dimanche 23 décembre 2012

LE CHOC DES GENERATIONS : LA JEUNESSE ITALIENNE VUE PAR MARC LAZAR

Toute l'Europe : Un sondage Istat publié récemment a montré que c’est en Italie que l’on trouve la plus grande proportion de jeunes qui sont complètement inactifs, soit 1 sur 5. Comment expliquer ce chiffre ? Quel est l’état de la jeunesse italienne ?
ML : De plus en plus dramatique !

D'autant que ce seul chiffre masque une réalité géographique : la situation est encore pire dans le Sud de l'Italie. Le chômage y est encore plus fort et frappe encore plus les jeunes, qui payent cette situation au profit des baby-boomers qui sont au pouvoir, dans une société caractérisée par sa gérontocratie. Ce sont des gens âgés qui sont au pouvoir partout : dans les entreprises, dans les institutions, dans le monde universitaire… Un phénomène de blocage s'est créé qui provoque d'importantes tensions. Je pense que l'on n'est pas loin d'un choc des générations.

En conséquence, les jeunes sont nombreux à être inactifs. Très souvent, ils restent sous le toit familial. Ces garçons italiens qui restent avec la "Mamma" pendant de nombreuses années font sourire dans toute l'Europe : c'est un cliché qui recoupe une certaine réalité culturelle (il existe un rapport étroit entre les enfants, en particuliers les garçons, et leurs mamans), mais qui sert aussi de structure de protection. Ca a toujours été le cas en Italie. Il reste la vieille idée que pour partir de la famille il faut avoir la capacité d'acheter sa maison : l'écrasante majorité des Italiens sont propriétaires de leur résidence principale. Comme les jeunes ne travaillent pas et que les crédits sont élevés, ils ne peuvent acheter de maison, et restent sous le toit familial. C'est donc une société qui se sclérose.

Un autre effet de cette tension sur le marché de l'emploi des jeunes est le fait que l'on assiste, pour ceux qui ont un niveau de diplôme important, à un exode des cerveaux qui devient très préoccupant. L'Italie se tire une balle dans le pied actuellement de ce point de vue ! Leur première destination est les Etats-Unis, la seconde, l'Angleterre et la troisième la France. Nous voyons arriver de plus en plus de jeunes Italiens qui tentent leur chance en France. Les Italiens, dans un pays qui contrairement au nôtre a une grande tradition d'immigration, n'hésitent pas à partir. C'est un énorme problème pour l'avenir d'un pays où la croissance démographique est quasiment nulle, mais qui n'est pourtant absolument pas au cœur du débat public. La légère reprise de la natalité à laquelle on assiste depuis deux ans est due à l'immigration.

Toute l'Europe : Vous animiez une table ronde sur les réponses européennes à la criminalité organisée. Pensez-vous que les jeunes inactifs, notamment lorsqu'ils ont un faible niveau d'instruction, deviennent de la matière première pour les actions de criminalité organisée, ou se livrent du moins à des activités illégales ou de travail au noir qui ne sont pas comptabilisées dans le chiffre de l'Istat ?

ML :
Beaucoup de jeunes sont inactifs parce qu'ils s'engagent dans des études qu'ils ne mènent pas à bout, dans un système universitaire en plein délabrement. Comme ils ne trouvent pas de travail, ils sont inactifs.
Dans une partie de l'Italie, notamment dans le Sud et certains quartiers périphériques des villes de Palerme, de Catane ou de Naples, c'est le passage dans la criminalité organisée. Ces inactifs sont donc très actifs dans les activités illégales. Ils sont l'humus sur lequel s'appuie la criminalité organisée.

Mais il y a une seconde chose qui n'est pas comptabilisée dans la statistique italienne, ce sont toutes les activités qui se font dans le cadre de la famille, et qui sont des activités légales. Il y a en Italie 4 millions et demi de chefs d'entreprise. A la différence de la France, l'Italie a sauvé son petit commerce et son artisanat, et ces activités se maintiennent très bien en Italie, bien qu'en baisse depuis quelques années avec l'implantation de la grande distribution, notamment française.

Or le boucher ou le vendeur de fruits et légumes, voire la petite entreprise de 4-5 personnes très performante au demeurant, fait travailler essentiellement les membres de la famille, ce qui n'est pas déclaré. Vous pouvez être jeune inactif et travailler aux côtés de papa, maman et des cousins dans la boulangerie-pâtisserie locale, qui, en même temps, a parfois développé des activités importantes sur toute une région, voire exporte des produits hors de l'Italie. Vous y travaillez mais vous n'êtes pas comptabilisé, et officiellement vous ne travaillez pas. Vous n'êtes pas dans l'illégalité, puisque la loi conçoit de travailler pour aider sa famille.
Source :
http://www.touteleurope.eu/fr/organisation/etats-membres/italie/analyses-et-opinions/analyses-vue-detaillee.html


