samedi 23 octobre 2010

ACTUALITE ET URGENCE DE L'ECONOMIE NUCLEAIRE

Voici un article publié vendredi 21 octobre dans le journal Libération ; finalement les analyses et thèses d'Isou ont fait leur chemin depuis 1950... " renouveler le pacte social avec la jeunesse, en réformant l’école et le marché de l’emploi", voilà bien un programme pour 2012 !

Le sociologue Olivier Galland, spécialiste de la jeunesse (1), analyse les racines de la contestation au-delà de la question des retraites.

La réforme des retraites suffit-elle à expliquer la mobilisation des jeunes ?

Je pense que c’est plutôt l’occasion d’exprimer quelque chose d’autre. Si l’on regarde les récentes mobilisations des jeunes, elles portaient sur des sujets qui les concernent directement, comme le contrat premier embauche (CPE) ou la réforme Darcos du lycée. Il y a eu, venant d’une autre jeunesse, le mouvement 2005 des banlieues, qui était l’expression d’un sentiment profond d’exclusion et une demande de reconnaissance. Les retraites, cela paraît très loin de tout cela. Comment se projeter quarante ans en avant, d’autant qu’on ignore ce que sera alors le système des pensions ? Il y a tout de même eu un mot d’ordre qui a fait mouche chez les jeunes : l’idée que si les vieux travaillent plus longtemps, il n’y aura plus d’emploi pour eux - une croyance très ancrée en France, même si de nombreux économistes ne la jugent guère fondée. Cela renvoie à une préoccupation clé des jeunes : trouver du boulot au sortir des études. Malgré tout, je ne crois pas que cela soit le fond du problème.

Il existe un malaise plus profond ?

Oui, mais je ne crois guère à la thèse de la génération sacrifiée. D’après moi, les jeunes ont plutôt de grandes difficultés à entrer dans la vie adulte et à s’insérer socialement. La génération sacrifiée signifie que les jeunes entrent dans la société avec un handicap qui va les accompagner toute leur vie. Selon moi, il y a plutôt un problème de classe d’âge, une crise latente d’intégration de la jeunesse, qui se joue sur deux terrains essentiels : l’école et le marché du travail. Le système éducatif français est pensé avec l’obsession de la sélection des élites. Si on arrive à mettre quelques enfants d’ouvriers à Polytechnique ou à l’ENA, on estime avoir rempli les critères d’équité. C’est absurde. Le problème est plutôt que les 700 000 jeunes en filière professionnelle - contre 70 000 dans les classes prépas - réussissent leur CAP ou leur bac pro. Le système est aussi une grande machine de classement scolaire, sur des critères académiques, qui sera le décalque du classement social et de l’accès à la hiérarchie des emplois. L’idée est d’écrémer pour garder les meilleurs. Les autres sont éjectés vers des filières au rabais. On élimine et on génère une peur de l’élimination chez les jeunes. Le système ne parvient pas à construire l’estime de soi chez les jeunes, la clé de la réussite. En plus, cette sélection se fait sur une base très académique, avec un clivage croissant entre cette culture scolaire et la culture des jeunes. On assiste ainsi à une rupture entre la jeunesse et l’école, qui est très inquiétante.

Le marché de l’emploi n’est guère plus accueillant…

Là encore, les jeunes Français ont plus de difficultés que d’autres Européens, avec depuis vingt ans, un taux de chômage de 15 à 20%. En plus, la flexibilité de l’emploi - les CDD, l’intérim, etc. - s’est accrue, presque exclusivement chez les jeunes. On se retrouve avec un marché du travail où les jeunes sont la variable d’ajustement. Mais il ne faut pas noircir à l’excès. Après souvent plusieurs années de galère, à 30 ans, 70% à 80% occupent un CDI. Si l’on ajoute un marché du logement très tendu, les jeunes ont le sentiment d’appartenir à une société qui ne fait que leur entrebâiller la porte. Tout cela crée de l’angoisse devant l’avenir.

Comment interpréter la solidarité des jeunes avec les salariés ?

D’après moi, il y a une crise d’identité française face à la mondialisation qui inquiète les Français plus que les autres. Dans les enquêtes internationales, ils la considèrent comme une menace pour l’emploi, pour le modèle social et l’Etat protecteur auxquels les Français, notamment les jeunes, sont très attachés. La crise financière a accentué ce sentiment et a aiguisé l’anticapitalisme qui a gagné une partie de la jeunesse.

Ces jeunes que l’on présente comme individualistes sont donc politisés ?

