Madame La Ministre,
Vous avez donc
choisi de joindre la voix de votre ministère à celles du Sinistre de
l’intérieur et de sa meute. Vos quelques interventions dignes d’un rapport de
police ne resteront pas dans l’histoire si ce n’est celle des lâchetés, des
démissions, des renoncements et des trahisons. Elles font honte à ce ministère
et honte à ce gouvernement qui a décidé d’endosser les habits de l’ordre moral,
de la salubrité publique et de la persécution d’état. Félicitations Madame, vous
avez pour vous toutes les qualités pour un possible poste au Ministère de
l’intérieur. Votre illustre prédécesseur Jack Lang a heureusement su, bien seul au milieu des socialistes droits dans leurs bottes, trouver les mots forts et justes, en juriste mais surtout en homme
de culture aguerri, se souvenant sans
doute d’une période pas si lointaine où la création artistique était suspendue
au bon vouloir d’une censure d’état ou des humeurs de la bienséance officielle.
Vous affirmez que l’humoriste Dieudonné « n'est
ni un artiste ni un martyr, il a franchi toutes les limites (...) acceptables
dans une République, une société démocratique comme la France qui a vécu durant
la dernière Guerre mondiale des événements tragiques", vous condamnez ainsi comme un scandale moral l'insoumission de l'artiste qui fait du refus de la limite socialement admise une éthique
et une expérience créatrice. Imaginez –vous
Baudelaire et Flaubert écrivant à la lumière des sondages d’opinions, en fonction des susceptibilités d’un public, de son bon goût, de sa morale
petite bourgeoise ? Certes les conservatismes ne sont plus les mêmes, les
ordres moraux se suivent et ne se ressemblent pas : quelles sont les
chimères qui conduiraient aujourd’hui Flaubert au tribunal ? Le puritanisme de
nos féministes y jouerait sans doute pour beaucoup. Franchir les limites ?
mais c’est bien là toute l’aventure de l’art moderne, transgresser, dépasser,
repousser toujours plus loin les lignes et les limites, élargir toujours plus
le champ de l’art et en chasser la morale, les injonctions du pouvoir, les
ordres des puissances établies qui ne demandent qu’à se divertir et à dormir… La
liberté d’expression artistique semble visiblement moins importante à vos yeux que le respect des frilosités groupusculaires ou l'obéissance à une morale d’état mortifère qui prétextant
l’histoire et ses montagnes de cadavres voudrait nous enjoindre de renoncer au
rire, au plaisir, à la puissance de dépaysement jouissif du geste artistique.
Non Merci ! Vous réintroduisez la morale la plus répressive là où elle
a toujours été dénoncée et combattue, par les artistes et autrefois par la
gauche (si, si…). Telle une mauvaise fée conservatrice, vous transformez d’un
coup de baguette sémantique un spectacle en « meeting » et des
sketchs en actes délictuels ou criminels passibles des tribunaux, les bons
pères de famille qui ont jugé Flaubert et Baudelaire ne voyaient pas les choses
autrement. Visitez donc la maison de l’art, elle regorge de sympathiques
cadavres dont je goûte toujours autant la fréquentation et dont la haute
immoralité n’interdit en rien de saluer le talent : Otto Muhel, actionniste
devant l’éternel, a poussé l’utopie de la contre-culture jusqu’à ses plus
extrêmes inconséquences, la justice n'a pu retenir contre lui l’accusation de « pédophilie »
et a du se contenter de celle de « manipulations psychiques »
notamment sur les plus jeunes membres de sa communauté libertaire ;
verdict : sept ans de prison, étudiez sa vie et son œuvre, c’est vraiment
passionnant… Adolf Wolfi a passé l’essentiel de son existence en hôpital
psychiatrique, je crois qu’il avait un penchant coupable pour les très (très) jeunes
filles… Ces artistes là sont-ils selon vous « acceptables » ou les
limites qu’ils ont franchies aux yeux d’une partie de nos contemporains
justifient-elles leur mise à l’index, dans les poubelles d’une histoire
débarrassée de ses aspérités les plus offensantes ? Et que dire de leurs
œuvres qui risquent d’embarquer les
curieux dans des territoires à haut risque où finalement il fait parfois bon de se
perdre !
