mercredi 20 juin 2007

LE CADAVRE BOUGE ENCORE ?

Sans doute ceux qui décyptent les stratégies et les jeux de guerre qui font de la politique la plus durable des passions de nos démocraties, malgré tout, en fonction d'une fidélité exemplaire à des convictions ont-ils été quelque peu déboussolés par le remarquable travail de sape de Nicolas Sarkozy. En ouvrant son gouvernement à des personnalités de "gauche", (mais qu'est-ce qu'un Besson ou un Kouchner ont encore de "gauche"?) à la société dans sa diversité (Fadela Amara, Rachida Dathi, Rama Yade), aux femmes... Il réussit à ringardiser, un peu comme l'avait fait Tony Blair en son temps, une opposition privée, dépossédée de ses appuis, avec un risque pour celle-ci de marginalisation puisque ce mouvement s'il devait se trouver couronné de quelques succès reconstruirait immanqablement la vie politique française autour de Nicolas Sarkozy. Il n'y aurait donc plus ni gauche, ni droite mais une gauche sarkozienne et une droite sarkozienne. Ce tour de force a déjà connu ses premiers succès lors de l'élection présidentielle où le candidat UMP a littéralement mis hors course un Front national qui n'avait cessé depusi 15 ans de voir ses résultats électoraux augmenter. Ce recul du Front National n'a rien de conjoncturel comme l'a montré son échec aux législatives. François Bayrou qui cherchait à construire une troisième voie "ni gauche, ni droite" en appellant des hommes et des femmes de toutes les sensibilités politiques à travailler ensemble pour le bien commun, se trouve dépossédé de son idée fondatrice. La gauche socialiste, embourbée dans des réglements de compte internes, sans logiciel, ni ligne directrice, incapable d'avancer vers sa nécessaire refondation, ne peut qu'assiter , impuissante, à la constitution d'un gouvernement placé sous le signe d'une modernité pour laquelle elle a toujours oeuvré même si les cosnidérations tactiques des uns ou des autres ont souvent nui à sa pleine manifestation. Au delà des clivages les plus apparents (gauche/droite), se situe une ligne de fracture qui peut dans une certaine mesure expliquer ses ralliements surprenants pour certains (Fadela Amara appellait à voter Oui au Traité constitutionnel européen mais elle a soutenu Laurent Fabius aux Primaires socialistes...). Le Parti Socialiste est moins que jamais un parti de militants, c'est avant-tout un appareil en grande partie vérouillé par sa bureaucratie, son histoire et ses cadres mais sans lequel pourtant, comme Ségolène Royal en a fait la triste expérience, il est difficile de mener et de gagner une campagne. Si Ségolène Royal y a taillé quelques brêches portée par de nouveaux adhérents en situation d'externité, la parenthèse récréative est maintenant terminée et la politique au très mauvais sens du terme a désormais repris ses droits : il n'était qu'à voir la satisfaction relative affichée par certains ténors socialistes au soir des résultats des législatives pour prendre la mesure de ce fait ; alors que les socialistes continuent à perdre élection après élection, le score honorable de 200 sièges semblait avoir calmé les ardeurs réformistes ; plus personne ne semblait se scandaliser qu'un Bayrou qui a fait près de 18% aux Présidentielles ait autant de députés que les Verts (qui eux ont fait 1,9 %!), qu'il y ait encore 18 députés communistes (d'ailleurs il n'y a plus de communistes qu'à l'Assemblée !) alors que Marie George Buffet a obtenu 1,9 % des voix et que le candidat de la LCR Olvier Besancenot faisait 4,5 %, parti qui n'a pas un seul député à l'Asemblée ! Tout est rentré dans l'ordre... A ces cadres et ténors lénifiants il n'est pas venu à l'idée que pour transformer la société il faut d'abord gagner les élections, être en position majoritaire et que le rôle d'opposant perpétuel est une impasse. Faut-il donc ne compter que sur les fautes et erreurs tactiques de l'adversaire (la TVA sociale par exemple) pour escompter quelques succès électoraux ? Voilà des perspectives peu glorieuses et peu porteuses d'avenir...
Les externes, sans avenir réel dans une organisation qui ne sait pas encore leur laisser une place, des marges de manoeuvre pour qu'ils puissent déployer leurs talents et y inscrire leurs apports, au bénéfice de tous, n'ont d'autre alternative que de saisir toutes les opportunités et situations qui leur permettront de sortir d'une relative inexistence et d'accéder enfin très hégéliennement à leur reconnaissance. Cela, le Parti Socialiste, ne l'a pas compris comme il n'a compris ce qui réellement se jouait derrière la popularité de Ségolène Royal et la vague des nouveaux adhérents. Nicolas Sarkozy l'a très bien compris, lui, qui joue sur tous les tableaux : les externes "aboutis" contre les externes en échec dans les banlieues, les insiders (le travail et le pouvoir d'achat) contre les outsiders (relégués, déclassés, assistés qui constituent une charge pour la collectivité). Il témoigne sans doute d'une intelligence politique et d'un sens de la stratégie remarquable (voir les postes régaliens qu'il a accordés à ceux qui ne sont pourtant pas issus de l'UMP) mais cela suffira-t-il ? Les grandes réformes qui s'annoncent ne vont visiblement que renforcer les situations acquises quand elles sont confortables (diminution des impôts, bouclier fiscal, défiscalisation des heures supplémentaires, crédit d'impôt pour les emprunts immobiliers...), fragiliser la cohésion sociale, creuser les écarts (aux salairés la valeur symbolique positive du travail, aux capitalistes le produit économique de ce même travail, quel partage équitable de la richesse !), exacerber une classe d'externes que cette politique, de classe, ne pourra résoudre à grands renforts de libéralisme même tempéré. Quant à la gauche, plutôt que de décerner les bons et les mauvais points, de se laisser aller au moralisme et à la fidélité aux principes peut-être serait-il temps d'essayer de comprendre avec les bons outils ce qui est en train de se passer sous peine de rejoindre sous peu les poubelles de l'histoire.