Dans les enquêtes sur les valeurs européennes menées tous les neuf ans, la livraison de 2008 a montré une nette remontée de la politisation des jeunes, ainsi que de la radicalité. En 1999, 7% se situaient à l’extrême gauche. Aujourd’hui, ils sont 13%. A la question sur les changements souhaitables dans la société, ils sont par ailleurs 24% à se dire aujourd’hui en faveur de «changements radicaux par une action révolutionnaire», contre 6% en 1990. Nous sommes peut-être à un changement de cycle dans les attitudes politiques. Dans les années 90, la tendance était plutôt à la dépolitisation, même si les jeunes participaient beaucoup à des actions protestataires. Mais il y avait un retrait de l’action politique classique - le vote, l’adhésion à des partis, etc. Politisation et radicalité ne concernent pas les mêmes catégories. Les jeunes politisés sont plutôt éduqués, les radicaux ont un niveau d’études plutôt bas. Si ces deux jeunesses s’amalgamaient, cela pourrait faire des dégâts.

Les violences n’en sont-elles pas des prémices ?

Il est sûr qu’au départ, ce mouvement concerne plutôt les jeunes éduqués, et pas tellement les jeunes de banlieue, les déscolarisés, les chômeurs ou ceux vivant de petits boulots. Mais on commence à voir apparaître aux franges du mouvement une autre jeunesse. Il est possible que ce soit cette seconde jeunesse plus radicale. On a vu en 2005 qu’elle pouvait s’exprimer de manière violente. On ne peut exclure qu’il y ait un amalgame. Le mouvement prendrait alors un tour plus violent. Mais c’est très difficile de le prévoir. Il pourrait suffire d’une étincelle. Surtout que les problèmes de fond à l’origine de 2005 n’ont pas été résolus - la ghettoïsation et la marginalisation d’une partie de la jeunesse.

Que pensez-vous des accusations de manipulation ?

Lorsqu’un mouvement prend une telle ampleur, il est difficile de soutenir qu’il est manipulé. Mais il ne faut pas non plus se voiler la face : il y a des organisations, notamment de jeunes plutôt à gauche, qui ont des objectifs politiques. Ici, le gouvernement a fait une vraie erreur de communication et montré qu’une grande partie de la classe politique avait une image très datée de la jeunesse. Ils la considèrent comme une minorité irresponsable qui n’a pas à participer au débat public. Cela a exaspéré, à juste titre, bon nombre de jeunes.

Comment percevez-vous le rôle des réseaux sociaux sur Internet ?

Il y a un côté festif, apéro géant dans le mouvement. Cela renvoie à un trait très fort de la culture adolescente actuelle : la valorisation de l’être ensemble et du partage collectif des émotions. Il y a ici un paradoxe. On assiste à un repli identitaire de la jeunesse, avec une culture un peu à part du reste de la société et la volonté de rester entre pairs. Mais avec ce mouvement, elle réintègre la société.

Voyez-vous des ressemblances avec Mai 68 ?

Ça me semble assez éloigné. En mai 68, il y avait quelque chose qu’il n’y a pas du tout aujourd’hui : l’utopie, l’idée que l’on pouvait transformer de fond en comble la société. Il y avait aussi un conflit de générations très fort, notamment à propos des mœurs. Aujourd’hui, c’est le contraire : les jeunes vont manifester pour la retraite des vieux, ce qui semble parfois surréaliste.

Comment en sortir ?

A droite comme à gauche, beaucoup de politiques semblent en avoir conscience : il faudra renouveler le pacte social avec la jeunesse, en réformant l’école et le marché de l’emploi. Mais ce sera compliqué.

(1) Auteur de Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ? éd. Armand Collin, 2009, 16,70 euros.

dimanche 17 octobre 2010

FRACTURE GENERATIONNELLE 2


La présence importante des lycéens dans les manifestations contre la réforme des retraites donne à un mouvement social classique, mené par les organisations syndicales, un souffle inattendu qui prend de court les observateurs, brouille les lignes de partage, embarrasse les syndicats et ravi la gauche qui sur le sujet manquait décidément de clarté.
De prime abord, que des jeunes se mobilisent sur un sujet aussi lointain pour eux, aux côtés des salariés, sous des slogans aussi étrangers à leurs propres intérêts, a de quoi surprendre. Les arguments avancés dans les tracts de l'Unef et de la Fidl donnent pourtant quelques éléments, malgré eux, pour comprendre cette entrée des jeunes dans le conflit :



« Etudiant à 20 ans, chômeur à 25… et toujours précaire à 67 ans ? Non merci !

Le gouvernement pariait sur la résignation des jeunes pour pousser au fatalisme et imposer ses choix en matière de retraite : ce pari est d’ores et déjà perdu. 74% des 18-24 ans se déclarent désormais opposés au recul de l’âge légal de départ en retraite. Les « générations futures » refusent de servir d’alibi à cette régression sociale majeure, et ils ont bien compris que cette réforme sacrifie leur avenir en les enfermant dans la précarité et la peur du lendemain.