dimanche 16 décembre 2012

ART ET POLITIQUE : SABATIER ET LE SOULEVEMENT DE LA JEUNESSE

Giulio Baldo — Le 2 novembre 2012, tu as convié quelques collectionneurs dans ton atelier pour leur présenter un ensemble inédit intitulé « Le Voir-Dit de l’externe et de l’interne réconciliés ». Quel sens convient-il de donner à ce titre ?
Roland Sabatier. — Il renseigne sur la structure formelle de cette réalisation ainsi que sur le sujet qu’elle supporte. Il s’agit de la rencontre et de l’entente difficile de deux jeunes dans le contexte culturel, politique et social actuel qui met tout en œuvre pour les séparer. Si l’un d’eux, une jeune femme, se satisfait de son rang à l’intérieur du circuit économique, l’autre, un jeune homme, méprise la place qui est la sienne dans ce même circuit et lutte afin d’améliorer son sort en multipliant des actions singulières liées autant à la « créativité détournée » qu’à la « créativité pure ». L’action à pour référence le Traité d’Économie nucléaire et Le Soulèvement de la Jeunesse, publié par Isidore Isou en 1949 -  dont les termes « externe » et « interne » sont extraits – et se déroule sur fond de luttes et de revendications en rapport avec « le programme du « protégisme juventiste » touchant aux transformations de l’école, du système bancaire, de la planification et du statut des représentants aux postes de responsabilité de l’État.
C’est sur la mise en œuvre de l’ensemble de ces différents plans que les deux protagonistes parviendront finalement à s’ajuster et à s’harmoniser.
G.B.— Le propos est d’envergure et, comme tel, il semble tenir de l’épopéïque. Qu’en est-il du « Voir-Dit » qui, sans ambiguïté, semble nous renvoyer à la poésie du Moyen-Âge ?
RS. — En effet, c’est bien une forme poétique de cette époque et Guillaume de Machaut en est le représentant le plus important. Avec son Voir-Dit de 1364, il s’agissait de textes à deux voix mêlant le récit en vers, des pièces lyriques et musicales et des lettres en prose souvent organisées autour de thèmes autobiographiques et courtois à partir d’un certain nombre de formes fixes de la poésie comme la ballade, le rondeau, le virelai ou la complainte, dont il était lui-même l’initiateur. À l’image d’une telle réalisation j’ai été tenté de concilier au sein d’une même œuvre des arrangements qui tiendraient compte, à parts plus ou moins égales, des possibilités d’expression des éléments modernes dévoilés par le lettrisme autant dans les arts visuels que dans les arts sonores.
Déjà, en 1967, j’avais réalisé Le Voir-Dit de la double obscurité, une partition au sein de laquelle s’interpénètrent constamment des composants aphonistiques et lettriques – et accessoirement infinitésimales - qui, habituellement, s’inscrivent dans des champs séparés. Longtemps, je suis demeuré obsédé par les développements auxquels une telle réalisation pouvait parvenir, notamment par l’insertion en son corps, non seulement des formes ampliques et ciselantes de la poésie et de la musique lettristes, mais, également, de tout ce que la richesse des structures hypergraphiques, infinitésimales, excoordistes et supertemporelles pouvait lui offrir de neuf à travers la variété et la densité des différents arts visuels.
La masse de notes et de documents patiemment accumulés depuis cette époque m’a décidé à entreprendre concrètement Le Voir-Dit de l’interne et de l’externe réconciliés au début de l’année 2005 et je ne l’ai finalement achevé qu’en 2011.
G.B. — La densité du travail est perceptible et le résultat impressionnant, riche d’une infinité de complexités et de nuances. Sans doute par manque de place, la présentation récente exposait les différentes planches rangées dans un porte-folio. Comment devra-t-il se présenter à l’avenir?
RS.  — Il est constitué de cinquante parties, chacune au format 65 x 57 cm, et de vingt-cinq appendices (50 x 57 cm), répartis à raison de dix planches et de cinq appendices regroupés dans une présentation murale sous la forme de cinq Livres distincts de 1,80 sur 2,85 m de large. L’ensemble atteint les quinze mètres de long. Cette possibilité n’exclut pas que l’on puisse le considérer également comme un « spectacle » susceptible d’être interprété sur une scène.
G.B. — Quelle forme ce spectacle prendra-t-il ?
RS. — Il y aura à voir et à entendre. Je veux dire que, en relation étroite avec la partition, il sera formé par des successions de séquences visuelles – projections de proses hypergraphiques et excoordistes versifiées, de bouts de films, de photographies, d’ombres chinoises, de particules électrographiques, de segments aphonistiques et infinitésimaux, de schémas, etc. – et de séquences sonores constituées par des émissions prosodiques et des interprétations de poèmes et de musiques lettristes.
Légende de l'illustration :Le Voir-Dit de l’externe et de l’interne réconciliés, 2005-2011. (Extraits du Livre 1)

mercredi 21 novembre 2012

RAPPORTS RUEF, ATTALI, GALLOIS ?

Pour goûter toute l'actualité de ce dernier Manifeste d'Isou, je recommande, eu égard la mauvaise qualité de résolution de mon scan, de passer en affichage Plein Écran ; la résolution est mauvaise mais les solutions proposées sont loin de l'être !



lundi 5 novembre 2012

PROTEGEONS NOUS DU PROTECTIONNISME !