vendredi 15 juin 2007

QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE III ? (REISSUE)

La théorie économique d'Isou se veut nucléaire, dans la mesure où elle s'appuie sur l'ensemble des individus décentrés par rapport au circuit économique et ses agents, l'entrepreneur capitaliste et la classe prolétaire. Si la perspective des partis de gauche, très fortement marqués par le marxisme, a longtemps été l'issue révolutionnaire des conflits et antagonismes de classe, le résultat recherché par l'économie nucléaire est plutôt d'éviter les dénouements révolutionnaires et leur issue malheureuse, bref d'apparaître, quitte à heurter l'héroïsme radical, comme un réformisme efficace capable de peser dans une transformation effective de la société. Refusant la planification communiste aussi bien que le marché et ses ressorts, les propositions d'Isou détonnent au sein d'une gauche qui souvent oublie que l'opposition entre droite et gauche tient moins à des valeurs sociétales (liberté des moeurs par exemple) qu'à des conceptions économiques. Proudhon, Marx, ou encore Fourrier s'inscrivent dans une tentative de réappropriation de la sphère économique pour en faire un moteur de l'émancipation et du développement comme autant d'alternatives au libéralisme de la bourgeoisie. Le marché et ses lois doivent être critiqués et dépassés parce qu'ils maintiennent le potentiel humain et technique (les fameuses forces productives) dans un état de sous-développement. C'est bien à l'aune de cette utopie que les doctrines classiques sont fustigées et "avalées" par Marx. Isou reprend en partie cette critique mais il ne manque pas de l'appliquer au marxisme qui a plutôt conduit au "socialisme de la misère" historiquement. La faiblesse de Marx est de n'avoir pas intégré l'élément créatif dans son analyse économique tandis que le marché n'obéit lui qu'à des logiques de courts termes et ne fait siennes les problématiques de développement (durable en particulier) que si elles permettent un retour pertinent sur investissement. A la prolifération des biens et des services voulue par un marketing généralisé correspond un sous-développement des forces productives et créatives, totalement parasitées par les impératifs de rentabilité immédiate. Par ailleurs, cette abondance marchande n'implique pas la satisfaction de l'ensemble des besoins, même les plus élémentaires, bien au contraire. Le marxisme s'il entend répondre à l'ensemble des besoins les enferme dans un mode de production qui est incapable de les satisfaire. L'aspiration à un mieux-vivre inscrite dans la modernité ne peut être tenue par une planification qui en méconnaît les tenants et les aboutissants, qui les réduit à quelques fonctions rudimentaires à mesure que pourtant elle libère et promet des "lendemains qui chantent". La réduction de l'existence à un travail répétitif et planifié, aussi aliénant que l'usine sous domination bourgeoise, l'absence de perspective de dépassement, définissent un degré d'externité qui à terme met en échec le socialisme "réel" et sa bureaucratie. Le communisme soviétique finit par démentir les deux projets qu'il était supposé porter : l'émancipation et le développement au profit de l'aliénation sous la férule d'une dictature bureaucratique et le sous-développement des forces productives et des moyens de production. Bien sûr comme le rappelle Maximilien rubel Marx lui-même jugeait la Russie trop arrièrée, en raison du poid de la paysannerie, pour permettre une révolution de type socialiste, il regardait davantage l'Angleterre ou l'Allemagne comme des pays porteurs et décisifs quant à l'avenir du socialisme... Ces deux pays ont en définitive inventé la sociale-démocratie pour l'un et le Welfare state pour l'autre (le fameux état "providence"), très loin donc de la dictature du prolétariat attendue. Ni le libéralisme que les externes de gauche ont rejeté pour le socialisme via la révolution ou la réforme sociale-démocrate, ni le marxisme que les externes ont fini par abattre dans sa forme soviétique, n'ont réussi à épuiser et à résoudre la problématique de l'externité du seul point de vue qui compte, celui de l'économie politique. C'est là que se situe spécifiquement l'apport d'Isou. L'économie nucléaire ne rejette pas par principe le marché, elle en connaît les limites et en régule politiquement le fonctionnement. Le crédit de lancement est ainsi destiné à lancer et promouvoir les projet innovants, porteurs de nouveaux marchés et créateurs d'emplois. Le principe de libre entreprise est ainsi respecté. Cette politique forte de soutien à l'initiative privée et public trouve ses principales ressources dans un enseignement réformé qui privilégie les apports créatifs des disciplines enseignés. L'école et l'université dans cette perspective deviennent non plus les pourvoyeurs d'une main-d'oeuvre formée pour un marché de l'emploi donné (conception productiviste) mais un pôle de formation d'inventeurs, d'entrepreneurs et de salariés hautement qualifiés dont les compétences et connaissances permettent de renouveller totalement le marché, en anticipant les besoins à venir par leurs forces d'innovation. En développant l'initiative privée, le principe de la contribution de tous à la solidarité étant acquis (impôts), l'économie nucléaire entend multiplier les recettes fiscales par le nombre d'entreprises et d'emplois crées et ainsi financer les politiques éducatives, sociales et culturelles. L'état joue pleinement son rôle quasi keynesien de régulateur de la vie économique par une intervention qui se veut précise dans ses missions. Ce rôle de l'état nécessite comme Isou le préconise dés 1950 le renouvellement nécessaire des cadres des partis, des syndicats et la rotation des élus aux postes à responsabilité, ce qui implique un nombre limité de mandats, afin de ne pas confisquer le mieux être de la collectivité au profit d'une bureaucratie (étatique, syndicale ou patronale). Comme on le voit l'économie nucléaire s'appuie, c'est là sa grande originalité, sur des postulats à la fois libéraux et socialistes pour constuire un projet singulier de dépassement de leurs oppositions et une théorie économique qui vient donner un second souffle à un socialisme toujours hanté par le spectre de Marx.

