(texte publié le l1/01/2014 sur ce blog à l'occasion de "l'affaire Dieudonné")
Monsieur le Sinistre, Majesté
Je
désespérais d'intéresser mes élèves zombifiés par l'insupportable
culture internet tout en buzz épidémiques aux grandes oeuvres de notre
belle France, à ses humanités classiques et ses audaces modernes, celles
qui contribuent encore à faire rayonner ce pays comme un soleil
libérateur à travers de noms magiques et incandescents : Montesquieu,
Voltaire, Rousseau, Hugo, Michelet, Zola, Peguy... Que d'incendies
salutaires allumer en leur nom ! Je vous avais jugé à tort, toutes mes
excuses Monsieur le Sinistre, je vous soupçonnais d'être coupable de
tous les rigorismes, je pensais que vous étiez un passager clandestin du
parti socialiste, une erreur de casting, un "faute de mieux" recalé à
droite sans doute en raison de votre posture d'employé des pompes
funèbres surveillant une hypothétique insurrection de cadavres à la
morgue. Quelle erreur ! Ces dernières semaines ont largement démontré à
quel point vous étiez un fin lettré et un homme politique avisé,
ambitieux, promis aux plus hautes fonctions de cette France Rance qui
avec vous s'avance décomplexée et conquérante. Quelle admirable leçon !
Depuis Malraux aucun homme politique ne s'était montré aussi féru
d'affaires littéraires et artistiques que vous ! Une vraie leçon à la
nation ! Pas un lycéen de notre heureux hexagone n'ignorera désormais
l'histoire terrible et drôle du Nègre du Surinam dont vous avez offert
ces dernières semaines une version toute personnelle, en mobilisant tous
les moyens de l'état et nos impôts, pour une chasse à cours qui a tenu
en haleine le pays tout entier, de manière bien plus efficace qu'un
télécrochet. Merci monsieur le Sinistre ! Votre Style, dont je ne sais
toujours pas s'il relève de la parodie, du drame authentique ou du gag, a
son public et sa ligne éditoriale. Dans cette traque au "mauvais nègre"
toujours aussi peu reconnaissant pour la bienveillance de ses maîtres,
vous avez renoué avec un genre littéraire tombé en désuétude, vos amis
les journalistes essaient pourtant d'en rallumer la flamme régulièrement
avec plus ou moins de succès : la persécution. Certes vous n'avez pas
atteint les sommets de l'affaire Calas ou de l'Affaire Dreyfus (ce n'est
qu'un échauffement, vous serez meilleur la prochaine fois avec les
roms), mais votre détermination en la circonstance a démontré que vous
aviez l'étoffe des grandes âmes engagées dans la défense
inconditionnelle des grands principes républicains : la liberté,
monsieur le Sinistre, la liberté... Mobiliser ainsi toute votre cour
médiatique et toute la puissance de frappe de l'état pour réduire au
silence un saltimbanque insolent, quel panache, Monsieur le Sinistre,
quel courage, on voit bien là que vous avez longuement médité la leçon
du capitaine Dreyfus même s'il ne s'est trouvé, hélas pour l' artiste,
aucun Emile Zola dans le paysage intellectuel français tout acquis à
votre combat et à la musique militaire qui l'accompagnait. Malgré ce
concert d'invectives et de haine sordide appelant à toutes les barbaries
contre ce "nègre marron" devenu subitement urgence nationale numéro 1,
je ne désespère pas d'entendre enfin les voix lointaines de Pierre Masse
et de Bernard Natan, leurs protestations venues du fond de la nuit et
de l'oubli. Vous connaissez Bernard Natan ? Sans doute votre
classicisme littéraire vous rend-il peu sensible à la modernité
cinématographique, d'autant qu'il s'agit d'une époque où le CNC tant
défendu par vos amis socialistes et pourtant crée sous Vichy n'existait
pas... Mais sa contribution au développement du Septième art mérite que
son nom ne s'efface pas de nos mémoires ; s'il fut le modernisateur
inspiré de l'industrie cinématographique française dans les années
trente, il fut payé en persécutions en calomnies, en diffamations, pour
sa réussite et son talent. Renseignez-vous, Monsieur le Sinistre, la
presse y brillait déjà par ses basses oeuvres... J'apprends que la vôtre
travaille plus ou moins de concert avec la police et l'administration
fiscale, pareille cohésion nationale ne peut que réjouir le contribuable
que je suis, j'ignorais que le Cameroun fût un paradis fiscal, mais
j'ai plaisir à voir que les services de l'Etat poursuivent avec une
inégale efficacité un propriétaire de plantations capillaires et un
"nègre marron" qui lui remplit les salles à chacune de ses tournées, ne
doit rien aux aides d'état ni à la servitude télévisuelle...
Monsieur
le Sinistre, permettez-moi, pour finir, de vous conseiller sur quelques
points de votre carrière qui s'annonce déjà élyséhaine. Vous êtes
l'homme providentiel que la gauche n'attendait plus, sa part inavouée,
son impensé honteux... vous pouvez réaliser cette mutation historique
que votre ancien secrétaire aujourd'hui résident du pouvoir peine à
assumer. Cette bourgeoisie qui dans les grandes villes et dans les
médias s'affiche toujours "de gauche" en pleurant sur le sort de
territoires perdus où elle ne voudrait jamais vivre, ces demandes
d'ordre et de sécurité qu'elle fait entendre malgré la dilapidation
hédoniste de son fort pouvoir d'achat, ce culte étonnant pour l'état et
ses sévices publics dont elle n'a pas besoin mais qui tiennent les
"classes dangereuses", les petites gué-guerres néo-coloniales que la
France mène actuellement dans tous les Surinam avec la bénédiction des
officiants du Nouvel Inquisiteur, ces pauvres qui vous fuient, ces
riches qui sont vos meilleurs amis... Inutile de chercher à droite un
néo-conservatisme à la française, vos amis le portent déjà en eux tel un
alien logé dans le ventre du lieutenant Rippley, mais ces naïfs
perpétuent insouciants l'illusion de leur jeunesse révolue ; ils vivent
encore de manière parasitaire sur les noms de Blum, Jaurès, sur les
mythes de 36 et de mai 68 alors qu'ils sont foncièrement conservateurs :
places, rentes, prestige, pouvoirs, ils ne renonceront à rien et
pourraient se révéler non sans état d'âme les premiers à demander
l'intervention de l'armée en cas de soulèvement populaire. Mais Monsieur
le Sinistre, vous êtes loin de tout cela, cette ascèse intérieure, ce
patient cheminement vers la sortie du socialisme, vous l'avez
modestement réalisé, en secret, en observant vos amis engagés en
politique, vous pensez que la France leur ressemble un peu ; ils
vieillissent, sont heureusement plus argentés qu'en début de carrière,
ils possèdent un patrimoine, des enfants, une ou plusieurs femmes, des
maîtresses ou des amants, des charges courantes à honorer, un train de
vie non négociable, ils s'inquiètent quand ils voient ces jeunes gens
surexcités massés dans l'attente d'un spectacle qui n'aura finalement
pas lieu, ils ont peur... ils sont prêts, Monsieur Le Sinistre, montrez
leur la voie !
un vilain qui vous écrit de sa vilenie