Nous avions signalé un excellent article de Louis Chauvel, dressant un état des lieux particulièrement sombre de la jeunesse en France présentée comme un groupe social perdant sur tous les tableaux du modèle social "à la française". Terra nova prolonge la discussion par une réponse de Guillaume Allègre co-auteur du rapport Terra nova "L'autonomie des jeunes au service de la jeunesse". So what ? S'il partage avec Chauvel un même constat inquiet et insiste la nécessité de réformes profondes et structurelles (notamment en ce qui concerne un système éducatif marqué par l'échec et la disqualification, l'autonomie par le versement d'un "capital formation"), il en conteste très nettement les présupposés explicatifs : pour Allègre il s'avère "contreproductif" d'opposer les générations. Les classes sociales déterminent en effet selon lui des trajectoires distinctes selon les groupes d'appartenance : un jeune issu des banlieues n'a pas les mêmes opportunités et conditions d'étude qu'un fils de cadre supérieur, la cause est étendue, il ne saurait y avoir de condition commune, de sentiment d'appartenance.. Bref, il reproche à Chauvel de survaloriser les clivages générationnels quitte à passer au second plan la sacro-sainte "question sociale". Le raisonnement est pourtant douteux car la proposition inverse pourrait être tout autant avancée : à force de se focaliser sur la question sociale, on risque de passer sous silence tous les clivages et conflits qui travaillent des classes de prime abord présentées comme homogènes. On sait d'ailleurs que la réflexion féministe et la sociologie des "minorités" a souvent critiqué cette approche "aveugle" qui dissout les problématiques spécifiques dans un grand discours générique, d'inspiration marxiste ou républicain.
Une approche par classe n'est qu'un modèle sociologique abstrait parmi d'autres, sans doute le modèle générationnel n'a-t-il dans le sciences sociales française eu jusqu'à présent qu'un faible écho mais la question est de savoir si ce modèle est opératoire pour rendre compte d'une problématique sociale encore largement ignorée. Peut-on en conséquence renvoyer les problèmes rencontrés par les jeunes dans leurs études, sur le marché de l'emploi, dans l'accès à l'autonomie, à une simple question d'inégalités sociales qu'un État providence au meilleur de sa forme redistributive pourrait sans doute solutionner ? Bien sûr que non. Le plaidoyer de M. Allège s'avère davantage être une défense inconditionnelle pro domo du vieil État providence avec toutes ses défaillances et ses impasses manifestes S'il concède volontiers qu'en matière éducative il convient en effet de s'atteler à des réformes (mais la gauche en aura-t-elle le courage politique ?), il présente le modèle de solidarité inter-générationnelle centralisé par l'Etat (prélèvement, redistribution) comme une organisation idéale bénéficiant à tous. Et à l'appui de cette déclaration déconcertante, il rappelle la mobilisation récente des jeunes contre la réforme des retraites... Les jeunes sauraient spontanément, magiquement, que ce modèle social est le meilleur des systèmes possibles, voyons M. Chauvel pourquoi vouloir opposer une jeunesse acquise à ses aînés quant tous se retrouvent pour communier dans cette église commune des "acquis sociaux" ! On pourrait objecter au sociologue qu'une enquête de terrain un peu poussée ferait sans doute apparaître les motivations multiples, contradictoires, paradoxales, qui ont poussé les jeunes à manifester, à la grande surprise des syndicats et des partis de gauche et ce ne serait sans doute pas la première fois que l'insurrection des jeunes serait récupérée pour permettre aux professionnels de la politique de faire avancer leur petite entreprise. Cette enquête révèlerait que ces manifestations avaient peut-être un caractère symptomatique, et que derrière les cortèges et leurs slogans faciles sans doute se lisaient une inquiétude et une envie réelle de peser et de participer sur les grands choix de la société. Mais le problème de M. Allègre n'est visiblement pas le jeunesse "en galère", assignée à une condition dégradée, c'est la défense inconditionnelle d'un ordre symbolique (un "marqueur") même si cela doit se faire sur le dos d'une partie de la jeunesse. Il n'est pas le seul : à gauche hors du vieil état providence point de salut ! Rien de bien neuf mais tout de même c'est étonnant de la part d'un think-thank qui prétend préparer 2012, la gauche est toujours embourbée dans l'étatisme du programme commun, les lendemains qui déchantent s'annoncent.... Ce que l'approche classiste manque pourtant c'est l'expérience concrète de trajectoires individuelles avec à chaque fois les mêmes plafonds de verre mis en place pour les