dimanche 17 juin 2012

FRACTURE GÉNÉRATIONNELLE (SUITE)


"La Fance vit encore dans le système de sécurité sociale post-1945, qui gère l'éducation, le travail et la vieillesse, mais pas la jeunesse. Or, on sait qu’aujourd’hui, les jeunes occupent leur premier emploi stable à 27 ans. Que fait-on pour cette période de la vie allant de la majorité au premier emploi ? Le système français en a délégué la gestion à la famille, via le système des allocations familiales. On a bien tenté de mettre en place un millefeuilles de dispositifs pour s’adapter, mais cela ne suffit pas. On en vient à se demander si les jeunes ont vraiment des droits réels. Car si la majorité civique est à 18 ans, la majorité sociale, elle, est plutôt à 25 ans. (...)

Il faut améliorer l'éducation aux droits, c’est-à-dire faire prendre conscience aux jeunes, dès le primaire ou le secondaire, de ce qu’est notre système de sécurité sociale. C’est essentiel. Car si les jeunes n’ont pas l’aide de la puissance publique quand ils sont en galère, ils pourraient tout à fait remettre en cause le système de sécurité sociale quand ils seront plus installés. J’entends par là contester le système par répartition, ou le fait de payer des impôts.

Antoine Dulin,  Rapporteur du conseil économique, social et environnemental, entretien accordé à Libération (13 juin 2012)

On lira par ailleurs avec profit le dit-rapport ainsi que les préconisations du conseil économique, social et environnemental qui viennent comme un heureux rappel à une majorité qui a fait de la jeunesse la priorité de ses choix politiques, paraît-il... A quand une allocation d'autonomie universelle ? Le crédit de lancement ? Une réforme du marché de l'emploi enfin débarrassé de ses rigidités ? du système éducatif non pour les enseignants mais pour les lycéens et les étudiants ? 



OUBLIEZ SUR LA ROUTE LISEZ LE SINGE APPLIQUE !


Attention livre-culte ! Héros instable issu de l'avant-garde et de la contre-culture (lettrisme et situationnisme), Jean-Louis Brau en a été le plus inspiré des commentateurs et un témoin direct ; de ses expériences militaires à Mai 68 en passant par les dérives et les utopies de la route perpétuelle, l'insatiable itinérant de l'avant-garde semble avoir pris au mot l'injonction d'André Breton "Lâchez-tout !" Ni plan de carrière, ni soumission à quelques églises salutaires sacrées ou profanes, il incarne la révolte et brûle toutes les causes qu'il fait sienne sans jamais s'y perdre, toujours en quête du grand incendie; de l’extrême droite à l'extrème gauche, Brau fait de la marge et de la condition minoritaire l'expérience fondatrice d'un individualisme libertaire pour qui la sagesse n'est jamais venue, il en est le guetteur, l'exégèse, le sociologue, l'ethnographe avisé... les science sociales devraient bien plutôt s'inspirer de ce génial beatnik au lieu de célébrer l'ennui bourdivin. Drogue, alcool, dérives, radicalité politique... tout ce qui est transgressif doit être expérimenté, la vraie vie est là !  L'art aussi et quelques fois la littérature.... En 1972, les Editions Grasset publient Le Singe Appliqué, brûlot autobiographique, qui dans une prose tout en spasmes et vociférations dresse le portrait en mouvement d'un aventurier des temps modernes, retrace ses dérives et offre à la postériorité ses titres de gloire, looser définitif, "prince en haillons", et ses flibusteries nombreuses . Ce livre replonge le lecteur dans 
 une époque incompréhensible aujourd'hui, un temps d’insoumission où l’existence quotidienne était le terrain expérimental de toutes les utopies, où l'art et la littérature s'inscrivaient dans un style de vie qu'aucun de ses enfants terribles et perdus n'auraient voulu céder pour une place sécurisée, une rente... La vie dangereuse était toujours la règle, on bricolait entre deux voyages ici un livre, là quelques toiles... on discutait beaucoup, au gré des rencontres Burroughs, Gysin, les surréalistes, les sédentaires du "quartier" et les "passants" considérables ou non... avec chez Brau malgré le chaos quelques fondamentaux qui reviennent comme un leitmotiv obsessionnel (la poésie, la présence de Wolman et Dufrène, la marginalité, la clandestinité). Bien plus que la prose austère des derniers textes de Guy Debord, Le Singe Appliqué restitue, dans un verbe libéré des enfers de la langue française, le drame d'une génération qui, venue au "vieux" monde par ses lectures surréalistes et marxistes, ne consent pas à déposer les armes, à se ranger malgré la défaite, la faillite des rêves révolutionnaires. Le passage consacré à l’enterrement d'André Breton a presque ici une valeur testamentaire ; le sublime y côtoie le grivois, la grande histoire cède devant les anecdotes, les "petits tas de secrets" et se révèle alors l'ambivalence d'un narrateur dont le propos oscille toujours entre l'urgence de la révolte et l'ironie suicidaire d'un Jacques Rigaut. En 1976 les Editions Balland publiaiENt L'Hériter du château d'Isidore Isou que l'on peut lire comme un complément et une réponse au témoignage de Brau, l'envers lumineux d'un même projet de révolution de la vie quotidienne dont Le Singe Appliqué est une pièce maîtresse.
Jean-Louis Brau, Le Singe Appliqué, Le Dilettante, 2012