A chaque jour suffit sa peine et sa perle ! Ce gouvernement semble décidé à battre la précédente majorité sur le terrain de la morosité économique. Alors que le rapport Gallois provoque avant même sa publication la polémique dans les rangs socialistes, Monsieur de Montebourg, secondé par quelques incurables experts en vieillerie dirigiste, est sur tous les fronts du redressement improductif : éloge du made in France, ode à un protectionnisme modéré destiné à préserver les emplois en France  contre de " méchants" concurrents qui ne respectent pas les règles de ce colbertisme réchauffé, haro sur les traîtres à la patrie qui délocalisent ou décident d'ouvrir des entreprises dans des contrées plus hospitalières, culte de la consommation soutenue artificiellement comme levier quasi magique d'une croissance décidément introuvable... et dernière facétie de notre ministre, quelques satisfécits concédés au rapport Gallois, on se demande bien pourquoi.
Le précédent gouvernement nous avait imposé sur le plan social et culturel un discours, des débats, qui révélaient indéniablement une frilosité devenue peur panique face à un monde globalisé présenté comme inquiétant, voire dangereux. Il fallait rassurer les français sur leur identité, leur exception, leur expliquer que finalement même si la Chine, L'Inde et le Brésil s'invitaient à la table de la prospérité et du développement, rien ne changerait fondamentalement pour Monsieur Dupont et Madame Durand ; le Musée France se perpétuerait jusqu'à la Résurrection des morts sans rien changer aux recettes qui avaient jadis fait son succès et son exception. Paradoxe français s'il en est, les majorités successives n'ont eu de cesse de rigidifier davantage ce presque cadavre alors que des pans entiers de la planète se mettaient en mouvement ! Les hommes et les femmes venus de Roumanie ou de Pologne, De Turquie ou du Maroc, n'ont pas attendu que de maléfiques "ultra-libéraux" fassent sauter toutes les barrières et les frontières pour  quitter leur pays. La circulation accrue des personnes, des marchandises, des capitaux, dès le début des années 90, a de facto grandement déstabilisé les équilibres négociés et acquis dans le cadre de la mythique et désormais défunte période des "Trente glorieuses". Si des populations entières sont plongées  dans l'inquiétude et la peur d'une relégation ou d'un déclassement, d'autres attendent de ce bouleversement les conditions d'une vie meilleure pour eux-mêmes et leurs enfants. Les certitudes d'hier ont fini d'illusionner, leur magie n'opère plus et c'est bien l'absence d'un discours politique à la hauteur des enjeux historiques de cette "grande transformation" qui finira par donner, en France et ailleurs, les clés du pouvoir à tous les populistes qui font de l'entre soi (confessionnel, ethnique ou social) un programme politique définitif.
Avec ce gouvernement et ce président c'est une sorte de sarkozysme débonnaire qui a fini par s'installer, le style brouillon en moins : pas de chasse aux "musulmans, roms, sans papiers, chômeurs fraudeurs" et autres figures obligées du tropisme sarkozien, mais la désignation des entrepreneurs et patrons comme boucs émissaires d'une croissance en berne, l'extension sans fin et sans financement d'une bureaucratie d'état sans grande efficacité et sans direction lisible (voir la chute des postulants aux concours de l'Éducation Nationale), une révolution fiscale qui par certains aspects risque de décourager l'initiative privée et l'emploi, le soutien à des entreprises sans grand avenir économique sous prétexte qu'elles ont "fait la France", une frilosité à l'égard de l'Europe, soupçonnée d'être trop "libérale" et pas assez "française" ! Bref les socialistes ont l'Europe honteuse, et leur défiance vis-à-vis de la société civile, de ses créateurs et entrepreneurs mais aussi de leurs partenaires européens n'a rien à envier à l'hostilité cultivée par une partie de la droite à l'égard des immigrés. Le spectre du repli identitaire qu'il prenne les habits de l'économique, du social ou du culturel, traverse bien l'ensemble de la classe politique française.
Si on est en droit de demander légitimement des comptes dès à présent au gouvernement socialiste, c'est que l'actuel Président a défini (ou plutôt quelques officines et mentors bien inspirés mais aujourd'hui peu diserts) un agenda, des réformes structurelles (les socialistes semblaient alors découvrir  toute la complexité de l'économie contemporaine) et surtout des priorités (la jeunesse notamment) qui laissaient entrevoir le changement de paradigme si souvent espéré à gauche. Il n'en est rien. La question de la « Jeunesse » se trouve réduite aux mêmes vieilles lunes habituelles : augmentation du nombre de postes comme si c'était là le remède miracle à tous les dysfonctionnements de cette administration et au recul de la France dans tous les classements internationaux, retour de la « morale républicaine » au rang des grandes priorités nationales (Peillon, ce nouveau Ferry...fait rire !). La gauche socialiste toujours aussi peu décidée à rompre avec le clientélisme, dont bien sûr elle n'a pas le monopole, préfère sans doute rassurer sa base électorale constituée d'une majorité de fonctionnaires, acheter une relative paix sociale avec les grandes centrales syndicales comme la FSU plutôt que de s'attaquer à une réelle « refondation » dans l'intérêt même des premiers concernés : des méthodes, des contenus, des finalités de cette institution et de ce que devrait proposer un service public à tous les jeunes scolarisés de ce pays, pas un mot.
Mais c'est sur le terrain économique que ce gouvernement a adopté une rhétorique volontariste pour le moins inquiétante, bien loin des ambitions réformistes timidement défendues face à une gauche toujours plus crispée sur des postures et options à l'ancienne, étatistes. Dans le débat récent et délirant sur le protectionnisme souhaitable ou souhaité qui ne dit pas toujours son nom à gauche (on parle souvent de « régulation »...) mais s'exprime de manière décomplexée à l'extrême droite et à droite (claude Guéant ou Henri Guaino l'ont largement réinscrit dans les débats du moment), on pourrait objecter quelques contre-exemples historiques : imagine-t-on Dargaud, Castermann, Fleurus, Gléna ou Hachette, en France et en Belgique, demander un surcroit de taxes et de réglementations sur la concurrence, à savoir les comics américains (DC et Marvel) et les mangas japonais, afin de pouvoir garder la main sur leurs marchés respectifs ? Notre gaulois fétiche est pourtant une marque internationale, il est traduit dans plus d'une centaine de langues et ses aventures se vendent à plus de 300 millions d'exemplaires (dont « seulement » 95 millions en pays francophones) chaque année ; que penseraient nos ayatollahs du « produire/consommer français» si les éditeurs américains DC comics et Marvel exigeaient de leur gouvernement la mise en place d'une réglementation destinée à décourager la concurrence afin de préserver la consommation exclusive de produits made in Us sur le territoire national ?
Dans le cadre d'une économie globalisée, les moins innovants, pour ne pas dire les « has been », cherchent sous l'aile protectrice de l'état un moyen de garantir leur statut et leurs rentes au détriment des consommateurs et surtout des créateurs, des forces vives qui bousculent les habitudes et les traditions bien installées de l'offre et la demande. Ces créateurs en rupture apportent le grain de sable (ou la tempête) de l'innovation, disqualifient le conformisme labellisé, installé ou subventionné, et surtout représentent les marchés d'avenir. On m'objectera que sans la puissance d'intervention de l'État, le cinéma « qualité française » aurait disparu depuis bien longtemps à l'instar du cinéma anglais ou italien. Et alors ? Nous manquerait-il vraiment ?  Veut-on sérieusement signifier par là que le drame petit bourgeois « à la française », les comédies qui remplissent régulièrement toutes les salles et sont toujours des succès, justifient à eux-seuls l'existence du CNC ? Canal Plus, groupe privé, a fait bien plus pour ces deux cinémas que notre malheureuse administration. Ou voudrait-on suggérer par là que le cinéma « de qualité », le grand art, nécessairement privé de débouchés économiques, doit relever de l'action « désintéressée » de la puissance publique, et échapper ainsi aux lois d'airain du marché où il n'aurait pas d'avenir ? Les USA démontrent plutôt le contraire : ils possèdent une industrie cinématographique qui répond à toutes les demandes, ils produisent des « blockbusters » mais aussi des films grand public de qualité sans oublier un cinéma d'auteur et de franc-tireur qui, notamment avec internet, a trouvé de nouveaux moyens, plus ouverts, de se financer (crowfunding), de gagner son indépendance (et je ne parle pas de leur créativité débridée en matière de Série TV, tout style confondu). Les méfaits de cet interventionnisme bureaucratique, si prisé dans l'hexagone, en matière de création culturelle et artistique sont bien trop prévisibles pour ne pas être ici dénoncés : rentes de situation, académisme d'état financé sur fonds publics, luttes et servilité pour coopter ces moyens au détriment de la recherche et de l'innovation (voir les aberrants quotas de « chanson  française » obligatoires à la radio française quand on sait que la French touch de Justice ou Daft Punk est accueillie et célébrée en Angleterre et aux États-Unis sans visa ni quota)...
Tandis que je rédige ces quelques lignes , la hi-fi martèle un grand classique de black metal De Mysterris doom sathanas des sulfureux Mayhem. Un bon exemple à suivre : les pays scandinaves, puissances mineures sur un plan démographique et économique au regard de l'Allemagne et de la France (quoi que...) n'en sont pas moins les premiers fournisseurs mondiaux de talents en métallurgie (Black et Death) ; leurs groupes font référence, bénéficient d'une audience internationale et trouvent de fait facilement leur place sur les grands marchés américains, européens et ailleurs encore, bien au delà des fjords nationaux. La mondialisation des échanges n'est pas pour ces formations une malédiction (malgré le nationalisme agressif de certains d'entre eux), elle représente une opportunité, la chance d'une audience élargie et d'enrichissements réciproques (voir à ce sujet l'essor récent d'une scène Black Metal aux USA, inspirée des exemples scandinaves).
Car à la base de toute prospérité (dans tous les sens du terme) il y a bien l'échange et non le repli grégaire et l'entre soi. Si Paris a longtemps été une capitale culturelle, c'est moins en raison d'un supposé  « génie français » que des rencontres que cette capitale ouverte, cosmopolite, permettait : Picasso, Brancusi, Modigliani, Benjamin Fondane, Tristan Tzara, Isidore Isou, Salvador Dali, Luis Bunuel, Gerashim luca... sans parler de ceux qui en faisaient une étape obligatoire de leur aventure littéraire ou artistique (William Burroughs, Brion Gysin, Henry Miller..).
La défense des thèses protectionnistes est aux antipodes de cette « société ouverte ». Pire encore, elle va contre l'intérêt même des citoyens de ce pays que l'on prétend défendre et préserver de la "bête mondialiste". Car ne nous y trompons pas, ce sont les mêmes arguments qui demain reviendront dans la bouche des mêmes « indignés » pour demander contre de nouveaux venus, bien français cette fois-ci, dangereux car contestant une hégémonie ou un monopole, des peines et des chatiments identiques. La boucle est bouclée et le protectionnisme finit par interdire le mouvement de l'offre et de la demande, par renforcer l'hégémonie des dominants, par transformer les propriétaires en rentiers perpétuels sans égard pour les aventuriers qui se sentent trop à l'étroit dans des marchés sclérosés et portent dans leur tête des rêves inouïs qui sont les clés économiques d'un avenir commun. Les murs et les barrières dressées (taxes, réglementations) n'y changeront rien, cette mondialisation honnie détruit des situations acquises et crée de nouvelles opportunités, elle inquiète et perturbe mais elle stimule aussi ceux qui ont choisi de pratiquer le libre échange à grande échelle. Elle devrait être, surtout pour cette majorité qui a fait de la jeunesse une urgence politique, l'occasion de parier sur les outsiders, les aventuriers, les jeunes impatients et ambitieux, plutôt que de dérouler le tapis rouge aux rentiers du vieux capitalisme à la française (Psa Peugeot, Bouygues, Dassault et consort qui n'arrivent plus à écouler leur obsolescence), aux amicales de retraités de la vie économique (centrales syndicales sclérosées, bureaucratie de fonctionnaires attachée à la perpétuation de sa routine) et de céder aux mirages d'un nationalisme suicidaire incapable de tenir ses promesses économiques.