Une réforme qui pénalise les jeunes aujourd’hui…

Alors que les jeunes galèrent déjà sur le marché du travail avec l’enchainement des périodes de stages, d’intérim et les CDD, le report à 62 ans de l’âge légal de départ en retraite va accentuer le chômage des jeunes. En tentant de maintenir au travail deux ans de plus les salariés déjà en place, c’est près d’un million d’emplois qui ne seront pas libérés. Une solution existe pour assurer le financement des retraites : mettre au travail les 25% de jeunes aujourd’hui au chômage !

et qui les enferme dans la précarité demain !

Le report à 62 ans de l’âge légal plonge également les jeunes dans l’incertitude. Alors que l’accès à un emploi stable se fait de plus en plus tard (27 ans en moyenne), le report de l’âge légal de départ va conduire les jeunes à travailler jusqu’à 67 ans pour espérer percevoir une retraite décente !

Alors que par nos études et nos qualifications, nous participons à l’effort de production de richesse, nous devrions accepter le chômage en début de carrière, et nous n’aurions aucun droit à la retraite futur ? C’est inacceptable. Les jeunes refusent que la précarité soit un horizon indépassable. Ils refusent la perspective de vivre moins bien que leurs parents. Ils refusent cette réforme qui sacrifie leur avenir. »

Derrière la rhétorique de la « solidarité » affichée, se lit le profond malaise d'une jeunesse qui aux prises avec une entrée dans la vie active difficile marquée par un chômage scandaleusement élevé, des diplômes qui n'offrent pas les places espérées (déclassement), les perspectives de mobilité réduites au regard de celles offertes à la génération de leurs parents.. prend conscience par anticipation des conditions dégradées dans lesquelles elle sera amenée à sortir.

Pour autant, ce mouvement est paradoxal, et prolonge la dynamique conservatrice qui avait déjà marqué les protestations étudiantes contre la réforme Pécresse : alors qu'il faudrait effectivement réformer un système universitaire moribond qui ne produit plus les effets attendus, les principaux intéressés se crispent et se mobilisent pour sa défense et son renforcement. L' extrême droite dans les années 80 a su élargir son audience en adoptant un discours « national » et « social » qui stigmatisait les travailleurs immigrés comme responsables du chômage des salariés « français ». L'unef reprend ce principe d'analyse en faisant de la présence des « vieux » sur le marché de l'emploi la cause probable du chômage des jeunes. Qu'en est-il vraiment ? Ce raisonnement se justifie dans certains secteurs (administration par exemple, un enseignant en retraite est remplacé pour un jeune certifié) mais pour l'ensemble de la vie économique, il est totalement absurde : la vie économique ne se reproduit pas d'une génération à l'autre à l'identique, des secteurs entiers disparaissent (que reste-t-il du textile, de l'électroménager en France ?), d'autres sous l'effet de l'innovation, de l'offre et de la demande, du niveau de qualification des entrants bouleversent le paysage économique (les services à la personne, l'économie verte, les nouvelles technologies) non sans douleur parfois (restructuration avec licenciements). A titre d'exemple, on peut rappeler les politiques de départ anticipé et leurs effets inexistants en matière d'emploi : les préretraites qui ont ainsi longtemps servi d'alibi aux insiders pour quitter dans les meilleurs conditions le marché n'ont jamais permis les embauches de jeunes escomptées : les entreprises elles y ont vu l'opportunité de lancer des restructurations à moindre frais. La diminution du volume d'emplois disponibles ne cesse aujourd'hui comme hier d'exacerber les conflits et les tensions ; en Angleterre dernièrement, on a pu voir des manifestants brandir des pancartes lors des manifestations demandant en priorité des emplois pour les « anglais » et une montée parallèle de la xénophobie ; les lycéens aujourd'hui manifestent contre un gouvernement qu'ils rendent responsables de leurs difficultés à trouver leur place sur le marché du travail et rejettent la société de misère et de pénurie qu'il leur annonce, à travers cette ultime mise à plat du modèle social à la française même si celui-ci ne fonctionne plus guère que sur un mode symbolique. Mais demain, c'est contre une société de retraités qu'ils manifesteront en refusant de financer davantage sur leur travail les déficits et les rentes de leurs parents.

Ce gouvernement et cette majorité n'ont de leur côté cessé de creuser un fossé d'incompréhension entre les priorités affichées et les inquiétudes des jeunes générations : réduction des emplois dans la fonction publique (donc une baisse des débouchés pour les plus diplômés), gestion policière et judiciaire des problèmes sociaux (notamment en direction des jeunes des quartiers défavorisés, proposition d'abaissement de l'âge de responsabilité pénale, peine plancher)... La réforme de l'Université mise en œuvre par Valérie Pécresse présentait de nombreux points positifs mais la ligne d'ensemble de ce gouvernement la rendait inaudible : le problème du logement, de l'échec en Université, d'un enseignement secondaire qui ne tient plus ses promesses et laisse sur le carreau beaucoup trop d'élèves... ne sont pas réglés sans parler d'un manque de dynamisme économique qui rend caduque l'espoir d'une promotion sociale par les études et les diplômes. Leur présence aux côtés des salariés est donc à lire davantage comme une demande de reconnaissance , de prise en considération des inquiétudes et des problèmes d'une partie de la société qui effectivement sert de "variable d'ajustement" aux politiques menées à droite comme à gauche.