jeudi 7 juin 2007

QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE II ? (REISSUE)

Selon Isou, le prolétariat conscient et organisé ne constitue pas cette classe révolutionnaire à qui Marx avait assigné la tâche historique de critiquer et de dépasser la société bourgeoise ; il ne porte que des revendications visant à aménager le circuit économique existant, à y faire reconnaître les droits et le rôle des salariés dans l'appareil de production. Les doctrines économiques classiques et critiques s'appuient donc sur les agents économiques, leurs relations et leurs antagonismes, afin, selon une logique politique du rapport de force d'ajuster le "marché" en fonction des intérêts défendus par chacun d'entre eux. Le libéral promeut l'investisseur, l'entrepreneur comme des figures motrices et clés de la création de richesse (en d'autres termes emplois et croissance) ; il assure que l'intérêt égoïste de ceux-ci est utile et bénéfique à la collectivité qui n'est jamais qu'une addition d'égoïsmes singuliers. Marx démontre brillamment que l'économie classique méconnaît le rôle du travail, de sa valeur, dans la production de la richesse, et comment les salariés sont dépossédés des fruits de leur labeur, alors qu'il sont obligés de s'y aliéner par l'organisation bourgeoise des rapports et des modes de production. A l'égoisme et à l'utilitarisme de la pensée bourgeoise, Marx oppose une compréhension du travail humain comme praxis inscrite dans un tissu social (valeur d'usage). La reconnaissance symbolique et économique de ce travail, le partage conséquent de la plus-value créée, constituent les grandes revendications trade-unionistes des organisations ouvrières autant que l'exigence de solidarité nécessaire à la lutte ("prolétaires de tous pays, unissez-vous" s'opposant au "chacun pour soi" des libéraux).
Les rapports de domination d'une classe (prolétariat versus bourgeoisie) sur une autre reste, dans cette perspective, l'explication dernière des conflits qui traversent la vie économique et l'organisation sociale. Pourtant ces classes elles-mêmes ne sont pas homogènes : les jeunes en effet sont en effet tenus pour la plupart hors du circuit économique, et se singularisent par la "gratuité", en terme économique, de leurs efforts et de leurs actes. Au service de la famille, comme dans la paysannerie, ils constituent une main-d'oeuvre peu honéreuse, employés comme apprentis ils accomplissent un travail comme n'importe quel salarié mais sont peu rettribués au prétexte qu'ils n'ont pas encore l'expérience et les compétences suffisantes pour prétendre à un vrai statut. Etudiants ou scolarisés, ils représentent une force potentielle de subversion de l'échange institué, libéral ou socialiste, dans la mesure où pour y exister ils doivent incessamment en déplacer les lignes, en transgresser les seuils et les limites. Isou perçoit cette catégorie d'agents négligée par les économies classiques et critiques comme une zone particulièrement instable, qui dépossédée des moyens d'une souverraineté économique, sociale et politique supporte toutes les aliénations et exploitations (la famille, l'école avant d'éprouver l'apprentissage du monde de l'emploi auquel il doit s'ajuster).
Les jeunes sont dans une situation unique : ils ne connaissent de l'échange que les peines et sont privés de toutes les satisfactions qui sont la retribution normale de celles-ci dans le cadre du salariat. Cette frustration orginelle explique le désordre, hors de tout folklore romantique, inhérent à la jeunesse qui cherche à exister par tous les moyens, ceux de la créativité pure (les valeurs qu'elle apporte et qui modifie positivement le ciruit établi en permettant aux nouveaux venus de trouver leur place pour le plus grand bénéfice de la collectivité) ou ceux de la créativité détournée (le nihilisme et ses nombreuses manifestations : révoltes diverses, délinquance...). Pour Isou, les jeunes cherchent ainsi avant tout à entrer dans le circuit économique pour y déployer leur force de travail et d'invention, y gagner une reconnaissance sans pour autant renoncer aux valeurs et aux aspirations qu'ils portent. Il y a là un dépassement de l'opposition traditionnelle entre acceptation servile d'un système, adaptation à son principe de réalité et rejet de celui-ci pour la fuite romantique hors d'un réel décevant. Les jeunes en entrant dans le circuit en modifient les règles et l'équilibre, dans la mesure où ils entrent en concurrence - puisque le libre échangisme est le norme dominante - les uns avec les autres dans la course aux meilleures places, le nombre de celles-ci étant limité. Ils s'opposent aussi aux salariés ou dirigeants déjà en fonction qui n'entendent pas céder les postes qu'ils occupent et obligent les nouveaux venus à emprunter des itinéraires interminables (stages, justification d'ancienneté...) avant de pouvoir atteindre l'emploi souhaité, et dans quel état ! L'impatience et la frustration de la jeunesse définissent ainsi des moteurs forts d'une dynamique de subversion qui en certaines circonstances (crise par exemple) explique les mouvements insurrectionnels que ces jeunes accompagnent ou conduisent afin de liquider un "vieux monde" où ils ont si peu leur place. Plus largement, les salairés qui végètent dans des emplois peu épanouissants, en quête d'une reconnaissance et d'un poste où ils pourraient enfin se réaliser comme agent économique en soi, partagent avec les jeunes cette même insatisfaction. Isou définit comme Externité cette catégorié de mécontents et d'insatisfaits, qui peinent à exister dans une organisation économique donnée, les jeunes de par leur situation présentant le plus haut degré d'externité. Les internes représentent l'ensemble des agents économiques (qu'il s'agisse des investisseurs, des employeurs ou des salariés) qui se touvent pleinement insérés et réalisés dans le cadre du circuit institué, ils en sont les gardiens autant que les garants. Les théories classiques (atomistiques dans la mesure où elles se fondent sur l'individu type capitaliste) et critiques (moléculaires dans la mesure où elles s'appuient sur une classe) négligent la masse d'agents pré-économiques, les jeunes, qui interviennent pourtant massivement dans les bouleversement de l'ordre économique en place autant qu'elles méconnaissent le quantum d'externité qui habite souvent même les mieux intégrés de ces deux systèmes . Toutes les solutions et les réformes proposées par les libéraux et par la gauche dans sa pluralité s'avèrent donc insuffisantes en raison de leur ignorance de cette donnée essentielle de la question économique et des conflits qui lui sont inhérents.
