A chaque jour suffit sa peine et sa
perle ! Ce gouvernement semble décidé à battre la précédente
majorité sur le terrain de la morosité économique. Alors que le
rapport Gallois provoque avant même sa publication la polémique
dans les rangs socialistes, Monsieur de Montebourg, secondé par
quelques incurables experts en vieillerie dirigiste, est sur tous les
fronts du redressement improductif : éloge du made in France, ode à
un protectionnisme modéré destiné à préserver les emplois en
France contre de " méchants" concurrents qui ne
respectent pas les règles de ce colbertisme réchauffé, haro sur
les traîtres à la patrie qui délocalisent ou décident d'ouvrir
des entreprises dans des contrées plus hospitalières, culte de la
consommation soutenue artificiellement comme levier quasi magique
d'une croissance décidément introuvable... et dernière facétie de
notre ministre, quelques satisfécits concédés au rapport Gallois,
on se demande bien pourquoi.
Le précédent gouvernement nous avait
imposé sur le plan social et culturel un discours, des débats, qui
révélaient indéniablement une frilosité devenue peur panique face
à un monde globalisé présenté comme inquiétant, voire dangereux.
Il fallait rassurer les français sur leur identité, leur exception,
leur expliquer que finalement même si la Chine, L'Inde et le Brésil
s'invitaient à la table de la prospérité et du développement,
rien ne changerait fondamentalement pour Monsieur Dupont et Madame
Durand ; le Musée France se perpétuerait jusqu'à la Résurrection
des morts sans rien changer aux recettes qui avaient jadis fait son succès
et son exception. Paradoxe français s'il en est, les majorités
successives n'ont eu de cesse de rigidifier davantage ce presque
cadavre alors que des pans entiers de la planète se mettaient en
mouvement ! Les hommes et les femmes venus de Roumanie ou de Pologne,
De Turquie ou du Maroc, n'ont pas attendu que de maléfiques
"ultra-libéraux" fassent sauter toutes les barrières et
les frontières pour quitter leur pays. La circulation accrue
des personnes, des marchandises, des capitaux, dès le début des
années 90, a de facto grandement déstabilisé les équilibres négociés et
acquis dans le cadre de la mythique et désormais défunte période
des "Trente glorieuses". Si des populations entières sont
plongées dans l'inquiétude et la peur d'une relégation ou
d'un déclassement, d'autres attendent de ce bouleversement les
conditions d'une vie meilleure pour eux-mêmes et leurs enfants. Les
certitudes d'hier ont fini d'illusionner, leur magie n'opère plus et
c'est bien l'absence d'un discours politique à la hauteur des enjeux
historiques de cette "grande transformation" qui finira par
donner, en France et ailleurs, les clés du pouvoir à tous les
populistes qui font de l'entre soi (confessionnel, ethnique ou
social) un programme politique définitif.
Avec ce gouvernement et ce président
c'est une sorte de sarkozysme débonnaire qui a fini par s'installer,
le style brouillon en moins : pas de chasse aux "musulmans,
roms, sans papiers, chômeurs fraudeurs" et autres figures
obligées du tropisme sarkozien, mais la désignation des
entrepreneurs et patrons comme boucs émissaires d'une croissance en
berne, l'extension sans fin et sans financement d'une bureaucratie
d'état sans grande efficacité et sans direction lisible (voir la
chute des postulants aux concours de l'Éducation Nationale), une
révolution fiscale qui par certains aspects risque de décourager
l'initiative privée et l'emploi, le soutien à des entreprises sans
grand avenir économique sous prétexte qu'elles ont "fait la
France", une frilosité à l'égard de l'Europe, soupçonnée
d'être trop "libérale" et pas assez "française"
! Bref les socialistes ont l'Europe honteuse, et leur défiance
vis-à-vis de la société civile, de ses créateurs et entrepreneurs
mais aussi de leurs partenaires européens n'a rien à envier à
l'hostilité cultivée par une partie de la droite à l'égard des
immigrés. Le spectre du repli identitaire qu'il prenne les habits de
l'économique, du social ou du culturel, traverse bien l'ensemble de
la classe politique française.
