dimanche 3 juillet 2016

A PROPOS DES ARTICLES DE SERGE REVZANI ET DE PAUL HENRI MOINET

Un spectre hante le vieux monde... le soulèvement de la jeunesse ! Isou par intermittences se rappelle à nos contemporains, je me souviens d'une époque où son nom suscitait un sourire amusé ou une indifférence tout en suffisance... ici ou là on se prend désormais à envisager le plus sérieusement du monde les thèses lettristes en matière politique (et qui sait demain en matière artistique ?) et à prendre la mesure de leur étonnante actualité dans un monde qui par tant d'aspects n'a plus rien à voir celui de l'après-guerre. Et pourtant.. deux tribunes récentes réinscrivent cette perspective insurrectionnelle dans les débats du moment. Serge Revzani d'abord qui dans ses premières années a côtoyé les lettristes à Saint-Germain des Près et qui dans une tribune publiée sur le site du Monde évoque le lettrisme comme "une manière infantile de contester en surenchérissant par le vide, l'absurde de la génération poétique" ; voilà qui est sans doute  réducteur pour un mouvement qui entendait surtout promouvoir un "nouvel objet esthétique" tant sur plan plastique que poétique, loin des arguments crypto-dadaïstes sur la destruction d'un langage en "crise" et la mise en cause de sa rationalité porteuse de toutes les idéologies meurtrières. Par contre c'est sur le plan politique que Revzany avec des formules particulièrement inspirées prête au lettrisme et à ISou des visées qui n'étaient aucunement les siennes ; certes Isou annonce un "soulèvement mondial" de la jeunesse mais ce n'est en rien un appel romantique à la violence rédemptrice, à la table rase de toutes les injustices, au tout ou rien qui nourrira la prose romantique et révolutionnaire des situationnistes. Le programme du Soulèvement de la jeunesse entendait donner aux jeunes mieux et plus que le rôle de simple négatif de la grande histoire : l'émancipation, une reconnaissance politique, sociale, économique. Il anticipait des problématiques qui de mai 68 à aujourd'hui ont connu diverses réponses de la part des acteurs institutionnels, plus ou moins courageuses et satisfaisantes, et qui périodiquement inquiètent le monde de ceux qui ont "quelque chose à perdre".  La jeunesse insurgée ne présente plus les visages avenants du gauchisme sympathique, elle recourt à la violence, à la "terreur", elle surgit de plus en plus imprévisible dans ses formes sur une scène officielle bloquée, occupée en effet par des "vieillards", de gauche comme de droite, pour qui "l'argent travaille" et qui se soucient peu, à tort, des conditions dégradées qui marquent "l'entrée dans la vie" des nouvelles générations vouées à "galérer" toujours plus pour obtenir les mêmes "biens" que leurs aînés  (emploi, reconnaissance, logement, santé...). Il y a un bien un "gai savoir" ironique et amer de la jeunesse, partout ils savent que leur marginalité va aller grandissante même quand leurs aînés feignent de célébrer sous la forme d'une vision surjouée et publicitaire l'injonction à un "jeunisme" perpétuel qui tient toujours plus à distance de leurs ambitions les jeunes réels. Véritable "stupéfiant" des "retraités qui gouvernent ce monde", ce jeunisme managériale peine à masquer la lutte des places qui sévit en amont, d'autant plus brutale que les jeunes "écœurés" désertent les rendez-vous électoraux, qui confortent une véritable fracture générationnelle ; la Seine-Saint Denis est à la fois le département le plus jeune et le plus pauvre, il représente l'avant-garde d'une génération où les appartenances de classe jouent certes encore le rôle d'un correctif et d'un modérateur mais ne sont sans doute plus en mesure de contenir les frustrations d'une jeunesse qui doit endurer un "bizutage" toujours plus long en attendant d'accéder aux miettes que ses aînés daigneront bien lui accorder. Revzani joue le rôle d'un "lanceur d'alerte" qui pressent un "ensauvagement" (sans doute fait-il allusion aux attentats de cette année et à la séduction qu'exerce l'islam politique) de la jeunesse, privée de perspective et de futur, qui n'aura d'autre alternative que de prendre par la violence les places, les rentes et les statuts qui lui sont refusés, en suivant de fait les options les plus radicales. 
Paul Henri Moinet offre à l'article de Revzani une réponse en forme de facétie : la jeunesse est une énigme irréductible, elle échappe à tous les programmes, toutes les réductions, tous les slogans, ou plutôt les épouse pour mieux s'en jouer, dans un anarchisme fondamental qui la rend rétive à toutes les causes qu'elle peut épouser, plus encore "la jeunesse (serait) une fable racontée par les vieux". Et de citer longuement Rimbaud ("Mauvais sang") dans son verbe remarquable. Mais n'est-ce pas là encore une fiction que se racontent ceux qui n'ont pas à partager les vicissitudes d'un âge sur lequel ils fantasment du haut d'un romantisme de "vieux combattant" pleinement intégré ? Si la jeunesse est-une énigme insoluble, il n'y a qu'un errement sans fin autour d'elle et de ses facéties railleuses par lesquelles elle sait préserver un négatif