L’Agrégation d’un Nom et d’un Messie, livre épuisé depuis bien longtemps, est un roman d’apprentissage pour le moins insolite. Publié en 1947 aux Editions Gallimard, cet épais volume surprend par l’âge de son auteur et le dessein qui s’y dévoile : Isou à vingt ans à peine fait de sa vie la matière exemplaire d’un destin, le préambule définitif à une œuvre à venir. De ce roman d’initiation, il est le personnage emblématique, érigé en mythe vivant. Le lettrisme reste incompréhensible sans référence à ce texte fondateur. La part autobiographique le dispute aux considérations éthiques et théologiques mais les tribulations du jeune Isidore, de chapitre en chapitre, contribuent, par ajouts et agrégations répétées, à la formation d’un personnage romanesque abouti et fixé dans sa perfection éternelle. Isou sera plus qu’un Julien Sorel ou un Rastignac, il sera le premier personnage de roman « vivant et réel », au delà de l’exemplarité classique et de la dispersion romantique :« Ce qui nous apparaît ici plus important reste la volonté de l’auteur de se projeter - en dehors de sa projection par l’œuvre – comme personnalité, comme exemple d’un état : incarnaion vivante du parfait-réussi (…) Mais nous ne connaissons pas d’écrivain (et surtout de romancier) qui puisse s’offrir comme modèle au delà de l’écrit . Ni Malraux ne représentera pour nous le Révolutionnaire (il ne le désire pas), ni Gide-Lafcadio ; ni Stendhal-Julien Sorel, ni Montherlant le sportif. (…) Nous trouverons les exemples des hommes incarnant des valeurs dans les figures sans activité littéraire (…) De ce genre d’hommes, l’auteur s’inspire alors qu’il veut créer Isou, exemple de l’homme complet-réussi. Héros équilibré, certain de ses possibilités de représentation ». La vie et la littérature se confondent moins dans un style communément adopté que dans une volonté de faire de l’œuvre la justification de la vie et la matière d’un panégyrique perpétuel. Méthodiquement, le romancier autobiographe ne retient de sa vie que les plus hauts moments significatifs d’un accomplissement créateur. Les personnages de l’épopée (Irina, Bif, Ludo, Zissu) constituent comme autant de passages initiatiques, d’échelons qui vont permettre à Jean Isidore Goldstein de devenir Isidore Isou. Au terme de son périple qui le conduit de sa Roumanie natale à la nouvelle Jérusalem que représente à ses yeux Paris, Isou est achevé, il s’est construit et édifié dans et par des œuvres (Marx, Lénine, le judaïsme, Proust, Joyce, Baudelaire, Rimbaud, Dada…), il portera désormais le feu de ses propres œuvres aux hommes. La fin du roman marque la clôture d’un cycle d’initiation dépassé par les nouvelles aventures bibliographiques d’Isidore Isou déjà sous presse :« Dans ce sens, un héros parfait et réussi reste un exemple à atteindre, symbole d’un dépassement des forces existantes (…) Le modèle isouien représente le premier effort, le cadre originel, pour l’obtention de cet inédit idéal collectif. Les générations prochaines seront isouiennes ou elles se perdront sans signification jusqu’à cette réalisation ».(p.443)Le livre est inégal bien sûr, certaines pages de circonstance, écrites dans l’agitation fiévreuse de l’après-guerre, ont sans doute bien mal vieilli. Mais ce curieux mélange de maladresses (dans la construction, les effets de style) et de sérieux presque académique, loin de rebuter le lecteur, rend d’autant plus manifeste la puissance d’invention que portent ces premières pages.Le titre du roman a une fonction programmatique : la trinité Nom/agrégation/messie délimite pour longtemps l’imaginaire isouien et ses pôles symboliques structurants.
