mardi 29 juillet 2014

MAI 68 REVISITED : dépasser la mythologie situationniste






Élargir l’école, prolonger l’enseignement, c’est qu’on le veuille ou non, d’une part éloigner le jeune de sa famille, d’autre part également l’éloigner du monde du travail, c’est finalement le placer hors classe ou plus exactement créer une nouvelle classe (..) une catégorie sociale nettement discernable est en train de prendre corps. Ce processus me semble inéluctable. Il faudra bien un jour consacrer dans les idées et les institutions cet état de fait et le plus tôt sera le mieux. Dores et déjà toute politique de la jeunesse qui omettra de se référer à une telle situation sera vouée à l’échec, plus encore elle engendrera les troubles les plus graves dans la société toute entière.



Vers un sous prolétariat ?

Si de profondes modifications n’interviennent pas dans l’organisation de la société, nous assisterons à l’apparition d’une masse sans cesse accrue d’individus non intégrés immédiatement par la société, sans pouvoirs ni droits propres, et pendant longtemps sans débouchés, le procédé qui consiste à prolonger la période de scolarité ou à entretenir un service militaire à défaut de guerres n’est qu’un expédient provisoire destiné à prolonger artificiellement un type périmé d’organisation sociale.

IL faut en effet souligner l’urgence d’une intégration immédiate des jeunes dans la société, par une consécration de leurs droits et de leurs pouvoirs, comme seul moyen de répondre valablement à la situation nouvelle. Alors que le jeune vivait autrefois dans sa famille, dont il était tributaire, il était concevable que ses droits et pouvoirs fussent exercés par son père, cette délégation recouvrant une réalité sociale, issue de la permanence et de la solidité de l’institution familiale. Les liens nationaux, comme les liens sociaux, étaient à base autocratiques, et l’intégration du jeune était parfaitement réalisée dès sa naissance et souvent au-delà de la majorité par la subordination au père de famille. Or la question qui se pose maintenant  est la suivante  qui à l’heure actuelle met en en ouvre les pouvoirs des jeunes ? Certainement plus les parents. Ces pouvoirs sont tour à tour neutralisés et exploités par des collectivités vivant sur des principes anciens appliqués à des situations nouvelles mal connues de telle sorte que chacun détient à la vérité en son  pouvoir la faiblesse de tous.

Nous constatons que chaque individu passe 30 à 40 années à lutter (ou à attendre) pour obtenir une fonction créatrice dans la société. Il n’en faut pas plus pour expliquer le marasme, le malthusianisme, la stagnation que l’on dénonce un peu partout. La fonction devient une fin en soi, alors qu’elle ne devrait être qu’un moyen. Elle coïncide fort tard avec la bonne situation, et le terme qui définit la conception, c’est un fauteuil où il fait bon se reposer, l’attente et la fatigue tenant lieu de mérite social.

C’est dire que le danger va s’aggravant au fur et à mesure que s’allonge la période improductive imposée à la jeunesse. Nous assistons à la naissance d’un sous-prolétariat, entièrement disponible, taillable et corvéable à merci, prêt à toute aventure propre à le sortir de l’inertie.



Politique de la,jeunesse ?

Nous considérons qu’une telle politique ne peut et ne doit pas se borner à une politique pour les jeunes mais surtout une politique par les jeunes. Une politique pour les jeunes est vouée au tâtonnement et au référendum permanent et stérile. La seule politique souhaitable sera celle qui consistera à fournir aux jeunes les moyens de se faire eux-mêmes. En fait la jeunesse ne sera véritablement intégrée dans la société que par une prise de conscience de ses possibilités. Ses possibilités, elle ne les trouvera pas dans le passé, l’histoire. La jeunesse est toute dans le présent, toute dans l’avenir. Son rôle est de rechercher le neuf dans tous les domaines et à tout instant car seul le neuf annonce l’avenir. Tant que la jeunesse sera privée des moyens qui lui permettent d’accomplir cette tâche, elle en sera réduite à cette position  de détachement, de refus de la vie sociale que nous avons analysée. La jeunesse n’est actuellement qu’une possibilité, elle n’existe pas. 

Claude Némaux, Panorama de la Jeunesse 1954, article publié dans le numéro 9 (et dernier) de la Revue Le Soulèvement de la Jeunesse (Marc O, Yolande De Luart), 1954

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