Si on est en
droit de demander légitimement des comptes dès à présent au
gouvernement socialiste, c'est que l'actuel Président a défini (ou
plutôt quelques officines et mentors bien inspirés mais aujourd'hui
peu diserts) un agenda, des réformes structurelles (les socialistes
semblaient alors découvrir toute la complexité de l'économie
contemporaine) et surtout des priorités (la jeunesse notamment) qui laissaient
entrevoir le changement de paradigme si souvent espéré à gauche.
Il n'en est rien. La question de la « Jeunesse » se
trouve réduite aux mêmes vieilles lunes habituelles : augmentation du nombre
de postes comme si c'était là le remède miracle à tous les
dysfonctionnements de cette administration et au recul de la France
dans tous les classements internationaux, retour de la « morale
républicaine » au rang des grandes priorités nationales
(Peillon, ce nouveau Ferry...fait rire !). La gauche socialiste
toujours aussi peu décidée à rompre avec le clientélisme, dont
bien sûr elle n'a pas le monopole, préfère sans doute rassurer sa
base électorale constituée d'une majorité de fonctionnaires,
acheter une relative paix sociale avec les grandes centrales
syndicales comme la FSU plutôt que de s'attaquer à une réelle
« refondation » dans l'intérêt même des premiers
concernés : des méthodes, des contenus, des finalités de cette
institution et de ce que devrait proposer un service public à tous
les jeunes scolarisés de ce pays, pas un mot.
Mais c'est
sur le terrain économique que ce gouvernement a adopté une
rhétorique volontariste pour le moins inquiétante, bien loin des
ambitions réformistes timidement défendues face à une gauche
toujours plus crispée sur des postures et options à l'ancienne,
étatistes. Dans le débat récent et délirant sur le
protectionnisme souhaitable ou souhaité qui ne dit pas toujours son
nom à gauche (on parle souvent de « régulation »...)
mais s'exprime de manière décomplexée à l'extrême droite et à
droite (claude Guéant ou Henri Guaino l'ont largement réinscrit
dans les débats du moment), on pourrait objecter quelques
contre-exemples historiques : imagine-t-on Dargaud, Castermann,
Fleurus, Gléna ou Hachette, en France et en Belgique, demander un
surcroit de taxes et de réglementations sur la concurrence, à
savoir les comics américains (DC et Marvel) et les mangas japonais,
afin de pouvoir garder la main sur leurs marchés respectifs ? Notre
gaulois fétiche est pourtant une marque internationale, il est
traduit dans plus d'une centaine de langues et ses aventures se
vendent à plus de 300 millions d'exemplaires (dont « seulement »
95 millions en pays francophones) chaque année ; que penseraient nos
ayatollahs du « produire/consommer français» si les éditeurs
américains DC comics et Marvel exigeaient de leur gouvernement la
mise en place d'une réglementation destinée à décourager la
concurrence afin de préserver la consommation exclusive de produits
made in Us sur le territoire national ?
Dans le
cadre d'une économie globalisée, les moins innovants, pour ne pas
dire les « has been », cherchent sous l'aile protectrice
de l'état un moyen de garantir leur statut et leurs rentes au
détriment des consommateurs et surtout des créateurs, des forces
vives qui bousculent les habitudes et les traditions bien installées
de l'offre et la demande. Ces créateurs en rupture apportent le
grain de sable (ou la tempête) de l'innovation, disqualifient le
conformisme labellisé, installé ou subventionné, et surtout
représentent les marchés d'avenir. On m'objectera que sans la
puissance d'intervention de l'État, le cinéma « qualité
française » aurait disparu depuis bien longtemps à l'instar
du cinéma anglais ou italien. Et alors ? Nous manquerait-il vraiment
? Veut-on sérieusement signifier par là que le drame petit
bourgeois « à la française », les comédies qui
remplissent régulièrement toutes les salles et sont toujours des
succès, justifient à eux-seuls l'existence du CNC ? Canal Plus,
groupe privé, a fait bien plus pour ces deux cinémas que notre
malheureuse administration. Ou voudrait-on suggérer par là que le
cinéma « de qualité », le grand art, nécessairement privé de débouchés économiques, doit relever de l'action
« désintéressée » de la puissance publique, et
échapper ainsi aux lois d'airain du marché où il n'aurait pas
d'avenir ? Les USA démontrent plutôt le contraire : ils possèdent
une industrie cinématographique qui répond à toutes les demandes,
ils produisent des « blockbusters » mais aussi des films
grand public de qualité sans oublier un cinéma d'auteur et de
franc-tireur qui, notamment avec internet, a trouvé de nouveaux
moyens, plus ouverts, de se financer (crowfunding), de gagner
son indépendance (et je ne parle pas de leur créativité débridée
en matière de Série TV, tout style confondu). Les méfaits de cet
interventionnisme bureaucratique, si prisé dans l'hexagone, en
matière de création culturelle et artistique sont bien trop
prévisibles pour ne pas être ici dénoncés : rentes de situation,
académisme d'état financé sur fonds publics, luttes et servilité
pour coopter ces moyens au détriment de la recherche et de
l'innovation (voir les aberrants quotas de « chanson
française » obligatoires à la radio française quand on sait que la
French touch de Justice ou Daft Punk est accueillie et
célébrée en Angleterre et aux États-Unis sans visa ni quota)...