Nom : Isou a toujours refusé la banalité du quotidien, productif et insignifiant, où chacun végète dans la répétition et la vacuité en attendant de disparaître dans l’anonymat et l’indifférence. La création seule peut émanciper l’homme de sa finitude et enchanter le monde. Le nom est la trace prescriptive d’une création qui redonne au chaos des gestes et des paroles un sens, une ligne directrice et une exigence. Au sortir d’une autre guerre, marquée par l’horreur génocidaire, Isou ne reprend pas le nihilisme désespéré de Dada. Sur quoi pourrait jouer la désinvolture dadaïste et sa table rase quand il ne reste que des ruines ? Son intelligence est d’anticiper alors la décomposition de toute la culture moderne. Ce gai savoir n’est en rien le secret, le code ésotérique, gardé par quelques initiés. Il constitue le préambule à la possibilité d’une révolution culturelle sans précèdent. La place laissée vacante libère la création et ses sortilèges : tout est à reconstruire, les idées, les valeurs, les pratiques, les arts. Isou manifeste une conscience particulièrement aiguisée d’une banqueroute irréversible de la modernité. Le vide de l’époque aidant (retour du surréalisme, de la peinture abstraite, vacuité philosophique d’un existentialisme tardif), Il procède selon une stratégie d’occupation systématique de la première place non sans impatience et prosélytisme : dans le cinéma, la poésie, l’économie politique, la peinture… Isou veut laisser son Nom. Le nom résume et immortalise l’œuvre comme destin, il renvoie au marbre d’un accomplissement créateur. Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé, Tzara, Breton ou Apollinaire ont marqué par leurs apports formels le devenir du domaine poétique, ils en ont bouleversé les pratiques, écrit l’histoire. Isou ne conçoit pas l’existence en deçà d’un tel achèvement. Le geste créateur reste à ses yeux le plus haut moment qualitatif de l’existence car il arrache au temps un peu de son éternité. Les déterminismes sociaux, psychologiques autant que les anecdotes venues du quotidien constituent le bas-fond commun contre lequel s’affirme la nécessité créatrice. Maurice Lemaître en lettriste conséquent formulera cette conviction en un raccourci saisissant, à savoir que « sur ce globe, personne n’a jamais vécu que Socrate, que Dante, que Joyce ! ». Mais au contraire de ceux-ci, Isou n’entend pas laisser un nom dans telle ou telle branche culturelle, il veut les occuper toutes et être le point de référence d’un renouveau culturel global, post-isouien : que l’on prenne le soin de lire la bibliographie « à paraître » qui ouvre L’Agrégation d’un Nom et d’un Messie :« Eléments de la peinture lettristeLes Journaux des dieux précédé de : construction du dernier roman possibleFondement pour une transformation totale du théâtreLes tables génésiques : unité de mesure pour un autre départ de la philosophieSchèmes d’une véritable philosophie de la cultureEsthétique suivi de Bases pour la construction des arts nouveauxLettre au maréchal Staline sur la question palestinienne (notes pour la création d’un parti communiste sioniste)Politique suivi de principes des soulèvements futurs ».Plus déroutant encore est le fait qu’il a réalisé sur un demi siècle l’ensemble de ce programme initial bien au delà des objectifs visés.
Messie : car cette position philosophique devant l’existence, le salut des hommes par leurs œuvres, est fondatrice d’une réflexion théologique issue directement du judaïsme. La dérive mystique a toujours tenté l’avant-garde, souvent d’ailleurs contre ses mots-d’ordre modernistes et sa dialectique formelle. De Kandinsky et Malevitch à Yves Klein ou John Cage en passant par Dada et les « voyants » du surréalisme, l’énigme de la transcendance a survécu à Marx, Nietzsche et Freud. La modernité dans ses plus audacieuses propositions rejoint souvent l’interrogation métaphysique malgré et souvent contre un formalisme méthodologique.L’agrégation relate la formation spirituelle et politique du jeune Isou, lecteur attentif de Marx et militant sioniste de gauche. L’insatisfaction devant le monde, le désir d’en dépasser les imperfections, trouvent chez Isou, comme chez Marx leur formulation sécularisée : l’utopie d’une société paradisiaque.