mercredi 5 septembre 2012

CHOPIN, DUFRENE, ISOU, LEMAITRE, WOLMAN ET QUELQUES AUTRES A LA FONDATION HIPPOCRENE


ENTREE LIBRE A LA FONDATION HIPPOCRENE A PARTIR DU 7 SEPTEMBRE A 14H

PROPOS D'EUROPE 11 : LA PLASTICITE DU LANGAGE
Entre les mots : du 6 septembre au 6 octobre 2012
Entre les langues : du 16 octobre au 16 décembre 2012

Entre les mots : les artistes
Ben, Julien Blaine, Alighiero Boetti, Philippe Cazal, Henri Chopin, Claude Closky, Johan Creten, Jean Daviot, Peter Downsbrough, François Dufrêne, Jean Dupuy, Mounir Fatmi, Raymond Hains, Isidore Isou, Maurice Lemaître, Laurent Mareschal, Henri Michaux, Georges Noël, Jaume Plensa, Ernest T, Agnès Thurnauer
Pierre Tilman et Agnès Rosse, Jacques Villeglé, Gil Joseph Wolman

Pour fêter les 20 ans de sa création, la Fondation Hippocrène présente à la rentrée une manifestation exceptionnelle, ludique et poétique : La plasticité du langage. Elle réunira, au cours de deux expositions successives, une trentaine d'artistes qui exploreront les divers aspects, phoniques et graphiques, de la « matérialité de la langue ».
Quand les artistes s'en emparent, les mots et les lettres obéissent à d'autres règles, construisant des jeux féconds qui ne laisseront pas le visiteur inactif. Vidéos, peintures, photographies et installations présentées dans l'ancienne agence de Mallet Stevens, siège de la Fondation Hippocrène, témoigneront de la formidable plasticité de ce matériau.
À une époque dominée par le caractère essentiellement informatif du langage transmis par les flux numériques, les travaux de ces créateurs élaborent un corpus vivant ouvrant un champ de perceptions nouvelles.
Cette manifestation, placée sous le commissariat de Jeanette Zwingenberger, s'inscrit dans un programme d'expositions annuelles, Propos d'Europe, lancé en 2002, qui est destiné à soutenir et faire connaître la création européenne contemporaine, puisque telle est la mission que s'est fixée la Fondation Hippocrène.
Dans le cadre des Propos d'Europe, la Fondation propose également une table ronde avec les artistes en lien avec le thème de l'exposition, comme l'était également le concert donné les 26 et 27 juin.
http://www.fondation-hippocrene.fr/index.php?m1=4&l=fr

Fondation Hippocrène
12, rue Mallet-Stevens – 75016 Paris – France
Métro Jasmin ou Ranelagh (ligne 9)