De ce constat, Isou dégage trois grandes orientations pour asseoir sa théorie économique : d'abord, la nécessité d'une réforme de l'enseignement afin de permettre aux jeunes d'entrer sur le marché de l'emploi au plus tôt avec la meilleure formation possible, ensuite la redistribution d'une partie de l'impôt collecté sous la forme d'un crédit de lancement, afin de favoriser l'initiative et la création de nouvelles entreprises, enfin une planification repensée à la lumière des désirs exprimés, des besoins constatés et apports innovants introduits, afin d'ajuster la productions des biens et des services aux attentes complexes, en devenir, de l'ensemble de la société. Il s'agit en fait de dépasser le "tout marché" et sa jungle défendue par les libéraux autant que le "tout-état" promu par le socialisme. Plus profondément, pour en finir avec la lutte de "tous contre tous", Isou popose un socialisme qui place la création, et non plus seulement comme Marx la production, au centre de l'activité économique afin d'installer, à la place de la rareté qui est encore la norme, une société d'abondance et de prodigalité.

QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE I (Reissue)

Le lettrisme ambitionne de bouleverser l'ensemble des pratiques et des savoirs existants en postulant la création comme dynamique de l'histoire humaine. Il ne se départit pas de cette urgence que le surréalisme avait fait sienne en son temps (changer la vie et transformer le monde) mais entend réaliser ccette utopie, qui emprunte au messianisme de Marx, avec méthode (la Créatique). Dès son arrivée à Paris en 1946 Isidore Isou a pour projet de dépasser les erreurs et les approximations de l'auteur du Capital, insuffisant à ses yeux pour penser et réaliser une société débarassée des antagonismes et des conflits de classe. Il a déjà un passé de militant en Roumanie, aux côtés des communistes mais surtout dans les organisations sionistes de Gauche. Ce qui l'intéresse avant tout chez Marx c'est sa critique de l'économie classique, bien plus que le jeune Marx qui nourrira tant la prose des situationnistes, et l'importance accordée à l'échange économique dans la structuration de la société. La mise à jour d'une catégorie d'agents économiques ignorée des classiques, le prolétariat, partie prenante, agissante et exploitée d'un système économique, permet à Marx, par sa réappropriation de la dialectique hégelienne, de la poser comme contradition et force possible de dépassement de la société bourgeoise et de son mode de production. L'appropiation des moyens de production, la planification de ceux-ci, en place d'un marché de libres entrepreneurs et de sa concurrence "non faussée", en fonction des besoins toujours plus complexes et divers de la société restent des apports clés de la théorie marxiste que les syndicats et organisations de gauche vont relayer politiquement afin de porter le projet et le programme d'une société de type socialiste. Certes le mythe révolutionnaire, aidé en cela par l'exemple russe, va longtemps stimuler l'imaginaire de gauche, et pas seulement des communistes orthodoxes ; pourtant dans les pays où Marx prophétisait la grande révolution socialiste, la démocratie politique, "bourgeoise", devenue un élément régulateur de la vie publique, va disqualifier les mythologies révolutionnaires pour les réduire au rang de folklore et le prolétariat via ses représentants syndicaux et politiques progressivement gagnera, certes par des luttes non négligeables, des droits, un rééquilibrage de l'échange et du contrat social à son avantage avec les conséquences que l'on sait : constitution d'une classe moyenne, élévation du niveau de vie et des perspectives de vie... Par contre, partout où des révolutions se sont faites au nom du marxisme ou de ses dérivés, l'utopie progressiste et généreuse de Marx a toujours été niée, écrasée par des systèmes bureaucratiques et autoritaires qui s'en prévalaient pourtant.
C'est cet échec historique des "prévisions" de la science de Marx qui amène très vite le jeune Isou à prendre ses distances avec ce magister qui, au regard des tenants des théories économiques classiques et du type d'organisation sociale qu'elles supposent et défendent, représente une avant-garde encore pertinente et séduisante, bien plus que les anarchistes dont Marx comme le rappelle Isou avait déjà balayé les propositions (cf. Misère de la philosophie et philosophie de la misère). L'exemple russe ou plutôt "soviétique" à l'époque, l'émergence de mouvements fascistes, lui fournissent matière à réflexion. Ni le marxisme, ni le libéralisme n'ont réussi à dépasser et à résoudre les antagonismes qui traversent et décomposent, crise après crise, la société. Les démocraties bourgeoises se sont vues menacées et réduites par des forces politiques (les fascistes) qui avaient attiré à elles les mécontents, les laissers pour compte, les déclassés, les jeunes sans avenir du "laisser-faire" libéral. A l'est, les répressions et purges incessantes demandées par la bureaucratie stalinienne restaient significatives d'un pouvoir illégitime craignant à tout moment que des "contradictions objectives" non prévues et planifiées dans ce meilleur des mondes possibles ne le chassent par la violence définitivement.