« L’unité du Dieu judaïque n’est pas un nombre, mais ce centre d’inconnaissance vers lequel nous avançons, que nous rétrécissons et autour duquel nous bâtissons le monde (..) Le judaïsme a mis sur le tapis, la discussion de la genèse et de la fin, la marche, le progrès de l’homme dans le monde et son but ». (L’Agrégation..., p259). Le judaïsme garantit la connaissance, l’élévation spirituelle des hommes, mais promet aussi la réalisation immanente, terrestre et concrète, de la grâce et de la joie. A ce noyau progressiste premier, Isou apporte une contribution qu’il estime décisive : la création et ses lois. La propension messianique de sa prose est attestée par l’usage redondant de l’indicatif futur et le recours toujours sur le mode de l’hyperbole à la troisième personne. Un tel lyrisme de la prophétie ne se retrouve pas même dans la bible, il envahit et gonfle jusqu’à saturation, la prose de tous les grands textes manifestes d’Isou, quitte à irriter le lecteur. Loin de céder à l’exerce de style, Isou démontre ainsi qu’il est la première confirmation exemplaire de l ‘exactitude de ses théories. Contrairement aux pains multipliés de la bible, ses créations sont l’oeuvre profane d’un divin en acte auquel chacun peut accéder dans la mesure où il en accepte les lois. Isou adopte la pose et la prose du messie qui vole aux dieux leur feu et en fait don aux hommes. Ni gourou fumeux, ni leader charismatique intéressé par l’exercice solitaire du pouvoir, il endosse le qualificatif de messie parce qu’il offre aux hommes la chance d’un dépassement dans les territoires culturels qu’il leur révèle : la peinture hypergraphique, la poésie lettriste, l’esthétique imaginaire, le cinéma discrépant, l’art supertemporel, la kladologie, l’économie nucléaire... Philippe Sers dans son ouvrage Totalitarisme et avant-gardes (Les Belles Lettres) souligne la présence d’« une notion qui va fédérer tous les apports de la judéité en unifiant sa tradition de la distance iconique et la puissance de la loi : c’est la notion de l’ou topos, propre au peuple errant, l’utopie toujours revivifiée par un modèle infini et toujours insatisfaite par les œuvre humaines. » (p. 89) La pensée d’Isou se tient toute entière dans cet ou topos poussé au paroxysme. Le judaïsme a le premier formulé l’exigence progressiste d’une humanité et d’un monde perfectibles : l’invention et la découverte, promues par Isou, marquent des étapes qui sont comme autant d’avancées vers cette utopie paradisiaque enfin rendue réelle :« Je nomme juif tout ce qui aide l’avance du monde (..) Le rôle des juifs, c’est d’égaliser, de créer Dieu dans le monde ». Isou prendra ensuite ses distances avec ce judaïsme originel ; sa Créatique se veut la Table des lois dernière, l’encyclopédie ultime qui complète et dépasse les approximations métaphysiques et philosophiques de ses prédécesseurs. Ainsi il affirme dans Amos ou Introduction à la métagraphologie qu’« à l’aveuglement mystique (ignorance de Dieu) et à l’aveuglement nihiliste (négation de Dieu) il s’agit d’opposer la méthode créatrice (isouienne) qui est la connaissance de la loi à laquelle obéit Dieu et des voies par lesquelles on peut devenir son égal » (p.12). Les théologies passées ont fondé des religions désormais figées dans leurs dogmes et leurs rituels, elles doivent être dépassées dans la mesure où elles sont incapables de manifester concrètement le paradis qu’elles promettent La référence a un ordre transcendant pleinement revendiqué constitue l’aspect le plus déroutant de sa pensée pour le lecteur formé à une modernité désenchantée. Loin des arrières mondes chrétiens autant que du scepticisme et du nihilisme, le divin est une catégorie anthropologique nécessaire qu’Isou n’entend pas abandonner à l’obscurantisme religieux :« Le monde recherche la particule éternelle capable de multiplier intégralement sa joie (…) Le « Paradis » sera une forme d’auto renouvellement intégral. Ceux qui connaîtront son ordre seront, seuls, dignes de lui. Toutes les branches de la connaissance n’ont d’importance que par rapport au Paradis. Les disciplines se sont constituées et formées en elles-mêmes, comme autant de voies centrales ou d’impasses, devenues meurtrières, vers le foyer éternel et intégral de la joie » (Amos p. 10/11) Le divin selon Isou ne relève donc ni de l’extase contemplative, ni de l’ineffable. C’est par l’ascèse créative et ses actes que l’homme actualise le divin qu’il porte et qui est sa seule transcendance