lundi 9 juillet 2012

LE K



Les difficultés rencontrées par Frédéric Acquaviva dans ses efforts pour diffuser et rendre audible la Symphonie en K de Gabriel Pomerand ne renvoient pas aux petites vicissitudes juridiques de la vie audio-visuelle ordinaire ; elles s'inscrivent dans un débat plus large qui concerne le statut de la propriété intellectuelle, littéraire et artistique alors que les nouvelles technologies de diffusion des contenus culturels ne cessent de souligner l'importance d'un renouvellement théorique et législatif de ces questions brûlantes pour l'avenir de la création. Deux positions se déclinent ici :
  • d'une part l'application stricte du droit d'auteur en vigueur : le copyright est renforcé pour l'auteur puis étendu aux ayant-droits avec une liberté souveraine du titulaire du titre de propriété qui va jusqu'à un droit moral très (trop ?) large dans ses applications (voir à ce propos le passage de Gallimard à Arthème Fayard pour les oeuvres de Guy Debord). Petit retour historique : cette défense des créateurs est indissociable de la modernité libérale ; dans un univers où la culture est un marché gouverné par l'offre et la demande et non un univers normatif imposé par un clergé ou un état qui restreignent de fait l'offre de création au nom d'un art officiel et la liberté du créateur dans le même temps, celui-ci n'a pour lui que sa force de travail, et les ressources qu'il parvient à dégager du commerce de ses oeuvres. Il est libéré de ses tuteurs d'autrefois mais aussi de leurs généreux débouchés. A l'instar de n'importe quel entrepreneur ou salarié, il demande dans le cadre des relations contractuelles qu'il établit avec les acteurs du marché à ce que ses droits soient encadrés et garantis par la loi. Face aux « trusts » économiques que peuvent représenter les Éditeurs, les producteurs, les maisons de disques par exemple, il doit pouvoir compter sur la loi pour faire valoir ses droits et sa singularité. Car il est un travailleur atypique, la création n'obéissant certainement pas aux mêmes règles que celles du travail productif (qu'il s'agisse d'artisanat ou de travail à la chaîne). Les retombées économiques sont aléatoires : il peut produire un best-seller, des succès critiques et durables mais faibles économiquement... le travail artistique fait figure d'exception et cette exception a particulièrement été protégée par le droit français, le législateur ne laissant pas au seul marché le soin de réguler la vie culturelle (un reste d'ancien régime !). Plus les techniques se sont développées plus le droit s'est complexifié quitte à en devenir contreproductif : il a fallu distinguer les auteurs, les interprètes, les musiciens, statuer sur les adaptations cinématographiques, sur la reproduction rendue de plus en plus aisée des oeuvres visuelles et sonores... pourtant le droit en vigueur bouge peu sur ses grands principes, Hadopi ne  venait que confirmer cette défense inconditionnelle du droit d'auteur, avec le peu de succès que l'on sait à l'instar de l'ACTA.
  • D'autre part, si le droit pour un auteur de vivre et de jouir des fruits de son travail est philosophiquement légitime, inconditionnel, et doit être garanti par la loi, l'extension illimitée du droit d'auteur finit par susciter bien des paradoxes. La défense du droit d'auteur est ainsi présentée comme une défense des droits de/à la création et des créateurs alors qu'il ne s'agit souvent que de patrimoine, de capital et de rentes d'acteurs bien installés sur un marché lucratif. La production d'une marchandise culturelle avec ses débouchés prévisibles et récurrents devient très vite un poncif et une norme reconnue en raison de son rayonnement économique (les fameuses parts de marché), le droit ne fait qu'entériner une situation de fait. Qu'un artiste vive toute une carrière sur un même fond de commerce (faut-il citer des noms ?) et tire de substantielles dividendes de sa notoriété, qui s'en plaindra ? Inversement les acteurs privés sont souvent peu soucieux d'invertir dans des « valeurs à risque » où sans débouchés immédiats, de parier sur des propositions atypiques, novatrices, en rupture avec les normes instituées, les instances publics ne font guère mieux (copinage, cooptation...), beaucoup de jeunes artistes n'attendent rien de la Sacem et préfèrent bricoler leur propre modèle économique sur internet ; de fait le système français très soucieux des droits des artistes ne défend pas nécessairement les plus créatifs d'entre eux et ne remplit donc qu'imparfaitement les missions qu'il se donne. Ces rentes sont autant de moyens en moins pour le triptyque RDI (recherche/développement/innovation) en matière artistique et littéraire : le droit défend la perpétuation de la rente plutôt qu'une redistribution partielle des cartes. (Il faut attendre 70 ans en France avant qu'un auteur ne relève du domaine public, une diminution substantielle de ce délai permettrait sans nul doute de stimuler les politiques éditoriales en empêchant ainsi la constitution de rentes de situation et en faisant jouer la concurrence).
    Plus curieux, les prérogatives du créateur font partie de l'héritage familial au sens patrimonial (au même titre que la maison ou la voiture, la spécificité du travail artistique a ici totalement disparu) et là l'histoire récente regorge de cas limites où les héritiers semblaient davantage soucieux d'un droit à l'oubli ou au silence que d'une large et universelle publicité de leur héritage encombrant : Artaud, Rimbaud, Gilbert-Lecomte, sans parler des pamphlets de Céline, édités ailleurs mais toujours sous le coup d'un interdit familial en France... D'où une série de procès édifiants où la question brulante était de savoir qui du droit de propriété ou de droit de diffusion allait l'emporter, un écrivain écrit-il pour sa famille ou pour un public plus large... sans parler des successions qui relèvent de la gestion en patrimoine et où les enjeux économiques colossaux brouillent la dimension artistique et culturelle (la succession Giacommetti...) Sans aller jusqu'à ce que les révolutionnaires de 89 préconisaient pour éradiquer l'arbitraire de la naissance, à savoir l'abolition de l'héritage, on pourrait envisager au moins un rééquilibrage des normes juridiques en vigueur tant les conséquences d'une sur-réglementation finissent ici comme dans d'autres domaines par bloquer la création au profit de positions dominantes inamovibles et d'une logique de rente. Le développement de l'internet libre (logiciels libres que chaque utilisateur peut transformer, améliorer) ou plus encore les Common licences fournissent des pistes de réflexion prometteuses où la plus-value de l'usage l'emporte sur le droit d'auteur classique sans pour autant le disqualifier totalement. L'auteur n'est pas dépossédé de son oeuvre, il en cède l'usage partiel ou total en gardant la possibilité d'en négocier une exploitation commerciale par exemple. Dans le domaine des brevets industriels et technologiques la défense des copyrights, s'accompagne de plus en plus d'une réduction des durées d'exploitation afin de ne pas gripper un secteur qui tire de la concurrence et du refus des positions de monopole sa grande vitalité (voir à ce sujet la constitution des logiciels libres contre l'hégémonie microsoft).
Pour ce qui est du lettrisme, tous ces débats le concernent quelque peu mais si peu en définitive : 66 ans après sa création le lettrisme reste un objet cognitif et économique improbable, une cause perdue provisoirement. Sur le plan économique : c'est un placement à pertes, les ouvrages lettristes se vendent peu, c'est une micro-niche à l'intérieur d'une niche microscopique (l'avant-garde de l'avant-garde, j'en sais quelque chose pour avoir fait réédité quelques classiques..sans succès, mais là aucun regret pour les personnes rencontrées, Isou, Lemaître, Acquaviva, Sabatier et quelques autres qui finalement comptent toujours), le lettrisme sur la plan plastique est un passager clandestin de l'art moderne et contemporain, de ses institutions. Les choses tendent à bouger de ce côté là (voir l'exposition récente au Passage de Retz par exemple), plus vite à l'étranger qu'en France d'ailleurs, mais sur le marché de l'art, le lettrisme pèse peu, les ventes publiques font des scores misérables. Quelques heureux collectionneurs n'y changent rien. Les lettristes manquent de relais institutionnels ; c'est pourtant aujourd'hui un corpus de plusieurs milliers de créations et de publications sans ouverture réelle sur le plan social et économique. Le monde universitaire s'intéresse peu à cette masse de documents et d'oeuvres (et il a tort !), de temps en temps un universitaire passe, s'arrête intrigué, publie un livre, un autre passera dans vingt ans peut-être, restera-t-il, fera-t-il tomber les bastilles de l'université ?... Chaque action initiée permet de faire reculer la chape d'ignorance et d'indifférence qui confine le lettrisme aux marges de la respectabilité culturelle. Chaque action apporte une promesse de visibilité, et peut-être de reconnaissance. Qu'il s'agisse comme le rappellent Poyet, Broutin et Gillard des oeuvres d'Isou, de Lemaître, de Broutin en poésie, mais aussi de celles de Wolman dans les arts plastiques, sans fortune personnelle, ni aide généreuse des structures étatiques, Frédéric Acquaviva n'a cessé de multiplier les actions et de réinscrire les multiples apports du lettrisme dans le jeu bien huilé du champ culturel contemporain, voire à y prendre des risques, et ce d'autant plus librement que sa présence aux côtés des lettristes ne l'a jamais conduit à négliger d'autres propositions esthétiques (Henri Chopin, Marcel Hanoun, Bernard Hiedsieck...). A l'heure où ici et là on commence enfin à s'intéresser au lettrisme, il serait étonnant de voir se fermer les portes précisément sur celui dont on promettait il y a peu encore un passage mérité de l'ombre à la lumière. Gabriel Pomerand est mort en 1972 a publié plusieurs livres et peint des toiles historiques, ses oeuvres poétiques, littéraires et plastiques sont encore trop peu connues et reconnues.