meilleures raisons du monde : inflation des diplômes, études interminables, universités qui ne mènent nulle part, concurrence redoutable en milieu scolaire, barrières, numerus clausus, stages, temps partiel... avec toujours la prime à l'ancienneté, un véritable chemin de croix qui ne concerne pas seulement les jeune des quartiers populaires, mais aussi ceux mieux lotis de Génération précaire. Entre la "place souhaitée" et la "place offerte", quel parcours du combattant, véritable "bizutage social".... Ce que Louis Chauvel pointe très bien, c'est que ce "modèle social" n'est en rien universel (encore la fiction universaliste !) mais bien générationnel ; derrière le mythe de la cohésion sociale, ce modèle repose sur un clivage entre insiders les outsiders, il donne toujours plus de droits et de "privilèges" à ceux qui bénéficient déjà d'une reconnaissance statutaire, et se consacre bien moins à ceux qui devraient être sa priorité (les jeunes, les femmes, les immigrés, les externes et autres outsiders), ils défend des places statutaires et non une mobilité sociale qui reste le grand problème de la jeunesse. Quel est cependant le grand domaine d'action de l'Etat-providence si ce n'est justement la question sociale, encore faut-il la poser dans les termes justes et actuels ; le vieillissement de la population, un chômage structurel dont la France n'est jamais sortie et qui conduit à une dévaluation des diplômes minent la confiance des jeunes générations dans ce "modèle social" qu'ils vont de plus en plus devoir financer sans en avoir les retombées et les bienfaits (la question de la dépendance pour les personnes âgées et de son financement sera débattue lors des prochaines présidentielles comme celle des retraites, pas sûr que la jeunesse figure sur les agendas du PS et de l'UMP). M. Allègre semble redouter l'apparition de clivages internes aux classe sociales comme si tous les acteurs qui les composent avaient de factro les mêmes intérêts ; le patron est-il l'ennemi de ses employés, certainement pas, a-t-il pour autant les mêmes intérêts et priorités ? sans doute non et c'est bien cette pluralité d'intérêt reconnus que l'Etat doit arbitrer et harmoniser. L'augmentation des salaires des enseignants répond-elle nécessairement aux aspirations des lycéens et des collègiens, va-t-elle mécaniquement améliorer la réussite des élèves, permettre de réformer notre système éducatif ? rien n'est moins sûr mais les syndicats sont satisfaits. Le terme générique de salariés recouvre-t-il l'extraordinaire hétérogénéité des situations ? les femmes ont-elles les mêmes revendications que les hommes, rencontrent-elles les mêmes difficultés ? les jeunes salariés ont-ils les mêmes revendications que leurs aïnés ?Entre les jeunes précaires et les salariés qui prennent actuellement leur retraite, peut-on réellement parler d'une communauté de destin et perpétuer la mythologie d'un salariat uniforme tandis que les clivages entrants/sortants n'ont jamais été aussi appuyés ? Chacun dans une société des individus aspire à être reconnu comme acteur et instance qui peut et doit participer à l'organisation du "social". IL ne s'agit pas de liquider l'État providence mais de le réinventer, dans des conditions historiques qui ne sont plus celles de 1945 ou de 1981, comme il faut repenser le contrat social qui lui est associé avec toutes les composantes de la société et les jeunes doivent avoir ici toute leur place car ils sont in fine les grands perdants du modèles social, la variable d'ajustement des politiques de droite comme de gauche. En définitive, le propos de M. allège nie la jeunesse comme catégorie et question sociale spécifiques pour la renvoyer à des déterminations socio-économiques somme toute très classiques, pire son propos évoquerait presque la question sociale telle qu'elle était posée dans les années soixante-dix ! On notera enfin que dans son discours la jeunesse apparaît comme un "poids social ", un acteur par défaut, qui appelle surtout des politiques d'assistance, à aucun moment il n'envisage que cette jeunesse puisse, pour peu que l'Etat providence réformé lui en donne les moyens, constituer une force créative, une richesse, un élément dynamique au bénéfice de l'ensemble de la société, et pas seulement sur le plan culturel et social mais surtout économique. Car en l'absence de relance économique (terrain sur lequel la gauche a depuis longtemps hélas rendu les armes) qui permettrait d'augmenter le nombre de places proposées, leur qualité et la mobilité des jeunes, on voit mal combien de temps ces jeunes paupérisés, condamnés à la survie,continueront à recevoir l'aumône du meilleur des systèmes possibles sans avoir envie comme en 2005 d'une franche insurrection.