L'économie politique reste pour Isou la discipline où se jouent, se nouent et se dénouent les tensions, les antagonismes que le libéralisme méconnait et que le marxisme analyse comme une lutte de classe. C'est donc sur ce terrain qu'il va reprendre, à partir d'une critique des travaux de Marx et de ses devanciers classiques, l'élaboration d'une nouvelle théorique économique, dite nucléaire, à même de servir de base fondatrice à un projet de transformation politique de la société.

mercredi 9 mai 2007

BILAN DE CAMPAGNE : QUEL AVENIR POUR LE PARTI SOCIALISTE ?

Le résultat des élections est sans appel et offre à Nicolas Sarkozy une légitimité fondée sur un programme libéral-conservateur clairement assumé et défendu par le candidat UMP ; La campagne a révélé une profonde mutation du paysage politique français qui voit une droite décomplexée s’émanciper de l’héritage gaulliste et une gauche située à un moment décisif quant à ses orientations et les alliances qu’elle devra nouer pour gagner. Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy sont les deux figures emblématiques de ce désir de renouvellement qui a traversé le pays durant la campagne. Le taux de participation quasi-historique ne peut que réjouir dans la mesure où citoyens et citoyennes ont renoué en la circonstance avec la politique et contribuent ainsi à renforcer la vie démocratique autant qu’à responsabiliser les élus mandatés dans leurs engagements. Chacun des deux candidats, et François Bayrou dans une certaines mesure, s’est efforcé souvent contre son propre camp, en prenant à rebours son parti et sa culture de « bouger les lignes », de transgresser les frontières étanches, de trouver de nouvelles cohérences ou des rapprochements stratégiques : que l’on se souvienne d’un Nicolas Sarkozy proposant un Ministère de l’identité nationale qu’un Jean Marie Lepen ne désavouerait certainement pas ou de Ségolène Royal consciente des insuffisances de la gauche en matière de lutte contre « l’insécurité » avançant pour « tâcler » l’adversaire sur son propre terrain son concept « d’ordre juste »…
L’immobilisme et le statu quo, au regard des défis qui s’imposent à la France (politique économique, construction européenne, paupérisation des classes moyennes, relégation des catégories populaires, panne de l’ascenseur social, mondialisation dérégulée…) ne sont en effet plus tenables, ni défendables mais force est de constater que le candidat de droite a réussi à convaincre que son programme libéral (sur le terrain économique) et conservateur (ordre et autorité sur le terrain social et sociétal) représentait la « rupture » et le « changement » quand il incarne bien plutôt une révolution conservatrice sur fond de bonapartiste, un peu à l’image de ce qu’ont été les mandatures de Margaret Tatcher ou celle de Ronald Reagan. Au moins a-t-il le mérite de la transparence et de la lisibilité, ce qui change d’un Jacques Chirac, et d’une présidence mandatée pour résorber la « fracture sociale » en 1995 qui n’a eu de cesse, hors la cohabitation avec la gauche plurielle, de mettre en place des gouvernements (Juppé, Raffarin, Villepin) qui n’ont guère réussi à la résorber sinon à fragiliser davantage les catégories les plus en difficulté.
La gauche socialiste, qui revient de loin, n’a pas su convaincre qu’elle représentait plus qu’une alternative une solution aux problèmes économiques et sociaux de la France. Les raisons sont nombreuses et dès à présent des enseignements sont à tirer :
- d’abord l’effondrement des votes extrêmes : la stratégie de transgression d’un Sarkozy qui en décomplexant les thèmes du front national (sur la sécurité, l’immigration) a récupéré une partie de son électorat ; les électeurs frontistes ne s’y sont pas trompé qui ont voté massivement au second tour pour le candidat UMP ne suivant pas en cela les consignes de boycott et d’abstention de Jean Marie Lepen. Pour la première fois, le front national est arrêté dans son irrésistible ascension. Ceux qui donnaient leur voix au FN, moins par xénophobie que par ressentiment, pour protester contre le « système » ont pu par ailleurs être séduit par la surenchère offensive d’un Bayrou au premier tour partant en guerre contre les médias et la bipolarisation gauche/droite qui interdit toute alternative. Quant à la gauche de la gauche, elle a cessé d’illusionner : en adoptant une posture « anti » systématique ( contre la constitution européenne, contre Sarkozy, contre le « libéralisme »), en offrant le spectacle pitoyable des querelles intestines, des rivalités de personne, en témoignant de son infantilisme (au sens où Lénine parlait du gauchisme comme de la maladie infantile du communisme), de son peu de culture démocratique (voir le déroulement calamiteux des élections pour une candidature unique) et d’une absence totale de renouvellement intellectuel (les mêmes slogans usés jusqu’à la nausée), elle a fini par convaincre qu’elle représentait le vote inutile par excellence à gauche. Alors que ses militants ont été de toutes les batailles sociales (contre le Cpe, le référendum sur la Constitution européenne, la réforme Fillon sur les retraites, les émeutes du mois de novembre 2005), malgré une participation historique à ces élections, ils n’ont à aucun moment été en mesure de capitaliser et de canaliser le mécontentement social ; plus encore les résultats obtenus sont même notablement en baisse par rapport à ceux de 2002 (les Verts passent de 5% à moins de 2% pour Dominique Voynet, même chose pour Arlette Laguillier et LO, Marie George buffet fait 1,9 % là où Robert Hue faisait 3,84%, la LCR se maintient autour de 4% mais où sont donc passés les habitants des banlieues, les jeunes pour lesquels elle affirme se battre ?). Bref, au lieu comme le voulait Marx de « marcher au pas de réalité », la gauche de la gauche tient une posture purement idéologique qui a fini par le lasser : en guise du « grand mouvement populaire antilibéral » qu’était supposé incarné le Non au referendum sur la constitution européenne nous assistons à un véritable plébiscite, y compris dans certaines catégories populaires, pour une révolution conservatrice ! On ne pouvait pas faire plus grand contresens ! Si le diagnostic est erroné, que penser alors des solutions préconisées… et quelle erreur du Parti Socialiste (Melanchon, Fabius, Strauss Khan, et même Hollande) d’avoir couru après cette chimère quitte à en oublier leurs responsabilités et les aspirations réelles, concrètes des classes moyennes et populaires. Il valait sans doute mieux lire les textes publiés par la République des Idées (et Ségolène Royal ne s’y est pas trompé) que les publications toujours très inspirées de la nébuleuse altermondialiste (dont je ne néglige pas pour autant l’intérêt et l’apport pour certaines d’entre elles… mais elles apparaissent en si mauvaise compagnie…).