Ps : pour prolonger ces débats notamment sur la distinction entre "propriété intellectuelle" et "copyright" on lira avec profit la chronique de Alain Cohen-Dumouchel 
http://www.gaucheliberale.org/post/2012/04/18/Propri%C3%A9t%C3%A9-intellectuelle-et-t%C3%A9l%C3%A9chargement

PS 2 : en lien une excellent analyse de la controverse suscitée par la récente traduction "non autorisée" d'une oeuvre d'Hemingway, enjeux et débats : http://cafcom.free.fr/spip.php?article318

GABRIEL POMERAND : NO FUTURE ?


La lettre ouverte à Garance Pomerand à propos de la Symphonie en K de Gabriel Pomerand

"Madame,


Nous avons  appris avec regret que vous aviez interdit la diffusion de la Symphonie en K  de Gabriel Pomerand, réalisée par Frédéric Acquaviva.
Outre le droit légal, justifié, des héritiers, sur l'oeuvre d'un artiste décédé, nous  défendons, à la suite d'Isidore Isou, un droit nouveau, un héritage créatif, qui associerait également les novateurs successifs, à la défense et la promotion de l'oeuvre d'un auteur disparu.
C'est au nom de ce droit neuf, encore à confirmer, que nous nous permettons de vous écrire et que nous vous demandons de réfléchir à votre décision, et d'accepter, au moins, une discussion approfondie et sans a priori, sur la qualité et la validité du travail accompli, à propos d'une pièce musicale essentielle à l'histoire et à la compréhension du lettrisme sonore.
Quelques dates, concernant la Symphonie en K, soulignent l’histoire de la symphonie et la provenance du manuscrit  : 1947, Gabriel Pomerand écrit la Symphonie en K  ; 1971, Gabriel Pomerand remet en main propre le manuscrit intégral de la Symphonie en K, à Jean-Pierre Gillard ; la même année, parution d'un extrait de la  Symphonie en K  dans la Revue Musicale, sous la responsabilité de Jean-Paul Curtay, ed. Richard Masse, Paris ;  2011/2012, à l'aide du manuscrit transmis par Jean-Pierre Gillard, Frédéric Acquaviva enregistre la Symphonie en K.
Outre la traçabilité du manuscrit de la Symphonie en K, la qualité du travail de réalisations sonores, précédemment effectuées par Frédéric Acquaviva, sont garants de la qualité et du sérieux de celle-ci : 1999, Isidore Isou, Symphonie n°1 La Guerre (1947) ; 1999-2000, Isidore Isou, Symphonie n°3 ; 2001-2004, Isidore Isou,Symphonie n°4 Juvénal ; 2006, Isidore Isou, Symphonie n°5 ; 2007, Maurice Lemaitre, Symphonie n°1, le Mariaje du Don et de la Volga (1952) ; 2009, Broutin, Concerto pour une bouche et quatre membres (1976).
Fort de cette conviction, nous vous appellons à reconsidérer votre position et de permettre enfin, après 55 ans, que soit diffusée, pour la première fois dans son intégralité, la version historique de la Symphonie en K.
C'est notre espoir, et celui de beaucoup d'autres qui souhaitent entendre l'une des plus grandes oeuvres de votre père.
Avec nos sentiments les plus cordiaux,
Pour le mouvement lettriste, 
Broutin, Jean-Pierre Gillard, François Poyet"


INTERPRETATION IMAGINAIRE DE LA SYMPHONIE EN K DANS UNE VERSION PROTESTATAIRE



dimanche 17 juin 2012

FRACTURE GÉNÉRATIONNELLE (SUITE)


"La Fance vit encore dans le système de sécurité sociale post-1945, qui gère l'éducation, le travail et la vieillesse, mais pas la jeunesse. Or, on sait qu’aujourd’hui, les jeunes occupent leur premier emploi stable à 27 ans. Que fait-on pour cette période de la vie allant de la majorité au premier emploi ? Le système français en a délégué la gestion à la famille, via le système des allocations familiales. On a bien tenté de mettre en place un millefeuilles de dispositifs pour s’adapter, mais cela ne suffit pas. On en vient à se demander si les jeunes ont vraiment des droits réels. Car si la majorité civique est à 18 ans, la majorité sociale, elle, est plutôt à 25 ans. (...)

Il faut améliorer l'éducation aux droits, c’est-à-dire faire prendre conscience aux jeunes, dès le primaire ou le secondaire, de ce qu’est notre système de sécurité sociale. C’est essentiel. Car si les jeunes n’ont pas l’aide de la puissance publique quand ils sont en galère, ils pourraient tout à fait remettre en cause le système de sécurité sociale quand ils seront plus installés. J’entends par là contester le système par répartition, ou le fait de payer des impôts.

Antoine Dulin,  Rapporteur du conseil économique, social et environnemental, entretien accordé à Libération (13 juin 2012)

On lira par ailleurs avec profit le dit-rapport ainsi que les préconisations du conseil économique, social et environnemental qui viennent comme un heureux rappel à une majorité qui a fait de la jeunesse la priorité de ses choix politiques, paraît-il... A quand une allocation d'autonomie universelle ? Le crédit de lancement ? Une réforme du marché de l'emploi enfin débarrassé de ses rigidités ? du système éducatif non pour les enseignants mais pour les lycéens et les étudiants ? 



OUBLIEZ SUR LA ROUTE LISEZ LE SINGE APPLIQUE !


Attention livre-culte ! Héros instable issu de l'avant-garde et de la contre-culture (lettrisme et situationnisme), Jean-Louis Brau en a été le plus inspiré des commentateurs et un témoin direct ; de ses expériences militaires à Mai 68 en passant par les dérives et les utopies de la route perpétuelle, l'insatiable itinérant de l'avant-garde semble avoir pris au mot l'injonction d'André Breton "Lâchez-tout !" Ni plan de carrière, ni soumission à quelques églises salutaires sacrées ou profanes, il incarne la révolte et brûle toutes les causes qu'il fait sienne sans jamais s'y perdre, toujours en quête du grand incendie; de l’extrême droite à l'extrème gauche, Brau fait de la marge et de la condition minoritaire l'expérience fondatrice d'un individualisme libertaire pour qui la sagesse n'est jamais venue, il en est le guetteur, l'exégèse, le sociologue, l'ethnographe avisé... les science sociales devraient bien plutôt s'inspirer de ce génial beatnik au lieu de célébrer l'ennui bourdivin. Drogue, alcool, dérives, radicalité politique... tout ce qui est transgressif doit être expérimenté, la vraie vie est là !  L'art aussi et quelques fois la littérature.... En 1972, les Editions Grasset publient Le Singe Appliqué, brûlot autobiographique, qui dans une prose tout en spasmes et vociférations dresse le portrait en mouvement d'un aventurier des temps modernes, retrace ses dérives et offre à la postériorité ses titres de gloire, looser définitif, "prince en haillons", et ses flibusteries nombreuses . Ce livre replonge le lecteur dans 
 une époque incompréhensible aujourd'hui, un temps d’insoumission où l’existence quotidienne était le terrain expérimental de toutes les utopies, où l'art et la littérature s'inscrivaient dans un style de vie qu'aucun de ses enfants terribles et perdus n'auraient voulu céder pour une place sécurisée, une rente... La vie dangereuse était toujours la règle, on bricolait entre deux voyages ici un livre, là quelques toiles... on discutait beaucoup, au gré des rencontres Burroughs, Gysin, les surréalistes, les sédentaires du "quartier" et les "passants" considérables ou non... avec chez Brau malgré le chaos quelques fondamentaux qui reviennent comme un leitmotiv obsessionnel (la poésie, la présence de Wolman et Dufrène, la marginalité, la clandestinité). Bien plus que la prose austère des derniers textes de Guy Debord, Le Singe Appliqué restitue, dans un verbe libéré des enfers de la langue française, le drame d'une génération qui, venue au "vieux" monde par ses lectures surréalistes et marxistes, ne consent pas à déposer les armes, à se ranger malgré la défaite, la faillite des rêves révolutionnaires. Le passage consacré à l’enterrement d'André Breton a presque ici une valeur testamentaire ; le sublime y côtoie le grivois, la grande histoire cède devant les anecdotes, les "petits tas de secrets" et se révèle alors l'ambivalence d'un narrateur dont le propos oscille toujours entre l'urgence de la révolte et l'ironie suicidaire d'un Jacques Rigaut. En 1976 les Editions Balland publiaiENt L'Hériter du château d'Isidore Isou que l'on peut lire comme un complément et une réponse au témoignage de Brau, l'envers lumineux d'un même projet de révolution de la vie quotidienne dont Le Singe Appliqué est une pièce maîtresse.
Jean-Louis Brau, Le Singe Appliqué, Le Dilettante, 2012