sauvage dans toute sa pureté qui n'a ainsi jamais à prendre sa place dans l'histoire concrète. Mais les problèmes actuels des plus jeunes n'ont rien de poétique et de métaphysique, et la colère qu'ils expriment n'est en rien abstraite ; les voies qu'elles empruntent sont d'autant plus cruelles qu'elles renforcent souvent ce vieux monde dont les jeunes veulent justement se libérer  (déjà les lettristes en appelant à la libération des jeunes miliciens en 1950 soulignaient combien le "vieux monde" résistant autant que collaborationniste avaient offert aux jeunes l'illusion d'une libération qui n'est jamais venue). Ce soulèvement redouté autant qu'énigmatique constitue notre horizon politique probable et les lettristes n'étaient en rien "innocents" quand ils avançaient notamment à travers la candidature de Maurice Lemaitre aux élections législatives de 1967 un programme ambitieux de réformes dont la finalité était comme Isou l'a maintes fois souligné de prévenir et d'éviter toute issue révolutionnaire aux problèmes rencontrés par la jeunesse. N'en déplaise aux romantiques incurables, ce devenir révolutionnaire de la jeunesse n'est jamais ni pour la société alors ébranlée, ni même pour la jeunesse insurgée, une issue. Les jeunesses national-socialistes passé l'ivresse de la conquête et de l'épopée sont renvoyées dans les ruines d'un pays coupé en deux, les apprentis djihadistes servent de "bombes humaines" à des vieilles barbes dont les rêves théocratiques n'offrent à la jeunesse que la servitude ou la mort, le socialisme réel nourrit une bureaucratie d'Etat sur la misère et le malheur de tous... Chaque système produit son opposition, son externité, et notamment la révolte de ses jeunes, qui se soulèvent à la mesure des obstacles qu'ils ont à surmonter. Les soulèvements de la jeunesse interrogent ainsi de manière aiguë la manière dont toute société, à commencer par la notre, fonctionne : quelle place pour ceux qui arrivent, quelle solidarité avec la génération qui vient et qui plus que toute autre devra à la fois relever des défis sociaux et économiques grandement dus à l'imprévoyance de ses aînés. On peut toujours se réfugier dans le mythe d'une "jeunesse en révolte" et passer son chemin, c'est oublier que cette révolte s'enracine dans des expériences subjectives qui finissent par former objectivement des points de crispation et de colère : logement inaccessible (voir le collectif jeudi noir ), études interminables dont les débouchés sont sans commune mesure avec les efforts déployés pendant des années, autonomie matérielle renvoyée aux appartenances de classe (pas de revenu de minimum d'existence à l'ordre du jour, tant mieux pour ceux favorisés par la loterie de la naissance, tant pis pour les autres), invisibilisation par des logiques endogamiques et d'entre-soi qui grippent la vie démocratique (voir les discussions interminables autour du non-cumul des mandats), exploitation économique tout à fait dans l'air du temps (stages non rémunérés à répétition, suggestion d'un salaire "jeune" en deçà du SMIC habituel, quel âge ont ceux qui préconisent un pareil traitement "social" du chômage ?), et je ne parle pas de ceux qui cumulent les critères pénalisants, les outsiders malgré eux, parce qu'ils n'habitent pas le bon quartier, parce que leur prénom ne sied pas à l'oreille de l'employeur... Voilà bien qui devrait dans leur intérêt même faire réfléchir les "vieillards" en poste car leur prospérité comme celle de l'ensemble de la société dépend des politiques inclusives qui seules permettront à la jeunesse de dépasser une "révolte métaphysique" tout en négativité pour trouver pleinement sa place dans cette société qui ressemble de plus en plus à un camp retranché. Plutôt que de s'interroger sur l'énigme insoluble d'une jeunesse en perpétuelle révolte, Paul Henri Moinet devrait sans doute envisager la problématique sous un angle politique et économique (puisque sa tribune est publiée sur le site du Nouvel Economiste) ; que Faire ? tout est à faire, les problèmes rencontrés par les jeunes dans leur parcours d'intégration n'ont rien d'abstrait et appellent au contraire des politiques audacieuses et nouvelles, et donc un premier pas qui doit être fait par ceux qui ont le pouvoir politique, économique et social, en direction de ceux qui "n'ayant rien n'ont rien à perdre".

http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/06/18/la-jeunesse-brusquement-comme-electrisee-se-soulevera-joyeuse-dangereuse-folle-impitoyable-sanguinaire_4953399_3232.html
 http://www.lenouveleconomiste.fr/une-jeunesse-apocalyptique-31358/

LA PLAQUE TOURNANTE : TOUJOURS A L'AVANT-GARDE DE L'AVANT-GARDE !





"Some people find it hard to believe that Frédéric Acquaviva and Loré Lixenberg actually live in their exhibition space, and it’s not hard to see why: A former doctor’s office on Sonnenallee in Berlin Neukölln, not only are the walls La Plaque Tournante covered in artwork and ephemera from Acquaviva’s personal archive, but the beds they sometimes sleep on are actually cushy white examining tables. (...)" (la suite sur the creators project)