L’art n’est visiblement pas votre priorité ou plutôt si, un
art sur commande, un art sous influence, un art propagande, un art doctrinaire,
alibi esthétique d’une doxa promue par les institutions d’état comme au bon
vieux temps de Jdanov et du réalisme socialiste. Mais le contenu a
singulièrement changé : La lutte contre le « racisme,
l’antisémitisme, les discriminations, le sexisme… », voilà bien votre
ligne politique, le nouvel ordre moral, la nouvelle croisade et la nouvelle
inquisition et pour ce qui me concerne la franche rigolade… La mise au pas de tous
et de toutes au diapason de ce catéchisme d’état et de ses évangélistes
autoritaires n’épargne pas l’art et les artistes. Les voilà sommés de se ranger
sous la bannière du Bien ou de disparaître ! Plumitifs indigents
dégoulinant d’empathie intarissable pour leurs prochains, artistes vigilants
soucieux de déconstruire les stéréotypes infamants, essayistes masochistes
exhumant toutes les souffrances du passé pour s’y vautrer et exiger que la
société entière communie le nez dans la vermine grouillante, romanciers
tartuffes vantant une diversité qu’il fuit comme la peste car elle nuit à leur
confort et à la qualité des écoles de leurs enfants, sociologues rentiers de
l’état dissertant sur les plateaux tv du malaise des jeunes de banlieue que le spectateur
ne verra jamais, humoristes et
polémistes s’affichant comme subversifs mais tenus en laisse par leurs
propriétaires amusés… tout un clergé de Bouvard et de Péruchet s’affaire,
sermonne, surveille, punit, invective, dresse des listes, rédige des
réquisitoires, prépare sans doute quelques embastillements et conduit la
culture dans ce néant sentimental ou vous siégez comme une cendrillon abandonnée à l’occasion d’une
animation dans un supermarché... quelque part en sortie d'une petite ville de Province au nom imprononçable.
Mais rien n’est encore joué, Madame la Ministre, Ressaisissez-vous ! Vous pourriez
faire entendre une belle voix dissidente solidaire de la création et de libre
circulation des formes et des idées. Vous pourriez opposer à la virulence de notre sinistre de l’intérieur l’exemple de « L’âge d’or » de Luis
Bunuel et Salvador Dali, interdit même dans sa version soft en 1930 par le
préfet Chiappe (tiens donc, d’un Chiappe à l’autre…), suite à des troubles causés
par une descente d’excités d’extrême droite dans une salle où le film était
présenté. Vous pourriez déniaiser votre collègue turbulent, l’instruire doctement,
en lui rappelant que les bons sentiments ne font pas nécessairement les
meilleures œuvres en matière culturelle, surtout au cinéma : le chef
d’œuvre de Griffith Naissance d’une nation affiche un racisme décomplexé, et pourtant
quelle montagne sacrée du septième art ! Faudra-t-il désormais
lui préférer les comédies consensuelles qui déclinent point par point l’ennui
de votre catéchisme républicain ? Mais allons plus loin, pourquoi s’arrêter
en si bon chemin… Faudrait-il retirer de la vente le film Portier de nuit, désormais disponible en DVD en raison de l’image
« dégradante » qu’il donne de la souffrance concentrationnaire ?
Les poupées désarticulées de Hans
Bellmer forment-elles le tableau de chasse coupable d’un serial killer ?
qu’en pensent les associations féministes ? L’érotisme noir d’un Jean Genet, ses rêveries funèbres et en grandes pompes, sur la plastique des SS et des jeunes miliciens sont-ils conformes à la
sexualité d’état que Madame Vallaud-Bel-KAcem s’efforce de promouvoir avec un
talent dans le ridicule qui force l’admiration ? Et que
ferez-vous des grands infréquentables comme Louis Ferdinand Céline dont les
pamphlets referont bien un jour surface dans l’espace public ?