Tandis que
je rédige ces quelques lignes , la hi-fi martèle un grand classique
de black metal De Mysterris doom sathanas des sulfureux
Mayhem. Un bon exemple à suivre : les pays scandinaves, puissances
mineures sur un plan démographique et économique au regard de
l'Allemagne et de la France (quoi que...) n'en sont pas moins les
premiers fournisseurs mondiaux de talents en métallurgie (Black
et Death) ; leurs groupes font référence, bénéficient
d'une audience internationale et trouvent de fait facilement leur
place sur les grands marchés américains, européens et ailleurs
encore, bien au delà des fjords nationaux. La mondialisation des
échanges n'est pas pour ces formations une malédiction (malgré le
nationalisme agressif de certains d'entre eux), elle représente une
opportunité, la chance d'une audience élargie et d'enrichissements
réciproques (voir à ce sujet l'essor récent d'une scène Black
Metal aux USA, inspirée des exemples scandinaves).
Car à la
base de toute prospérité (dans tous les sens du terme) il y a bien
l'échange et non le repli grégaire et l'entre soi. Si Paris a
longtemps été une capitale culturelle, c'est moins en raison d'un
supposé « génie français » que des rencontres
que cette capitale ouverte, cosmopolite, permettait : Picasso,
Brancusi, Modigliani, Benjamin Fondane, Tristan Tzara, Isidore Isou,
Salvador Dali, Luis Bunuel, Gerashim luca... sans parler de ceux qui
en faisaient une étape obligatoire de leur aventure littéraire ou
artistique (William Burroughs, Brion Gysin, Henry Miller..).
La défense
des thèses protectionnistes est aux antipodes de cette « société
ouverte ». Pire encore, elle va contre l'intérêt même des
citoyens de ce pays que l'on prétend défendre et préserver de la "bête mondialiste". Car ne
nous y trompons pas, ce sont les mêmes arguments qui demain
reviendront dans la bouche des mêmes « indignés » pour
demander contre de nouveaux venus, bien français cette fois-ci,
dangereux car contestant une hégémonie ou un monopole, des peines
et des chatiments identiques. La boucle est bouclée et le
protectionnisme finit par interdire le mouvement de l'offre et de la
demande, par renforcer l'hégémonie des dominants, par transformer
les propriétaires en rentiers perpétuels sans égard pour les
aventuriers qui se sentent trop à l'étroit dans des marchés
sclérosés et portent dans leur tête des rêves inouïs qui sont
les clés économiques d'un avenir commun. Les murs et les barrières
dressées (taxes, réglementations) n'y changeront rien, cette
mondialisation honnie détruit des situations acquises et crée de
nouvelles opportunités, elle inquiète et perturbe mais elle stimule
aussi ceux qui ont choisi de pratiquer le libre échange à grande
échelle. Elle devrait être, surtout pour cette majorité qui a fait
de la jeunesse une urgence politique, l'occasion de parier sur les
outsiders, les aventuriers, les jeunes impatients et ambitieux,
plutôt que de dérouler le tapis rouge aux rentiers du vieux
capitalisme à la française (Psa Peugeot, Bouygues, Dassault et
consort qui n'arrivent plus à écouler leur obsolescence), aux
amicales de retraités de la vie économique (centrales syndicales
sclérosées, bureaucratie de fonctionnaires attachée à la
perpétuation de sa routine) et de céder aux mirages d'un
nationalisme suicidaire incapable de tenir ses promesses économiques.