- Du côté socialiste, et avant d’avancer plus avant dans l’analyse, je dois ici saluer la campagne, malgré ses défauts, ses errements et ses tâtonnement nombreux, de Ségolène royal, et affirmer, n’en déplaise aux assis du Parti Socialiste que le renouveau idéologique qui doit y être mené ne peut se faire qu’autour d’une candidate, mandatée par les adhérents, qui a suscité une dynamique inattendue et a renoué avec les classes moyennes et populaires, malgré la défaite. Au premier tour à Saint-Denis, bastion rouge s’il en est, elle a fait un score de 49% qui va bien au delà des explications par « le vote utile » ou le « rejet de Nicolas Sarkozy ». Au contraire du candidat UMP qui se préparait à ce destin présidentielle depuis bien longtemps (avec tous les réseaux, relais et alliances que cela suppose ) Ségolène Royal a émergé dans le cadre d’un PS en crise profonde (échec de 2002, rejet du traité constitutionnel européen pour lequel il appelait à voter), avec l’arrivée massive de nouveaux adhérents qui ont contribué à modifier les équilibres au sein du parti et à changer sa sociologie. Elle a ensuite affirmé un style, une ligne qui ont permis, quoi qu’on en dise, d’apporter des éléments neufs à la vie politique (démocratie participative, soucis de la proximité contre la distance théorique et l’approche technocratique). Ce qui a fait la force de Sarkozy, en situation comme Ségolène Royal d’externe, c’est sans doute que le nouveau président a fait tomber une à une, avec talent, tactique et aussi brutalité, les forteresses qui se mettaient entre lui et son rêve présidentiel : mis à l’écart après sa fronde balladurienne, il a réussi à être adoubé à la fois par les militants qui ont adhéré à sa droititude fièrement revendiquée ainsi qu’à son volontarisme, et par les cadres de l’UMP puisqu’il a réussi à devenir le chef d’un parti crée et construit autour de Jacques Chirac et à retourner à son avantage toutes les manœuvres et les coups de ses adversaires (Villepin et les chiraquiens); Ségolène Royal a elle bénéficié du soutien des adhérents socialistes mais jamais elle n’a fondamentalement obtenu l’adhésion majoritaire des cadres qui ostensiblement ont manifesté leur résistance au Royalisme offrant aux électeurs l’image d’un parti divisé, tiraillé entre des tendances contradictoires. N’ayant pas su retourner l’appareil, ne pouvant y installer les hommes et les femmes neufs qui gravitent dans son sillage, elle n’a pu bénéficier de l’appui de son propre Parti, là où Nicolas Sarkozy a obtenu une discipline sans faille de tous (et même de ses plus grands adversaires comme Villepin) indispensable pour conquérir le pouvoir alors qu’il y a encore un an il était l’épouvantail honni de son propre parti. La gauche en 1981 a gagné parce qu’elle était unie, la division entre adhérents et appareil, entre sensibilités divergentes (sans parler de l’impossible union de la gauche de la gauche) a joué contre la candidate.
- C’est dans ce flottement que Bayrou est parvenu à exister, en se présentant (alors que l’UDF s’est historiquement construite à droite), comme transcendant le clivage droite/gauche au nom d’une troisième voie improbable. La création de l’UMP en 2002 a vampirisé une partie de ses forces, et l’a marginalisé, c’est donc dans en partie grâce à l’absence de renouvellement théorique au PS qu’il su construire sa figure d’opposant (refus de signer le budget, interventions polémiques à l’Assemblée, conflit ouvert avec l’UMP, dénonciation des connivences entre pouvoir médiatique et politique avec des accents quasi « gauchistes » !). En courant après la gauche de la gauche dans l’illusion de reprendre dans un cadre institutionnel un mouvement de radicalité qui n’existait pas, le PS a laissé vacante la place du réformisme de gauche à d’autres, tandis que sa candidate légitime apparaissait comme en décalage par rapport à la culture et aux orientations de celui-ci. Les 18,5 % obtenu par le candidat UDF ne doivent pourtant pas illusionner : ils traduisaient un désarroi d’électeurs de l’UMP et du PS devant la nouveauté des deux candidats dans leur style autant que dans leurs propositions. Au delà de cette bulle spéculative (que restera-t-il de ce mouvement en septembre ?), de la cuisine électorale (le ralliement de la plupart des députés UDF à Nicolas Sarkozy élu président n’est pas une surprise), il existe bien une électorat, certes modeste, mais qui peut peser et qui ne se reconnaît ni dans l’orientation libérale de l’UMP, ni dans l’étatisme longtemps défendu par le PS. Cela suffira-t-il à François Baryou qui visiblement souhaitait un éclatement du PS, disqualifié dès le premier tour, afin d’en reprendre l’aile social-démocrate pour son propre compte ? Car la modernisation social-démocrate du PS ne lui laisserait plus guère d’espace pour continuer à exister politiquement et le centriste devrait choisir son camp, ce que sa culture oecuménique du Ni…ni (Ni droite, ni gauche) se refuse à faire : ou la réforme libérale, ou la réforme social-démocrate.
