix qui s'est tue tonnait encore il y a peu dans le désert d'une époque qui ignorait notoirement le lettrisme et sa figure historique la plus virulente, toute entière attachée à mener jusqu'au dernier souffle le combat "juste" pour une transformation sociale et esthétique du monde. Sans doute les rappels à l'exigence créatrice de Lemaître ont-ils souvent heurté les susceptibilités officielles tant son verbe savait jouer de toutes les cordes polémiques, sans doute il y avait là une stratégie jusqu'au boutiste qui explique en partie la "conspiration du silence" qui s'est organisée autour de cette avant-garde turbulente qui sur l'essentiel se voulait "irrécupérable jusqu'à la société paradisiaque"... il y a fort à parier que la mort aidant les mêmes consciences sourcilleuses qui méprisaient hier encore la communication intempestive de Lemaître sauront désormais y découvrir toutes les qualités... mais laissons là l'écume de l'histoire et de ses batailles, car derrière cette profusion d'écrits de combat se tient  depuis toujours l'oeuvre massive, encore largement méconnue ou minorée, en attente...
liens :
Nicole Brenez sur Libération.fr I C I
Les chroniques du chapeau noir I C I


jeudi 26 juillet 2018

SOUTIEN A ALEXANDRE BENALLA


(les oppositions parlementaires revivifiées s'apprêtent à voter à mains levées une motion de censure)