légitime. A la contemplation il oppose le geste créateur, au silence mystique la révélation et le prosélytisme de la propagation (des milliers de pages noircies, un soucis patent de vulgarisation, des conférences), aux mystères ésotériques la connaissance et ses lois exotériques, au sacré acéphale et dévastateur d’un Bataille, une méthode d’élévation spirituelle, La Créatique, apte à fonder un nouveau mythe collectif. Greil Marcus commentant cette ambition théologique souligne qu’à l’instar de Dada et de son chaos millénariste, « Isou (déterre) lui aussi la croyance gnostique que ceux qui s’assemblent autour de la vérité, ceux-là et personne d’autre, deviennent les Dieux de la Vérité, et héritent de la terre » (in Lipsticks traces, P. 294, Allia). Rien n’est pourtant plus étranger au théoricien du lettrisme que l’idée de constituer une société secrète, un sanctuaire farouchement gardé, réservé à la jouissance des seuls initiés. Marcus comprend à tort l’histoire des avant-gardes comme un prolongement des hérésies nombreuses (groupe d’initiés, sectes païennes, sociétés secrètes) qui ont accompagné et combattu le christianisme dominant. Ce retour du refoulé mystique n’a sans doute pas épargné le surréalisme, Malevitch ou Kandinsky mais il est à chez eux à lire comme un désaveu, le renoncement aux exigences de l’avant-garde pour un repli sur des positions spirituelles régressives. Ce religieux intempestif tient justement lieu de programme quand l’art et le politique ont cessé d’être une problématique à résoudre et à dépasser. Le surréalisme, dans sa phase terminale, donne un exemple particulièrement confondant de cette régression mystique : après le communisme, le troskysme, l’anarchisme, André Breton en appelle pour finir aux « grands transparents » afin de prolonger un surréalisme moribond. La démarche d’Isou est inverse : si l’avant-garde tombe dans le gâtisme mystique après avoir joué sa meilleur carte, à savoir sa force d’invention formelle, c’est qu’elle n’a pas vu et su résoudre une problématique métaphysique que Nietzsche avait magistralement écartée par la formule : « Dieu est mort ». Alors que les avant-gardes avancent dans les espaces désenchantés et sécularisés de la modernité, en rejetant l’hypothèse transcendantale dans les poubelles de l’histoire, la créatique isouienne renoue avec celle-ci et en renouvelle la substance.
Agrégation : Isou en tant que héros de son propre roman est un personnage « agrégé » d’un type nouveau. Dans son Essai sur le bouleversement de la prose et du roman (Escaliers de Lausanne, 1950) il rappelle que le roman post-balzacien se singularise par une décomposition progressive et irréversible de ses formes organisatrices (l’espace, le temps, et surtout les personnages) :« Les personnages momentanément gagnés par un habile équilibre des nuances souterraines devaient, au premier mouvement volcanique, atteindre leur propre caricature. Ainsi le Père Goriot et le colonel Chabert se transforment en Bouvard et Péruchet. Flaubert, Zola et ensuite Proust représentent l’axe d’anéantissement des types ». Rastignac incarne ainsi le héros-type balzacien et l’idéal romantique : venue de la marginalité, en rupture avec la société, conscient de ses désirs et de ses frustrations, il part à la conquête de l’immensité parisienne. Cette ambition suppose une unité préalable au personnage, une identité définitivement fixée, qui soumet le réel à son ambition. Mais Rastignac est une exception sans descendance : Lucien de Rubempré préfigure bien plus emblématiquement le revers de la médaille romantique, son intégration dans une société médiocre au prix de sa compromission et de ses nombreux renoncements. Frédérique Moreau dans l’Education Sentimentale arrive trop tard à Paris pour devenir artiste, grand écrivain ou politicien… de tout cela il ne sera rien bien sûr et Flaubert, non sans férocité, décrit la chute progressive de cet inconsistant dans le conformisme petit-bourgeois. Bienvenue dans le monde réel ! La négativité des anti-héros du roman moderne tient à leur impossibilité à s’agréger en une totalité cohérente et