- Enfin, les socialistes ont abordé la campagne sans ligne véritable, en manœuvrant à vue (avec des succès mais aussi des flottements) sans avoir au préalable procédé à l’urgence d’un renouveau doctrinal et théorique ; les primaires qui constituaient une nouveauté salutaire dans l’organisation de la démocratie politique, aux antipodes du dirigisme pyramidal et hiérarchisé de l’UMP, avait bien montré la pluralité des options qui cohabitent au sein du PS, seul parti de la démocratie française à rassembler des courants de sensibilité distincte : une aile mitterandienne (version programme commun de 1974) incarnée par Fabius avec un socialisme fortement étatique, interventionniste, une aile social-démocrate représentée par Strauss-kahn qui incarne sans doute le seul avenir possible et souhaitable au Parti socialiste afin de faire barrage à un nouvel adversaire politique libéral et conservateur, et enfin la démocratie participative défendue par Ségolène Royal soucieuse de décentralisation (davantage de décisions et de pouvoirs aux régions) et d’un pragmatisme qui la rapproche des travaillistes anglo-saxons. C’est sans doute sur le terrain économique que Ségolène Royal a perdu des points ; alors qu’elle portait de réelles innovations sur le plan politique, social et sociétal, elle a développé au cours de la campagne un programme classiquement socialiste afin de rassembler à gauche ; de son côté Nicolas Sarkozy en rompant (au moins dans le discours) avec la tradition gaulliste d’un état fort et interventionniste a pu ainsi apparaître à la grande satisfaction de Jacques Marseilles, Michel Godet et Nicolas Bavaerez (sans parler de ses soutiens patronaux Bouygues, Bebéar, Lagardère) comme le candidat qui allait introduire le loup du libéralisme dans la bergerie de l’exception française. Face à ce discours libéral, la gauche n’a pas encore renouvelé son logiciel, sa grille de lecture, sa méthode, ses concepts… malgré le travail remarquable de nombre d’économistes qui lui sont acquis et que nous nous n’avons hélas que trop peu entendu durant cette campagne. Pour faire bref et reprendre les propos de Jacques Généreux, on ne conteste pas un axiome économique (libéral en l’occurrence) en expliquant uniquement qu’il est injuste et méchant, on commence par expliquer qu’il est faux avant d’argumenter sur la nécessaire justice sociale qui constitue le cœur et la force d’une société apaisée. La ligne de partage entre droite et gauche n’a ainsi toujours pas bougé et se décline sous la forme de la fausse opposition entre justice sociale et efficacité économique, au détriment de la gauche. A Monsieur Sarkozy, la réduction des déficits publics, l’austérité nécessaire, la baisse des prélèvements et charges, la mise à plat du droit du travail, le marché rendu à lui-même, l’augmentation du temps de travail, la chasse aux « assistés »… ; à Ségolène Royal, l’intervention de l’état, la multiplication de nouveaux services publics pour accompagner (et non assister ) les personnes, les emplois aidés, l’allocation d’insertion pour les jeunes, l’aile protectrice de l’état, le rôle des régions dans les aides accordées aux entreprises… Devant une absence de renouvellement de propositions des socialistes sur cette question, qui tout en n’ayant jamais été frontalement abordée, n’en a pas moins pesé dans la promotion de l’image d’un Nicolas Sarkozy « compétent pour le job », ce dernier a pu faire passer une vulgate libérale pour la solution durable aux problèmes économiques de la France. Dans la version précédente du blog des Cahiers, j’avais déjà souligné l’importance d’une refondation de la pensée économique à gauche, portée par un marxisme critique d’une brûlante actualité mais dont les propositions sont en grande partie obsolètes. Laurent Baumel dans son remarquable essai Fragments d’un discours réformiste dresse un état des lieux précis des nouveaux chantiers théoriques auxquels la gauche dite de gouvernement doit désormais s’attacher ; faire son deuil de l’illusion révolutionnaire, et d’une « surmoi marxiste » encombrant et inutile, s’inscrire dans un réformisme « radical » social-démocrate qui réconcilie efficacité économique et justice sociale et vise cherche à obtenir en économie les meilleurs résultats afin de garantir la meilleure justice sociale et une plus grande redistribution, privilégier la négociation entre partenaires sociaux et la recherche d’un consensus consenti plutôt que de recourir systématiquement à la loi, donner des garanties aux individus et non garantir des emplois qui demain sans doute seront dépassés, bref passer d’une gauche de redistribution et de partage à une gauche de production et de création de la richesse collective, l’une n’excluant pas l’autre, bien au contraire . On le voit cette perspective ne s’inscrit absolument pas dans la tradition d’un discours antiéconomique (ou économico-sceptique), qui marque encore profondément l’électorat de gauche en France. Les économistes à gauche sont pourtant nombreux : Jacques Généreux, Thomas Picketty (proche de Ségolène Royal), Daniel Cohen (proche de Strauss Kahn)…Il leur revient de gagner la bataille que Nicolas Sarkozy a provisoirement emportée, celle des idées en apportant leurs contributions dans le cadre des débats qui détermineront, après les législatives, l’avenir du Parti Socialiste, ses nouvelles orientations, voire sa réforme tant attendue. Sur ce dernier point, je ne peux que rappeler l’apport essentiel que représente, quoique toujours aussi méconnue, l’économie nucléaire développée par Isidore Isou. Le déroulement de ces élections en a confirmé bien des points : à droite comme à gauche, ce sont les outsiders qui ont bousculé les équilibres installés ; on a vu l’outsider Sarkozy retourner la chiraquie et jouer hélas comme cela était prévisible les internes (la France qui possède du capital mais aussi les catégories les plus modestes du salariat inquiétées par un avenir de plus en plus incertain) contre les externes (les immigrés, les jeunes, ceux