L'affaire Benalla vient frapper une présidence qui rien ni personne ne semblait pouvoir entraver dans son action et ses certitudes ; pour les uns (toutes les oppositions soudées ici en un bloc revendicatif particulièrement virulent), c'est une "affaire d'état" qui révélerait un "système", une "dérive", une "menace pour la démocratie et l'état de droit", pour les autres (les députés de la majorité) c'est un couac fâcheux qui signe la fin de l'état de grâce et de l'innocence, trouble les consciences, installe entre désillusion et déception un doute quant à la possibilité même d'en finir avec le vieux monde et ses avanies rituelles.
Je ne me permettrai pas ici de me prononcer sur les faits reprochés à monsieur Benalla qui forment la matière d'une enquête judiciaire en cours et constituent des charges sérieuses portant sur des manquements graves qui relèvent en effet du délit ; d'autres s'en chargent.... les jugements expéditifs, définitifs, les délires accusatoires et le poujadisme œcuménique triomphant y compris chez nos  députés des oppositions s'affichent sans retenue ni modération sur tous les plateaux tv et les ondes radio et forment une musique de fond aussi entêtante qu'indigente qui rythme ce que certains désignent déjà comme la "saga/feuilleton" de l'été ; j'indiquerai simplement que je ne désavoue en rien le post que je publiais à l'occasion de l'élection présidentielle, je saluais dans la victoire de Monsieur Macron un désir de renouvellement sans précédent qui balayait les équilibres établis, leurs poseurs et discours ô combien prévisibles, les routines installées et leurs rentiers, mais je m'interrogeais déjà sur la qualité de ce "président" inattendu, improbable et sur la réalité effective de cette troisième voie promise (le fameux "en même temps") ; je dois cependant finalement remercier ici toutes les oppositions parlementaires et sénatoriales qui du fait de la vulgarité et la bassesse des arguments avancés ces derniers jours, ont fini par me décider : je préfère avoir tort avec Monsieur Macron que raison avec Messieurs Mélanchon, Wauquiez et Madame Lepen, leurs procès staliniens et leurs tribunaux politiques qui vous condamnent avant même de vous avoir entendu.
Ayant dédié ce blog aux outsiders, aux ombres de la grande histoire officielle, je me contenterai de revenir sur cette figure secondaire , Alexandre Benalla qui fait l'objet de toutes les attaques, les plus gratuites et les moins honorables, pour éclairer son ascension fulgurante et sa disgrâce selon une grille de lecture externiste, le  personnage et la situation s'y prêtant tout particulièrement. Dans la virulence des attaques lancées contre Monsieur Benalla ("nervis, milice, police parallèle"), je perçois d'abord une grande perplexité et des consciences scandalisées moins par ses actes ou par son rôle supposé au sein de la présidence que par sa qualité, et d'abord son âge. Il y a clairement une doxa outrée qui s'exprime rageusement, celle du "vieux monde", et qui désigne l'intrus Benalla comme illégitime. Pensez-donc, 25 ans et déjà au sommet de l'état !!! A tous les échelons de la bureaucratie républicaine on trouve des fonctionnaires attachés à leur statut, à leur prébendes, à l'importance de leur fonction, plus on monte dans la hiérarchie plus les susceptibilités sont aiguisées et tranchantes, plus le respect des codes et des protocoles se fait pesant, mortifère ; certes nous trouvons là de grands commis de l'état méritants mais combien de courtisans, de cooptés qui n'ont pour eux que les années de servitude et de soumission qu'il ont passées à l'ombre d'un prince précédent, au prix de quelles contritions et parfois d'humiliations (que l'on relise les Mémoires de Saint-Simon, les oeuvres de Balthazar Gracian) ??? Et voilà qu'un "parvenu" qui ne peut justifier ni des titres, ni d'un cursus, ni d'aucun prestigieux parrainage, mais de ses seuls mérites révélés à l'occasion d'une campagne où lui-même et son candidat sont partis de zéro, vient troubler les préséances, s'active avec une libéralité qui fait peu de cas des rigidités statutaires et des codes en vigueur au sein de la "noblesse d'état" (Bourdieu). Le patronyme n'aide sans doute pas  ; on peut accepter un monsieur Benalla à la rigueur dans un parti comme colleur d'affiches, vigile pour encadrer les meetings mais pas au plus haut sommet de l'état, pas maintenant, pas si vite ! Non ! il y a là un outrage et un scandale ! le succès insolent de ce jeune homme promu contre toute attente à une position supérieure sans avoir mérité par des années de  TTL ("tapin, turbin, larbin") dans les arcanes d'un parti le poste prestigieux généralement accordé sur le tard, n'a sans doute pas manqué d'agacer, d'irriter, de choquer et d'indisposer les notables sourcilleux et leurs coteries.
Ce procès en illégitimité au regard d'une jeunesse présentée comme disqualifiante, rédhibitoire, explique en partie la surenchère rageuse de toutes les oppositions qui visiblement confondent le président et son proche collaborateur dans une même réprobation parce qu'ils sont arrivés au sommet comme par effraction sans respecter les usages, les servitudes et les procédures du vieux monde de la cinquième république : un président consacré à 40 ans sans jamais avoir été élu à un quelconque mandat antérieur, un proche conseiller qui n'a fait ni l'ENA, ni Sciences-PO, n'a même pas validé son Master 2 (mesquinerie ultime relevée sur le site de Valeurs actuelles), un Président "hors-sol" cosmopolite, mondialiste qui ne comprend rien à la "vraie france" (Wauquiez, Lepen), un représentant de la finance mondialisée et des patrons (Insoumis et PC), bref un homme illégitime à cette place et à cette fonction, car ne "méritant" ni sa victoire, ni son statut de Président d'une République conquis comme par accident ou par hasard.
