dimanche 27 juillet 2014

DE QUOI LEUR DENONCIATION DE L'ANTISEMITISME EST-ELLE LE NOM ?



Nous y voilà donc... l'affaire Dieudonné il y a quelques mois n'aura été qu'une préparation, une simple mise en jambes et en bouche, d'un formidable coming-out attendu qui se joue aujourd'hui sous nos yeux ébahis : la grenouille socialiste s'est muée en un prince charmant droitier, policier et décomplexé. Fortune et infortune des mots, c'est sous la bannière de la lutte contre l'antisémitisme que ces néo-conservateurs, hier aux côtés des classes malheureuses auréolés du prestige des grandes luttes sociales passées, trainent aujourd'hui leur indignation calculée entre deux diners mondains ; leur "colère", leur "mobilisation" est une mauvaise nouvelle pour beaucoup, they are still alive... et ils sont bien décidés à une nuire à une part toujours plus grande de nos concitoyens exclus de leur meilleur des mondes. A écouter ces illuminés au seuil d'une nouvelle croisade (pour ce qui de l'inquisition, nous sommes déjà bien avancés), un spectre hanterait la France, pourrirait la qualité d'un "vivre ensemble" acquis de longue date, menacerait la "cohésion sociale".... Ce nuage noir lourd de périls dans le bleu de leur ciel s'appelle l'antisémitisme. De ce  mot il a été tant de fois usé et abusé qu'il est désormais quasiment impossible d'en saisir précisément le sens ; il semble doué d'une plasticité qui lui permet de se lover dans toutes les situations, de disqualifier une idée, une personne, peut-être demain un animal ou un objet, sans avoir à se justifier ; par son vague même il remplit pleinement son cahier des charges policier : marquer, stigmatiser, accuser, condamner, sur la base d'une infamie maximale bien analysée par Godwin, à propos des processus de nazification de l'interlocuteur sur internet, et semble relever pleinement de la pensée magique. L'adjectif antisémite est désormais autoréférentiel, il se passe de commentaire, d'explication, de réfutation, de discussion (logos), il s'appuie sur la peste émotionnelle, le sentimentalisme dont il démultiplie la puissance enivrante et irrationnelle, il ne cherche pas à susciter une quelconque réponse intellectuelle, il veut la réprobation organique, viscérale, le haut-le-cœur (le succès de l'adjectif "nauséabond" véritable marqueur du bavardage contemporain), le vomissement, la colère intestinale, l'indignation partagée et la communion grégaire dans un pathos qui distingue le groupe "honorable" du dissident, forme contemporaine du bouc émissaire, ainsi disqualifié. Il fonctionne selon une dynamique d'exclusion, il trace une frontière de respectabilité, un entre-soi et un au-delà, un eux et un nous, qui se prolonge dans une organisation sociale inégalitaire : il est le catéchisme de la petite bourgeoisie inquiète, le bréviaire des notables incommodés, la morale des castes dominantes, la petite partition musicale obligée pour tout candidat à un poste important dans la bureaucratie politique ou médiatique, la dernière pornographie interdite dans un monde réglé par la transgression et l'excès ; il a eu un sens autrefois dans le champ politique, sur la scène historique, et quel sens terrible !, mais c'est à d'autres fins que les administrateurs de ce monde ont décidé de la mobiliser. Dans cette dénonciation permanente, obsessionnelle du "nouvel antisémitisme", de"l'antisémitisme qui vient"... les accusés se ressemblent tristement : jeunesses des quartiers défavorisés, musulmans, immigrés..., les accusateurs aussi ; Toute une xénophobie (de caste, de classe, d'ethnie et d'âge) venue de nos prescripteurs autorisés, politiques et médiatiques, qui habituellement savent cacher leurs incontinences, se trahit  à travers ce leitmotiv maladif toujours dirigé vers les mêmes zones turbulentes de la société, vers les mêmes outsiders en rupture ; des propos jusque là tenus et défendus dans des discussions avinées de fin de meetings lepenistes sont pleinement assumés par une "presse sérieuse", des hommes et des femmes politiques "responsables" (you can laugh now !) ; entre deux tournantes et prières de rue intempestives les jeunes islamo/fascistes aux patronymes exotiques se préparent pour le Djihad, dans la cave d'une cité où la police n'ose plus mettre les pieds... La France a peur ! MAis quelle France ? Depuis des années une partie de la presse joue sur ce tropisme anxiogène, relayant clichés, poncifs et phantasmes, trouvant toujours plus d'oreilles complaisantes auprès de nos politiques de droite comme de gauche, elle  entretient un soupçon continuel sur ceux qui apparaissent comme de mauvais républicains, voire de faux français travaillant dans l'ombre à transformer ce beau pays, ses valeurs universelles, au profit