jeudi 22 novembre 2007

LA JEUNESSE TRAHIE PAR SES CHEFS !

Le mouvement de contestation étudiante actuelle contrairement à ce qu'une approche superficielle pourrait suggérer ne s'inscrit pas dans le prolongement attendu et naturel des grandes manifestations anti-CPE même si l'un et l'autre obéissent aux mêmes ressorts : la frustration des étudiants, l'absence de perspectives futures, l'absurdité d'études et de diplômes qui ne mènent pas aux places espérées mais à la précarité et à des emplois sans rapport aucun avec la qualification obtenue. Les déclarations belliqueuses de l'UNEF, la surenchères des étudiants les plus radicaux, le folklore gauchiste, la récupération politique dans des mots d'ordre confus (contre la droite, Sarkozy, un "libéralisme" rampant et menaçant), les méthodes autoritaires d'un autre temps justifiées pour l'occasion (non à la démocratie quand elle donne raison aux étudiants opposés au blocage des campus) ne doivent pas empêcher de saisir la dynamique d'un mouvement qui par une ruse paradoxale de la raison en vient à défendre le statu quo, le maintien et le renforcement de l'université actuelle alors que c'est bien la situation actuelle qui condamne à la survie et au déclassement les étudiants légitimement inquiets. Mouvement conservateur donc... qui se nourrit de l'insatisfaction des étudiants pour demander le maintien à tout prix de la situation existante aux détriments des étudiants eux-mêmes !
Aussi était-il surprenant de lire, dans une rhétorique inspirée de la lutte des classes dans sa version année 30 , des appels à la solidarité entre les cheminots et les étudiants afin de "lutter ensemble" et de mettre en échec les "réformes" du gouvernement. Les cheminots (internes) restent mobilisés pour la défense d'acquis relatifs à leur sortie du monde du travail (la retraite) tandis que les étudiants (externes) restent au seuil d'un salariat qui les inquiète mais auquel ils souhaitent pleinement participer (exit les vieilleries gauchistes et sous-situationnistes "d'abolition du travail salarié aliénant et de la société spectaculaire et marchande"). Ce qui se lit derrière cette vague d'opposition parfois irrationnelle que les mots d'ordre de ses leaders peinent à restituer, voire déforment ou récupèrent pour faire avancer leurs propres combats, c'est le désespoir d'une jeunesse dépossédée d'avenir qui anticipe une arrivée sur le monde du travail dans des conditions dégradées alors que leurs études devraient représenter une voie d'excellence pour la réussite de chacun et la richesse même d'un dynamisme économique retrouvé. D'où ce paradoxe : pour résoudre les problèmes de l'université actuelle (filières qui ne mènent nulle part, échecs nombreux sans parler du contenu des enseignements et des méthodes), on ne se propose que de la renforcer et la maintenir à tout prix en l'état, tout en demandant une Réforme improbable dont tous (étudiants, syndicats, enseignants) soulignent l'urgence.
Plutôt que de luttes des classes faudrait-il ici parler de lutte des déclassés : entre les déclassés du système universitaire et les "réussites" des classes préparatoires, des grandes écoles et des filières pourvues de débouchés dont les étudiants généralement ne manifestent pas, entre les déclassés présents qui fourniront le gros des déclassés sociaux futurs et les "gagnants" qui pourront négocier leurs savoirs, leurs compétences et leur intelligence dans les meilleures conditions et obtenir la place espérée quand d'autres devront se contenter d'un placement au rabais. Luc Cédelle dans un article du Monde du 22/10 saisit remarquablement ce mouvement contradictoire des étudiants ; commentant les accusations à charge formulées contre la Loi Précresse (pourtant négociée avec les organisations syndicales étudiantes), il rappelle que "même l'affirmation de la mission d'insertion professionnelle de l'université et l'encouragement à développer des formations dites "professionnalisantes" sont présentés comme des abominations. "La professionnalisation est au contraire le plus court chemin vers la déqualification et la précarité", assène le texte adopté par la "coordination nationale" qui s'est tenue les 17 et 18 novembre à Tours".
Externes par rapport au salariat organisé et à ses nécessités, les étudiants n'ont pour interpeler la société sur l'avenir qu'elle leur prépare (ou que justement elle ne leur prépare pas !) qu'une contestation de leurs conditions qui va grandissante, et ce dans la plus totale confusion. Le gouvernement autant que l'opposition seraient bien avisés de prêter attention à cette rumeur qui gronde dans la mesure où elle anticipe l'état dégradé dans lequel les nouvelles générations arriveront au salariat... et pour quelle place ! Cela permettrait ainsi que les questions de fond relatives aux problèmes qui minent l'université française soient posées, hors de toute récupération politique ; malgré les éructations des organisations étudiantes, ni Sarkozy, ni le "capitalisme mondialisé", ni la droite pas plus que la gauche, ne sont la source première de leurs problèmes, ce sont là autant d'os à ronger livrés à l'inquiétude et au ressentiment des étudiants (et à sa créativité détournée) sur lesquels les plus politisés espèrent construire leur légitimité et faire avancer leurs combats (qui ne sont pas nécessairement les combats et les urgences des étudiants !) ; plus grave ce sont autant de contre-feux allumés pour éviter de poser un diagnostic éclairé sur l'état du système universitaire, ses faillites et ses réussites, et poser les questions essentielles : quelles études ? Pour faire Quoi ? Comment mieux articuler les relations entre le savoir universitaire et l'économie de la connaissance dans laquelle nous sommes désormais ? Quelles sont les raisons du fort taux d'échec en premier cycle universitaire ? Comment faire pour que l'université devienne une voix d'excellence, jouant pleinement le rôle d'ascenseur social ouvert à tous, n'ayant rien à envier aux grandes écoles ?... A y réfléchir sérieusement l'autonomie des universités représenterait moins un problème qu'un début de solution.

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