 On comprend mieux cette réunion étonnante de cadavres, ce réveil des oppositions zombies, ce dernier sursaut d'un vieux monde qui ne veut pas disparaître et qui dépossédé d'une victoire qui à ses yeux lui était due (chez les républicains c'est flagrant, mais Monsieur Mélanchon aussi s'y voyait déjà mais las, las, las, macron, macron, macron.....) ne voit en Monsieur Macron et en son proche conseiller que des imposteurs et des usurpateurs qui ne méritent ni leur succès, ni leur place. Ce que ce vieux monde réclame rageusement dans ces commissions devenus tribunaux politiques c'est le retour à l'ordre, la restauration d'un statu quo antérieur, la fin de la parenthèse inattendue ouverte par la victoire de LREM et l'élection d'Emmanuel Macron ; tous se découvrent un adversaire commun dont le succès insolent et jusque là sans faille agace, tous sont prêts à signer toutes les motions pour retrouver la répartition des places et des rentes qui assuraient hier encore une alternance prévisible et attendue. 
Alexandre Benalla se trouve écrasé par une histoire qui le dépasse, indépendamment de ses fautes, comme un Figaro postmoderne, il a forcé les barrages et les obstacles, ne se satisfaisant pas de la place subalterne qu'il occupait dans le vieux monde, pariant sur une  aventure, et sur ses talents pour accéder à un poste prestigieux, et bénéficier d'une véritable promotion sociale. Est-ce là un crime d'état ? Nos oppositions défendent au contraire de cette société ouverte à tous les talents et à tous les profils y compris les plus surprenants, un modèle social construit sur le tri et la sélection, l'entre-soi et la cooptation, la servitude et la soumission, les récompenses accordées selon une logique malthusienne au terme d'une sous-vie besogneuse. 
Dans l'immédiat après-guerre Isidore Isou et les lettristes défraient la rubrique des faits divers en raison des scandales qu'ils provoquent à dessein, Isou qui vient de publier deux livres aux Editions Gallimard, amuse et agace ; édité par la prestigieuse maison de la rue Sébastien Bottin, il bénéficie de l'attention de toute la presse d'autant que ses déclarations superlatives et ses prétentions piquent la curiosité d'un petit monde littéraire en mal de sensations et de polémiques avant-gardistes. Ce que les critiques et les journalistes ne peuvent prendre au sérieux, ce sont les prétentions exorbitantes de l'écrivain ( Isou se situe avec ses deux ouvrages publiés à hauteur de Breton, Baudelaire, Mallarmé, Tzara, Rimbaud) autant que le jeune âge du prétendant (il a alors 22 ans). Pour les tenants du marché officiel, le grand écrivain à l'époque est un homme grisonnant, bedonnant, posant au terme de sa vie devant une imposante bibliothèque et non un bohème sympathique au charisme ravageur patientant faute de mieux dans l'univers austère d'un chambre de bonne (voir les photos de Amos ou introduction à la métagraphologie, 1953). De cette confrontation entre l'ambition d'un outsider en quête de reconnaissance et de consécration et les rigidités d'un monde fermé, pour le plus grand  bénéfice de ses usagers soucieux de préserver rentes, statuts et privilèges et d'écarter la concurrence de nouveaux venus, Isou fera la matière d'une sociologie critique et d'un programme ambitieux de réformes politiques : LE SOULEVEMENT DE LA JEUNESSE
 Sans doute les routards de la politique blanchis sous le harnais voient-ils dans la promotion de monsieur Benalla une transgression insupportable, la synthèse explosive de la fameuse révolution "en marche", une  "anomalie" au regard des us et coutumes de la Vème république, elle  n'en reste pas moins à mes yeux une promesse et un signal politique fort qui permet de clarifier le paysage politique en identifiant les forces qui portent l'émancipation et la mobilité sociale et celles qui font de l'ancienneté l'unique critère de reconnaissance et de respectabilité.
Autant dire, qu'en l'état des informations connues, il n'y a pour l'instant à mes yeux aucune affaire d'état mais un énième "conte cruel de la jeunesse" qui voit le vieux-monde massacrer un jeune homme dont le principal tort est sans doute d'être arrivé trop vite, trop haut, trop tôt.

samedi 16 juin 2018

NEWS FROM GALERIE DU SAC DE LA DAME



ROLAND SABATIER
"POLYTHANASIE SUR POLYTHANASIE", 1971.
Roman hypergraphique polythanasé, (livre déchiré de haut en bas en deux parties disjointes, 21 x 17 m). Editions Psi 1971.
Exposition du 6 au 30 juin 2018
Cette oeuvre a été conçue à partir d'un exemplaire de "Romanesque", un roman hypergraphique ayant obtenu le prix Anti-Goncourt en 1971, et sur lequel elle s'inscrit par la proposition supplémentaire effectuée par une "fragmentation réelle (résultant) d'un écartement ou d'une déchirure véritable de l'une ou de plusieurs de ses parties." (Roland Sabatier, Situation de mes apports dans la Polythanasie esthétique, p.21. Editions Psi, 1974

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