d'un communautarisme intégriste et d'une nouvelle barbarie dont l'antisémitisme représenterait l'ultime et fatal avatar... La lutte contre l'antisémitisme brandie par nos élites, leur indignation surjouée, sont la version hexagonale pathétique du "choc des civilisations" et de la "guerre au terrorisme" qui ont marqué aux États-Unis le tournant néoconservateur : panique morale diffusée à l'ensemble de la société à grands renforts de sensationnalisme médiatique, de campagne de presse, démission de tout esprit critique au nom de logiques sécuritaires et liberticides (internet est encore trop "libre" en France paraît-il), mobilisation de tous devant l'imminence d'une menace fantôme pour le moins brumeuse ("la haine" ahhrghhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh...) et d'un ennemi qui est déjà là (votre voisin, votre collègue, votre commerçant, Mustapha, Fatima, Leila....), passage progressif avec le consentement de citoyens effrayés d'un état de droit à un état d'exception, recul des libertés publiques.... Cette fièvre  groupusculaire qui s'ignore, et prétend légiférer pour tous et servir de thérapie délirante, cible la jeunesse des quartiers populaires qu'elle n'arrive plus à enrôler dans ses combats d'arrière garde, qu'elle désigne maintenant comme un corps étranger, rétif au "vivre ensemble" et aux "valeurs républicaines", une nouvelle menace intérieure ; que cette rhétorique soit un classique de la presse de droite (Valeurs actuelles ou Le figaro), voilà qui n'a rien de surprenant. Plus nouveau est son adoption par une gauche institutionnelle, force est de constater que celle-ci ne se signale désormais que par ses atermoiements "d'anciens combattants" totalement dépassés (tout fout l'camp ma bonne dame...) et ses nostalgies d'un républicanisme 19èmiste (autoritaire...) qui visiblement se réduit à une gestion policière  des problématiques sociales (voir le journal Libération et son incompréhension notable des violences qui accompagnent les manifestations de soutien aux palestiniens, le concept vaseux de "haine" tient désormais à gauche lieu de prêt à penser qui vous dispense du moindre effort spirituel). Le rappel à l'ordre quasi sarkozyste, l'injonction au respect d'un modèle dont nos jeunes émeutiers sont notoirement exclus, dispensent les insiders de s'interroger sur la légitimité d'un modèle dont ils sont désormais les heureux et seuls bénéficiaires ; ils peuvent continuer à entretenir la fiction d'une "bonne vie" communément partagée, leurs ficelles grossières ne font plus illusion ; les dernières campagnes de SOS Racisme ou de La Règle du Jeu ont été des échecs patents, ces officines vertueuses ( et bedonnantes, grisonnantes, vieillissantes...) incarnent le vieux monde, la mystification (l'antiracisme œcuménique) dont nos jeunes et fiers apaches ont appris à se méfier. Le sursaut républicain (droitisation qui ne veut pas dire son nom) ne veut pas comprendre les passions mauvaises, aberrantes par certains aspects qui travaillent une jeunesse en rupture, il en appelle aux flics, aux curés (les imams sommés de ramener "les braves musulmans" à la raison servile...) pour maintenir  son petit ordre, son standard de vie, ses mythes et ses préjugés, sus aux perdants, aux losers, aux déclassés, guerre ouverte aux classes dangereuses.... Il est significatif d'une mutation idéologique à gauche, qui traduit un clivage générationnel : la gauche d'hier, arrivée, assise, sédentaire, bien "dans la place" se découvre aussi conservatrice que ses homologues droitiers dans la défense des rentes et positions acquises, pas question de réformer la machine infernale au bénéfice des outsiders qui s'impatientent, sans perspective, dans une irrévérence nihiliste ; ce tournant néoconservateur ne va pas sans occasionner des cas de conscience au Parti socialiste (mais les places, les places...), et à gauche (salut à Esther Benbassa pour sa tribune dans le Huffington post, http://www.huffingtonpost.fr/esther-benbassa/manif-pro-gaza_b_5616724.html ) : on se souviendra pour mémoire des débats parlementaires à l'occasion des "lois anticasseurs" (1970), des arguments portés par Chazelle, Ducoloné et Mitterand et perplexe on constatera que la gauche d'aujourd'hui, cazeneuviène ou vallsienne, reprend exactement les arguments de leurs contradicteurs droitiers de l'époque.
(https://www.youtube.com/watch?v=X9WLEChR3hw)
Époque effrayante où Marine Lepen apparait comme la vedette probable d'un hypothétique dîner du Crif et où la dénonciation policière du lumpenprolétariat est devenue l'impératif catégorique, le seul combat, la seule morale, la seule intelligence sociale de la gauche "responsable". 

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