Une approche par classe n'est qu'un modèle sociologique abstrait parmi d'autres, sans doute le modèle générationnel n'a-t-il dans le sciences sociales française eu jusqu'à présent qu'un faible écho mais la question est de savoir si ce modèle est opératoire pour rendre compte d'une problématique sociale encore largement ignorée. Peut-on en conséquence renvoyer les problèmes rencontrés par les jeunes dans leurs études, sur le marché de l'emploi, dans l'accès à l'autonomie, à une simple question d'inégalités sociales qu'un État providence au meilleur de sa forme redistributive pourrait sans doute solutionner ? Bien sûr que non. Le plaidoyer de M. Allège s'avère davantage être une défense inconditionnelle pro domo du vieil État providence avec toutes ses défaillances et ses impasses manifestes S'il concède volontiers qu'en matière éducative il convient en effet de s'atteler à des réformes (mais la gauche en aura-t-elle le courage politique ?), il présente le modèle de solidarité inter-générationnelle centralisé par l'Etat (prélèvement, redistribution) comme une organisation idéale bénéficiant à tous. Et à l'appui de cette déclaration déconcertante, il rappelle la mobilisation récente des jeunes contre la réforme des retraites... Les jeunes sauraient spontanément, magiquement, que ce modèle social est le meilleur des systèmes possibles, voyons M. Chauvel pourquoi vouloir opposer une jeunesse acquise à ses aînés quant tous se retrouvent pour communier dans cette église commune des "acquis sociaux" ! On pourrait objecter au sociologue qu'une enquête de terrain un peu poussée ferait sans doute apparaître les motivations multiples, contradictoires, paradoxales, qui ont poussé les jeunes à manifester, à la grande surprise des syndicats et des partis de gauche et ce ne serait sans doute pas la première fois que l'insurrection des jeunes serait récupérée pour permettre aux professionnels de la politique de faire avancer leur petite entreprise. Cette enquête révèlerait que ces manifestations avaient peut-être un caractère symptomatique, et que derrière les cortèges et leurs slogans faciles sans doute se lisaient une inquiétude et une envie réelle de peser et de participer sur les grands choix de la société. Mais le problème de M. Allègre n'est visiblement pas le jeunesse "en galère", assignée à une condition dégradée, c'est la défense inconditionnelle d'un ordre symbolique (un "marqueur") même si cela doit se faire sur le dos d'une partie de la jeunesse. Il n'est pas le seul : à gauche hors du vieil état providence point de salut ! Rien de bien neuf mais tout de même c'est étonnant de la part d'un think-thank qui prétend préparer 2012, la gauche est toujours embourbée dans l'étatisme du programme commun, les lendemains qui déchantent s'annoncent.... Ce que l'approche classiste manque pourtant c'est l'expérience concrète de trajectoires individuelles avec à chaque fois les mêmes plafonds de verre mis en place pour les meilleures raisons du monde : inflation des diplômes, études interminables, universités qui ne mènent nulle part, concurrence redoutable en milieu scolaire, barrières, numerus clausus, stages, temps partiel... avec toujours la prime à l'ancienneté, un véritable chemin de croix qui ne concerne pas seulement les jeune des quartiers populaires, mais aussi ceux mieux lotis de Génération précaire. Entre la "place souhaitée" et la "place offerte", quel parcours du combattant, véritable "bizutage social".... Ce que Louis Chauvel pointe très bien, c'est que ce "modèle social" n'est en rien universel (encore la fiction universaliste !) mais bien générationnel ; derrière le mythe de la cohésion sociale, ce modèle repose sur un clivage entre insiders les outsiders, il donne toujours plus de droits et de "privilèges" à ceux qui bénéficient déjà d'une reconnaissance statutaire, et se consacre bien moins à ceux qui