dimanche 8 avril 2012

BATTRE LE CAMPAGNE....

Au regard des contraintes qui imposent à l'Europe leur calendrier douloureux (crise financière, endettement des états, croissance atone, chômage...), notamment aux plus jeunes (en Espagne et en Grèce de manière dramatique), les débats pitoyables de cette campagne électorale ont de quoi légitimer toutes les colères. Cette élection, présentée comme l'échéance ultime qui doit, enfin, déterminer les grandes orientations de la France pour les prochaines décennies, se trouve plus que toutes les autres dans l'obligation de répondre à des défis sans précédent : modèle économique, social, réforme de l'État, Europe, environnement, éducation et recherche... tout ou presque n'en déplaisent aux nostalgiques des Trente Glorieuses est à réinventer. Entre deux escarmouches, deux petites phrases, les propositions les plus désopilantes font pourtant autorité comme si le temps avait entendu l'appel de Lamartine : ici un ex sénateur se fait le promoteur éructant d'un socialisme pour grabataires et prône une gestion étatiste autoritaire de tous les instants, il ne lui manque plus que la moustache et nous serons gratifiés d'un nouveau petit père du peuple, mais rassurons-nous s'il a la gouaille et la "puissance d'analyse" d'un George Marchais, c'est un bon démocrate, promoteur d'une sixième république qui se décidera peut être à abolir les politiciens perpétuels comme lui ,le nouveau venu est en mandat depuis 1986, du balais ! La candidate écologiste demande quant à elle un réel changement des comportements afin de préparer la "transition écologique", on croit deviner de ce côté là aussi la même défiance à l'égard du marché, de l'initiative individuelle, un certain autoritarisme dans cette "transition nécessaire", un surmoi troglodyte décroissant qui peine à s'assumer publiquement, un catastrophisme entretenu à dessein pour faire décroître l'intelligence du public... Du côté de l'extrême gauche c'est le pittoresque qui domine aussi, plus inquisitoriale (la parité n'est pas respectée ? en prison ! quelle solution progressiste...) , on ne veut pas laisser la radicalité autoritaire, "la dictature du prolétariat" au tribun frontiste qui de ce côté là en fait des tonnes. A quand les stages de rééducation pour les entrepreneurs récalcitrants, le goulag obligatoire pour les capitalistes impénitents ? Le Centre ? le candidat le plus européen se découvre sur le tard une fibre nationaliste et protectionniste, comme la candidate du front national, bigre, que ne construisons-nous de nouveaux murs de Berlin afin de protéger le peuple tétanisé de tous les dangers de la mondialisation ? Mais serions vraiment en sécurité sous le férule de tous ces rageux qui pour les uns sont inquiétés par les migrants, pour les autres par les concurrents, voire les deux à la fois ; le coq gaulois n'en continue pas moins à chanter même si ses pattes sont bien enfoncées dans le fumier. Le parti socialiste n'a toujours pas réussi à se réformer (comment pourrait-il réformer ce pays alors ?) ; François Hollande avait eu très tôt la bonne intuition, en fondant son programme sur un diagnostic et des réformes, en direction de ceux qui perdent objectivement sur tous les tableaux (emplois, carrière, logement) en raison des choix et priorités de leurs ainés, les jeunes. LA note de Terra nova était venue comme une pièce théorique de première importance : elle permettait d'interroger la question sociale à la lumière d'un nouveau paradigme, tout un travail que les socialistes français se reposant sur des catégories sociales traditionnelles n'avaient jamais eu le courage de faire par crainte de se priver de certaines clientèles électorales. Le succès du populisme vintage du front de gauche n'est en rien symptomatique d'un retour de la "question sociale", s'il traduit la colère face aux injustices que la crise rend plus insupportables encore, ce mouvement d'humeur renvoie davantage à une crispation identitaire, nostalgique d'une époque où le statu quo permettait à chacun de trouver son compte ; celui-ci aujourd'hui est lourdement atomisé par l'économie mondialisée. Le front de gauche ne propose que d'entreprendre une Restauration de ce modèle social obsolète sur le mode incantatoire et hallucinatoire, voire d'en renforcer la misère (l'ennui des bastions scolaires obligatoire pour les jeunes jusqu'à 18 sans pour créer à crédit encore des milliers de postes d'enseignants). Ceux qui ont quelque chose à perdre (leurs "droits acquis" notamment) se mobilisent dans un mouvement conservateur, ceux qui étaient "aux portes du paradis" (le fameux modèle social français) n'ont aucun intérêt à maintenir ce système, les désordres de la mondialisation leur fournissent d'avantage d'opportunités pour construire une trajectoire individuelle hier impossible. Hollande en avançant son projet d'un contrat entre générations, et non d'une fracture irrémédiable, tenait un programme conséquent pouvant réunir des classes populaires et moyennes et les outsiders toujours plus nombreux dans un même projet de réforme de la société et de l'état adapté aux urgences et conditions nouvelles de la période. Pourtant paralysé par la poussée frontiste, le candidat socialiste en vient peu ou prou à adopter les lignes conservatrices, sous-marxistes, protectionnistes, étatistes, bureaucratiques (extension du domaine des tentacules de la fonction publique), et on voit mal comment il réussira le grand écart entre un "protégisme juventiste" revendiqué et l'ouvriérisme réchauffé de ses alliés de demain. Le président/candidat se surprend entre dix imbécillités à attaquer son adversaire sur son propre terrain(la "banque de la jeunesse"), Hollande balaie cette proposition qui est pourtant le complément économique du volet social de son programme en direction de la jeunesse. Quelle erreur ! Qu'il lise le Soulèvement de la jeunesse et se débarrasse de ses préjugés étatistes ! Dans ce néant politique, ce retour de tous les vieux démons du XXème siècle (protectionnisme, xénophobie, poujadisme, autoritarisme) la fréquentation du web donne ici et là quelques motifs d'espérance, du côté notamment des libéraux, bien sûr totalement méprisés dans tous les débats actuels, le seul nom de "libéralisme" déclenchant dans l'espace public toutes sortes de comportements convulsifs et propos délirants chez des interlocuteurs en passe de redonner ses lettres de noblesse à l'époque stalinienne :
"
Ce n’est pas la droite qui libérera le système