Car la gauche se trouve à la fois embarrassée et ravie de ce rajeunissement paradoxal de la contestation. Le risque est en effet grand pour elle que la question des retraites se trouve débordée, par les lycéens, par celle de l'emploi et de la solidarité entre générations et que son corporatisme (elle défend surtout les sortants, pas les entrants) ne se trouve confondu. Ainsi ni la droite ni la gauche dans leur projet respectif n'entendent fiscalement mettre à contribution leurs retraités respectifs dans cet effort de financement pour maintenir un régime par répartition. Les jeunes, dans le plus grand malentendu, peuvent sans doute faire tomber ce gouvernement, il est acquis qu'ils n'en retireront rien, ils auront servi « d'idiots utiles » à une gauche et des syndicats qui défendent les insiders sans réponse à ce jour aux problèmes spécifique qu'ils rencontrent. Sans doute quelques uns de leurs leaders gagneront grâce à cela leur promotion au Parti Socialiste mais le grand changement de paradigme indispensable pour que la mobilisation lycéenne s'affirme comme force politique autonome avec ses enjeux, ses revendications propres et comme interlocuteur à part entière, n'aura pas eu lieu. Ainsi que l'avait noté en observateur avisé des mouvements de la jeunesse Isidore Isou dans un texte publié dans le premier numéro de L'UJCP :

« Chaque manifestation de la jeunesse l'emporte et obtient satisfaction. Hélas, la jeunesse est encore peu consciente, comme la masse ouvrière dans le passé, quand elle était xénophobe et attaquait les étrangers ou détruisait les machines »

Le débat sur les retraites et la place qu'il occupe dans l'espace public, restent symptomatiques d'une société qui ne fait pas des jeunes générations sa priorité. Les lycéens en rejoignant les mobilisations y ajoutent leurs interrogations, leurs frustrations qui donnent une légitimité aux revendications des syndicats et des Partis de gauche mais celles-ci s'y trouvent diluées, étouffées, et finalement trahies. Ce n'est pas seulement la droite qui use des jeunes générations comme d'un alibi (« c'est pour nos enfants que nous faisons cette réforme... ») mais aussi la gauche quand elle prétend que c'est au nom des jeunes générations qu'elle s'oppose à cette même réforme. A l'austérité des premiers, les lycéens et les étudiants devraient-ils préférer le malthusianisme des seconds ? Or le problème des jeunes aujourd'hui est à la fois politique (reconnaissance dans l'espace public comme acteur politique) et économique (augmentation du volume d'emplois disponibles). Et ni la droite, ni la gauche (malgré le positionnement courageux d'un François Hollande), ne semblent prêtes à faire toute leur place à cette demande sociale.

Enfin, alors que l'opinion, contrairement à 1995 et 2003, est acquise au principe d'une réforme, que la CFDT et la CGT sont prêtes à discuter avec un sens des responsabilités qui les honore, il est déplorable que la réforme se fasse « à la hussarde » obéissant davantage à un calendrier politique et des considérations électoralistes qu'au souci de trouver un consensus par la négociation. Il n'est plus possible que des questions aussi cruciales pour la collectivité soient parasitées par un agenda personnel. Sur ce terrain là aussi le dialogue social en France est décidément avec cette majorité au point mort. Espérons que les jeunes sauront éviter ce piège de la radicalisation et du pourrissement que semble attendre le pouvoir qui visiblement est déjà en campagne.

dimanche 3 octobre 2010

EXPOSITION LETTRISTE A LA VILLA TAMARIS

Du 28 octobre au 28 novembre se tiendra une exposition, organisée par Roland Sabatier, à la Villa Tamaris qui à travers les apports de quelques uns de ses artistes entend montrer la vitalité présente et l'importance historique de ce mouvement, à ce jour encore grandement ignoré malgré le regain d'intérêt qu'il connait hors de nos frontières. Il ne s'agit donc pas d'une rétrospective visant à l'exhaustivité encyclopédique, mais plutôt d'une anthologie de quelques artistes représentatifs des propositions artistiques défendues par le lettrisme de sa naissance à aujourd'hui et de la place singulière que chacun d'entre eux y occupe.
Pour en savoir plus sur la Manifestation et ce lieu unique :
http://www.villatamaris.fr