Comptez-vous mettre en place une signalétique ? une interdiction au moins
de 18 ans (ou plus ?) comme pour le film de Virginie Despentes et Coralie Trin Thi Baise moi il y a quelques années ?
Un enseignant pourrait-il par exemple faire étudier aujourd'hui l’œuvre de Journiac Au putain inconnu à ses élèves ou
doit-il craindre de voir les foudres de l’éducation Nationale s’abattre sur
lui (sans parler des Associations d’anciens combattants)?
Dans ce climat liberticide où les instances culturelles
travaillent au maintien de l’ordre policier, la gauche gouvernementale
ressemble de plus en plus aux ligues puritaines et parentales qui régulièrement
exercent leur lobbying et leur pouvoir de nuisance aux USA pour les raisons les
moins défendables : prohibition du metal, du rap, de la pornographie comme
nuisibles au bon épanouissement des individus… les maîtres censeurs habillent
leur volonté de réduire les libertés publiques des meilleures intentions du
monde (protection de l’enfance, atteinte à la dignité humaine, à la cohésion
sociale et nationale ( !!!) …) et c’est bien sûr cette voie là que vous
nous invitez hélas pour l'instant à suivre en emboîtant le pas à votre collègue de l’intérieur :
«Il faut évidemment avancer avec
prudence en ce qui concerne Internet. Il ne s’agit pas de faire intrusion dans
ce formidable espace d’échanges et de liberté qu’est Internet, mais il faut
prendre les dispositifs qui sont particuliers au net, et notamment à travers
les hébergeurs, pour que cela ne puisse pas se répandre quand il y a des
attaques contre la dignité de la personne humaine ».
Je m’attends
donc à ce que vous preniez un décret anti-Sade très prochainement ; car
dans les pages de ses romans, on y tue, viole, torture, bafoue la dignité
humaine avec une légèreté de ton qui déjà exaspérait Simone De Beauvoir.
Je ne peux
finir, Madame la Ministre, sans évoquer la figure d’un artiste majeur, Isidore
Isou, qui sur toutes ces questions là a dépassé, heureusement pour nous, toutes
les limites acceptées par tous les conservatismes de son temps et dont la voix
manque cruellement aujourd’hui. Lui qui avait vu de très prés la brutalité
fasciste en Roumanie lors des pogroms anti-juifs ne craignait pas avec un génie
de la provocation inégalé d’avancer les plus audacieuses formules :
« A la
recherche a posteriori des prédécesseurs, pour la plastique nécrophilique, ma pensée s’arrête, légèrement ironique,
aux tortionaires nazis, qui se sont servis de la peau humaine pour fabriquer
des objets utilitaires et parfois artistiques – paraît-il – mais on exagère
peut-être leur raffinement en la matière.
Cependant je me
distingue d’eux :
a)
Sur le plan esthétique,
car je ne fabrique pas des objets figuratifs, mais lettristes et hypergraphiques
b)
Sur le plan
méca-esthétique car je n’utilise pas seulement la peau du cadavre mais aussi sa
chaire pour un ensemble de supports inédits
c)
Sur le plan extra-esthétique,
culturel, général, car je n’ai pas tué l’homme ou l’animal présenté, étant
donné que je suis contre le crime,
pour la création et la victoire de la vie ; je ne fais qu’utiliser un
malheur acquis – la mort – pour l’amélioration d’une partie – esthétique – de la
connaissance, refusant d’augmenter le
malheur de l’ignorance »
(Notes sur la
Plastique nécrophilique, 1962/1963)
Refusez, Madame la Ministre, la dérive policière de votre
Ministère, refusez d’augmenter le « malheur de l’ignorance » !!!
Un amoureux des arts et des lettres éconduit
Michel Journiac, Au putain inconnu, 1973
Otto Muehl, Hitler und Eva Braun, 1984
Otto Muhel, Hinrinchtung, 1984
Trevor Brown, illustration, sans date, utilisée pour le picuture disc 7' de Jarboe Beast (1998)
Rob Zombie dans toute sa démesure Werewolf women of the SS
vrai-faux trailer d'un film jamais tourné (2007)