Nous n’attendons rien de la droite française. Oscillant entre un conservatisme gestionnaire plus ou moins éclairé pour les uns et un bonapartisme autoritaire et dirigiste pour les autres, elle n’a jamais rien entendu au libéralisme. De Gaulle avait fait la synthèse de ses contradictions, Sarkozy en explore aujourd’hui les impasses.

Au pouvoir, elle sert avec arrogance les seuls intérêts des puissants, ne réforme qu’à la marge et méprise le peuple auquel elle ne s’adresse que pour attiser ses peurs. Internet, microbes, climat, immigration, drogues, mondialisation, terrorisme : tout est bon à prendre, jusqu’au moindre fait divers, pour instiller la crainte et mieux étendre sur nos frêles épaules la « protection » de l’État sécuritaire.

Car sous le masque du pseudo-modernisme dont elle s’affuble désormais, c’est bel et bien toujours la même droite conservatrice, ascétique et paternaliste qui est aux affaires. Qui s’étonnera qu’elle sacralise le travail, préfère l’ordre à la justice, flatte les racismes ou promette de « liquider l’héritage de mai 68 » ?

Face à elle, la gauche est introuvable

Orpheline d’idéologie de référence depuis l’effondrement du marxisme, la gauche française l’est aussi de projet. Comme si, en faisant le deuil des lendemains qui chantent, les socialistes avaient aussi renoncé à tout espoir de progrès.

Accrochée à ses niches électorales en régions qui sont autant de baronnies, elle n’intéresse plus au niveau national que par ses divisions et se montre incapable de proposer une alternative politique crédible.

Faute de projet, les socialistes donnent dans la démagogie sociale comme la droite le fait en matière sécuritaire. Au programme, toujours les mêmes rengaines : plus de dépenses publiques, plus de fonctionnaires, plus de subventions, plus de régulation, plus de législation, plus d’intervention, plus de protection. Et des impôts pour les riches, bien sur.

Ainsi prétendent-ils maintenir la flamme d’un idéal qui ne consiste plus aujourd’hui qu’à défendre des privilèges sectoriels anachroniques, et un modèle social épuisé qu’ils se refusent à réformer.

Mais la mondialisation des échanges, la révolution numérique, l’évolution des modes de vie et des parcours professionnels, ont transformé en autant d’archaïsmes les solutions que la rhétorique socialiste nous ressasse. Et ce sont les plus pauvres qui subissent aujourd’hui en France l’absence de forces de progrès et de modernisation.

Une autre gauche est possible

L’essence de la gauche n’est pas d’être dirigiste, étatiste ou interventionniste. Elle est de favoriser les conditions du progrès, au service de l’émancipation des hommes et des femmes, dans le respect de leur liberté. L’oublier a mené les socialistes et les peuples qui en attendaient la libération dans des impasses tragiques.

Avant d’être socialiste, la gauche fut libérale et libertaire, humaniste et hédoniste. Elle a exercé sa volonté émancipatrice au service des individus, ici et dans le reste du monde. Elle a réinventé une relation entre l’Etat et les citoyens dans laquelle le premier est le garant des droits et des libertés des seconds.

Il est désolant que la gauche française ait refoulé, avec tant de constance et d’aveuglement, ses racines libérales. Ce n’est qu’en les redécouvrant et en redonnant toute sa place à la pensée libérale dans sa réflexion, qu’elle peut redevenir cette gauche généreuse, respectueuse du libre choix de chacun, qui ouvre les possibles au lieu de les refermer.

Le temps est venu de raviver le message de cette gauche libérale, celle des Lumières, du Droit et de la Raison, mère de la Révolution de 1789 et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Ce n’est pas en renforçant encore les pouvoirs de l’État et des administrations que nous construirons une société plus juste, c’est en luttant contre les privilèges et les statuts particuliers, en favorisant l’égalité des chances et l’accès libre au marché, en promouvant l’initiative individuelle et la responsabilité, en défendant les libertés fondamentales."

in Manifeste des libéraux de gauche, le meilleur texte politique de la campagne, un e vraie fenêtre pour la jeunesse, l'antidote au formol Hessel, aux dames-patronnesses et à leur indignation, une réponse aux conservateurs de gauche et de droite, un refus des régressions protectionnistes et autoritaires, un appel au grand large, lâchez-tout, lâchez-tout !

http://www.libgauche.fr/manifeste-mlg/


mardi 6 mars 2012

LE MUR DE TOUTES LES VOLUPTES !


Les planches de l'Initiation à la Haute volupté rendues à leur démesure, une grande réalisation d'Isidore Isou parmi tant d'autres, une promesse de divinité... C'est à Stockholm en ce moment.

samedi 3 mars 2012

EXPOSITION JEAN PIERRE GILLARD A LA GALERIE SATELLITE





Jusqu'au 17 mars la Galerie Satellite présente des œuvres récentes de Jean Pierre Gillard ; l'artiste explique son projet dans un entretien accordé aux Enfants de la Créatique (http://lesenfantsdelacreatique.blogspot.com/)









samedi 25 février 2012

POSTERITE LIBERTARIENNE DU SOULEVEMENT DE LA JEUNESSE

"Mais plus encore que les droits des parents, ce sont les droits des enfants qui ont été violés par les hommes de l'état. Les lois sur l'obligation scolaire, qui pullulent depuis le début du siècle aux États-Unis, forcent les enfants à fréquenter les écoles publiques ou les écoles privées qui ont la faveur des hommes de l'état. Prétendument humanitaire, la législation sur le travail des enfants a systématiquement, et par la force, interdit à ceux-ci d'entrer sur le marché du travail, pour le plus grand bénéfice de leurs concurrents adultes. Empêchés par le force de travailler et de gagner leur vie, forcés de fréquenter des écoles et auxquelles ils sont mal adaptés, les enfants sombrent fréquemment dans la délinquance, ce dont les hommes de l'état prennent ensuite prétexte pour les enfermer dans des institutions pénales appelées "institutions spécialisées". (...) Les "crimes" de ces enfants ont consisté à exercer leur liberté - école buissonnière, "incorrigibilité", fugues- de manière suspecte aux yeux des marionnettes de l'Etat." (in L'éthique de la Liberté, Murray Rothbard, 1991, Les Belles Lettres)