durable, en terme isouien à « se résoudre » comme problématique individuelle et sociale. D’où leur dispersion qui va jusqu’à la voix indifférenciée, anonyme et lancinante des récits de Samuel Beckett. L’expérience de la société apporte son lot de désenchantements, le héros s’atrophie, revoie ses prétentions à la baisse, s’accommode, et réussit dans l’insignifiance ou rejoint la marginalité et la mort. Le type isouien est au contraire un héros positif, qui refuse à la fois l’échec romantique, l’exclusion et la marginalité revendiquée d’un Chatterton, et l’adaptation réaliste à la survie dominante. En rupture avec la société il fait de sa condition individuelle une problématique sociale qu’il lui faut doublement résoudre. Alors que le romantique désabusé jette un regard rétrospectif sur sa vie en essayant d’en faire un bilan acceptable (« qui suis-je ? qu’ai-je fait ? »), le héros isouien sait lui qui il est et ce qu’il doit faire ; son histoire sera celle de son élévation, non de sa chute, vers une perfection finale et définitive qui fera de lui un modèle, un type littéraire et un exemple édifiant, et surtout réel, pour les jeunes générations. Isou ne connaît que trop bien les pouvoirs de la littérature, la fascination que le romantisme a exercé sur la génération précédente. Le panthéon surréaliste est rempli de prêtres défroqués, de criminels, de révoltés, de dissidents de l’ordre moral et social. Guy Debord ne confessera-t-il pas ensuite éprouver la même fascination pour les conduites délinquantes et transgressives ? A défaut d’avoir changé la société, le raté romantique hante ses marges, sa force d’insurrection séduit mais n’inspire qu’une vaine compassion. Si le romantique part à la conquête du monde, c’est en effet toujours avec ses manques, ses failles, ses fêlures voire ses abîmes ; le héros isouien entreprend le même voyage avec ses pleins, sa plénitude et l’assurance sereine de le mener à son terme victorieux. Il s’impose enfin à la société qu’il contribue à transformer en propageant ses valeurs et devient pour ses contemporains un « classique » :« Autrement que Candide – le vieil individu classique qui ne s’intéressait pas à l’événement temporel, le fuyait même – il s’agissait de bâtir le héros qui, connaissant les valeurs romantiques (action, accident, hasard temporel) sache aussi les ordonner et les intégrer (…) pour aider son bonheur, non pour le perdre »Au terme de cette élévation, le héros Isouien est fin prêt à assurer le rayonnement en acte et dans l’histoire de sa perfection typologique. Le coup de force d’Isou est ici double : non seulement l’Agrégation consacre son auteur comme un Nom dans le domaine romanesque où il apporte un nouvelle typologie de personnage, mais il affiche l’ambition d’être pour ses contemporains le centre référentiel messianique qui initie, accompagne et porte la génération montante : il ne rêve pas de changer le monde, il veut le changer réellement. L’Agrégation reste un livre hybride qui tient de l’autobiographie autant que de la confession ; son auteur se place pourtant sous le double parrainage du mythe et de l’histoire, de l’éternel et de l’évènementiel. Isou connaît les ressorts et les sortilèges de la littérature, il sait que les mots d’esprit et les métaphores fuyantes incitent moins à la dérive collective que les mythes et leur pouvoir de structuration sociale. Il donne au divertissement littéraire la puissance d’attraction et l’envergure d’un mythe augural. Breton et Bataille dans l’après-guerre soulignaient l’urgence de constituer moins une nouvelle école poétique qu’un nouveau mythe fondateur à l’usage d’une collectivité en ruines. L’utopie paradisiaque réactive le parti de l’imaginaire, les rêveries séculaires d’une histoire à la démesure de ses héros, construisant hic et nunc la nouvelle Babylone. Comme tous les Grands récits, la fable isouienne ne déroge pas aux règles du genre : la vision cosmique emporte dans le mouvement de sa prophétie les réticences, les doutes, mobilise les énergies et les volontés à leur paroxysme pour d’inédites épopées qui mêlent furieusement mythe et politique.