devraient être sa priorité (les jeunes, les femmes, les immigrés, les externes et autres outsiders), ils défend des places statutaires et non une mobilité sociale qui reste le grand problème de la jeunesse. Quel est cependant le grand domaine d'action de l'Etat-providence si ce n'est justement la question sociale, encore faut-il la poser dans les termes justes et actuels ; le vieillissement de la population, un chômage structurel dont la France n'est jamais sortie et qui conduit à une dévaluation des diplômes minent la confiance des jeunes générations dans ce "modèle social" qu'ils vont de plus en plus devoir financer sans en avoir les retombées et les bienfaits (la question de la dépendance pour les personnes âgées et de son financement sera débattue lors des prochaines présidentielles comme celle des retraites, pas sûr que la jeunesse figure sur les agendas du PS et de l'UMP). M. Allègre semble redouter l'apparition de clivages internes aux classe sociales comme si tous les acteurs qui les composent avaient de factro les mêmes intérêts ; le patron est-il l'ennemi de ses employés, certainement pas, a-t-il pour autant les mêmes intérêts et priorités ? sans doute non et c'est bien cette pluralité d'intérêt reconnus que l'Etat doit arbitrer et harmoniser. L'augmentation des salaires des enseignants répond-elle nécessairement aux aspirations des lycéens et des collègiens, va-t-elle mécaniquement améliorer la réussite des élèves, permettre de réformer notre système éducatif ? rien n'est moins sûr mais les syndicats sont satisfaits. Le terme générique de salariés recouvre-t-il l'extraordinaire hétérogénéité des situations ? les femmes ont-elles les mêmes revendications que les hommes, rencontrent-elles les mêmes difficultés ? les jeunes salariés ont-ils les mêmes revendications que leurs aïnés ?Entre les jeunes précaires et les salariés qui prennent actuellement leur retraite, peut-on réellement parler d'une communauté de destin et perpétuer la mythologie d'un salariat uniforme tandis que les clivages entrants/sortants n'ont jamais été aussi appuyés ? Chacun dans une société des individus aspire à être reconnu comme acteur et instance qui peut et doit participer à l'organisation du "social". IL ne s'agit pas de liquider l'État providence mais de le réinventer, dans des conditions historiques qui ne sont plus celles de 1945 ou de 1981, comme il faut repenser le contrat social qui lui est associé avec toutes les composantes de la société et les jeunes doivent avoir ici toute leur place car ils sont in fine les grands perdants du modèles social, la variable d'ajustement des politiques de droite comme de gauche. En définitive, le propos de M. allège nie la jeunesse comme catégorie et question sociale spécifiques pour la renvoyer à des déterminations socio-économiques somme toute très classiques, pire son propos évoquerait presque la question sociale telle qu'elle était posée dans les années soixante-dix ! On notera enfin que dans son discours la jeunesse apparaît comme un "poids social ", un acteur par défaut, qui appelle surtout des politiques d'assistance, à aucun moment il n'envisage que cette jeunesse puisse, pour peu que l'Etat providence réformé lui en donne les moyens, constituer une force créative, une richesse, un élément dynamique au bénéfice de l'ensemble de la société, et pas seulement sur le plan culturel et social mais surtout économique. Car en l'absence de relance économique (terrain sur lequel la gauche a depuis longtemps hélas rendu les armes) qui permettrait d'augmenter le nombre de places proposées, leur qualité et la mobilité des jeunes, on voit mal combien de temps ces jeunes paupérisés, condamnés à la survie,continueront à recevoir l'aumône du meilleur des systèmes possibles sans avoir envie comme en 2005 d'une franche insurrection.
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