vendredi 11 janvier 2008

LA NARRATION A L'HEURE INFORMATIQUE

J'ai publié comme précédent post un texte de Jean Pierre Palde qui pose de manière très intéressante et dans un souci de création/production les rapports du texte avec l'émergence des nouvelles technologies et du multimédia : qu'en est-il de la littérature comme tradition textuelle héritée de Guttenberg au moment où la communication se complexifie et voit ses conditions historiques bouleversées par la généralisation d'innovations technologiques (inter-activité théoriquement illimitée du support informatique, prolifération des codes, des langages et des systèmes, grammaires nécessairement plurielle de cette nouvelle donne de la communication...). Sa réflexion manifeste un souci de mettre en perspective d'un point de vue historique les conditions de la production du fait littéraire et de formuler les espaces ainsi libérés où se jouent de nouvelles chances de création. Même si l'article ne fait pas explicitement référence à la notion d'avant-garde, il inscrit sa démarche intellectuelle en prenant acte des tentatives "spatialistes et lettristes", de l'Oulipo... bref d'une sortie progressive du livre imprimé effectuée par les avant-gardes au profit d'un éparpillement fécond vers le visuel et le sonore. Le support informatique a radicalisé et accéléré ce mouvement qui lui est pourtant antérieur en offrant des possibilités matérielles sans précédent à la recherche et à la création. Les catégories opératoires mises en avant par Jean Pierre Palde rejoignent ainsi une partie des recherches et apports du lettrisme ; derrière les appellations de littératures "participatives, hypertextuelles, spectaculaires", je retrouve en partie les théories qu'Isou avait développées sous les noms de "supertemporel, d'hypergraphie ou d'interparticipant" ; il n'est qu'à relire AMos ou introduction à la métagraphologie pour prendre la mesure de l'actualité multimédiatique du lettrisme. Les planches de Gabriel Pomerand donnent un aperçu de ce Gai savoir lettriste dans ses premières oeuvres, les oeuvres narratives de Roland Sabatier et d'Alain Satié publiées dans le cadre des Editions Psi (http://www.lecointredrouet.com/lettrisme/psi/PSI.pdf) viennent comme les authentiques créations d'une littérature contemporaine (expression totalement dépourvue de substance autant dans les supermarchés du livre que dans les officines des "belles lettres") qui est aujourd'hui confinée aux marges de l'industrie littéraire et culturelle. Medium is the message affirmait Marshall Mc Luham mais nous savons désormais que cette proposition est incomplète et que la création a besoin de plus que d'un support même si ce support modifie radicalement les conditions de l'expression artistique ; on reconnaitra là la raison profonde de la polémique entre les lettristes et les tenants de la poésie sonore, post-lettriste qui cherchaient à se renouveler en s'appuyant davantage sur les possibilités mécaniques des nouveaux matériels d'enregistrement et de restitution sonore.
Leçon paradoxale qu'il faut tirer de la réflexion passionnante de Jean Pierre Palde : le tapage médiatique qui entoure la publication des romans guttenberguiens toujours plus nombreux et rivalisant de conformisme narratif est à la mesure du peu d'espace dont dispose toute autre offre artistique. Dans le circuit traditionnel de l'édition ces littératures multimédiatiques n'ont aujourd'hui ni place ni débouché, ni réel relai institutionnel (d'où par exemple les difficultés d'un éditeur comme AL Dante) si ce n'est dans les voisinages de l'art contemporain. Le Web reste pour l'heure l'espace électif où se construisent ces nouvelles voies pour la fiction.

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