qui dans les banlieues ne trouvent pas où salarier leur force de travail, les « assistés », les sans-emploi). Gagner la bataille des idées c’est démontrer que le modèle économique promu par Nicolas Sarkozy dans le contexte d’une économie qui se financiarise de plus en plus ne permet plus cette « destruction créatrice » théorisée par Schumpeter (disparition de secteurs économiques et des emplois qui y sont liés, apparition grâce à l’innovation et aux investissements de nouveaux débouchés créateurs d ‘emplois) mais risque bien de grossir davantage encore ces contingents d’exclus que sa majorité ne veut plus désormais considérer que sous l’angle criminel (et jamais comme une chance, un capital porteur d’avenir, une force d’innovation, un apport) tandis que les richesses dégagées loin de préparer l’avenir de tous (investissement, recherche et développement, création d’emplois) ne profitent désormais qu’à des quasi-rentiers. Eric Le Boucher, que l’on ne soupçonnera pas de gauchisme infantile, schématise les deux projets de société porté par chacun des deux candidats sous la forme d’un losange pour Ségolène Royal (remise en route de l’ascenseur social, permettre le déclassement par le haut, arriver à une société où les classes moyennes dominent) et d’un sablier pour Nicolas Sarkozy (extension d’une classe à haut revenu, les gagnants de la mondialisation, disparition des classes moyennes qui se prolétarisent, retour de catégories très proches de l’ancien prolétariat, retour d’une politique sociale de type paternaliste et compassionnelle autant que policière à leur égard). Ségolène Royal a maintenu seule l’exigence d’une solidarité intergénérationnelle, les perspectives d’un contrat social à réinventer, là où Nicolas Sarkozy martèle ses principes d’ordre et de restauration de l’autorité tout en vantant les mérites du marché enfin délivré de toute obligation vis-à-vis de la société et livré de fait à sa jungle anarchique. Au premier tour 40% des plus de 60 ans ont voté pour lui, est-ce le candidat d’un pays tourné vers l’avenir ou plutôt d’un pays qui vieillit et où ceux qui ont effectivement quelque chose à perdre sont dans une posture de défiance face aux générations qui arrivent dans des conditions de socialisation (à l’école qui est en crise aussi bien dans le secondaire que dans l’enseignement supérieur, au travail) fortement dégradées ? Quant aux plus précaires qui ont voté pour lui, n’est-ce pas le signe que cette carence théorique à gauche a fini par désespérer Billancourt et à convaincre même les plus réticents que les réformes nécessaires ne pouvaient se faire qu’avec la droite et du seul point de vue de la droite ?
On le voit les enjeux sont d’une importance considérable et nécessite au Ps ce que Nicolas Sarkozy a visiblement réussi à l’UMP ; dans un court entretien accordé au Parisien le mercredi 8 mai le député socialiste Benoît Hamon, commentant la défaite, explique : « là où je me suis senti hier soir en décalage avec mes camarades, c’est quand j’ai vue que la droite présentait le visage du renouveau avec Rama Yade, Rachida Dati ou Laurent Wauquiez, alors que nous avions les mêmes pour expliquer la défaite de 2007 que ceux qui expliquaient la défaite de 2002 et celle de 1995 !On a aujourd’hui l’éléctorat le plus divers, le plus jeune, le plus curieux et pourtant c’est la droite qui donne l’exemple de la diversité, et nous, on donne le sentiment d’être restés scotchés aux années Mitterand… ». Le renouvellement théorique implique un renouvellement du cadre, du staff, des équipes… On ne peut prétendre vouloir remettre l’ascenseur social en route pour tous et en même temps avoir un Parti Socialiste totalement sous le contrôle de ses caciques inamovibles. Dans le sillage de Ségolène Royal, des hommes et des femmes ont adhéré, une nouvelle génération s’affirme qui attend qu’on lui laisse un peu d’espace pour exister et apporter ses talents et son énergie car c’est par eux que le renouvellement théorique sera porté. Les urgences sont donc doubles comme le formule magistralement Jean-Marie Colombani dans son éditorial au Monde du 04 mai : « il faut donc d’urgence, pour la clarté et la dynamique du débat démocratique, renouveler la pensée de gauche. La mondialisation reste vécue comme une menace et diabolisée comme la cause de tous nos maux ; seule la face négative de cette révolution planétaire est prise en compte et dénoncée. La gauche réformiste doit repenser de façon moderne le changement social. Elle doit sortir de l’impasse idéologique dans laquelle elle s’est enfermée. C’est pour elle la seule manière de retrouver sa vocation historique : incarner le mouvement, le changement et l’espérance, l’optimisme sur l’avenir. Ségolène royal a esquissé un « désir » de changement, tracé une perspective. Sa défaite, surtout si elle était lourde, plongerait inévitablement le PS dans les règlements de comptes, le retour en force de tous les archaïsmes et de toutes les utopies négatives. Sa victoire lui donnerait l’autorité pour engager ce travail de réinvention indispensable. C’est un pari. Pour le pays, il mérite d’être tenté ». Depuis, les urnes ont parlé, Nicolas Sarkozy a été élu par une majorité significative Président de la République, les querelles d’appareil et de personnes sont présentes, et alors ? Lionel Jospin a été battu en 1995, en 2002 il n’a pas passé le premier tour et a plié bagage laissant les socialistes dans le plus grand désarroi ; Ségolène royal se présentait pour la première fois, au soir de la défaite, elle reprenait la main pour annoncer que le combat continuait, afin de mener à bien la refondation du Parti Socialiste, au delà de ses frontières habituelles, et de soumettre aux français pour les prochains scrutins un projet de transformation de la société par la gauche. Quel chemin parcouru depuis ses débuts hésitants lors des primaires socialistes ! Quoi qu’en pense Dominique Strauss Khan, elle représente sans aucun doute l’élément clef, par le mouvement qu’elle suscite et par l’indépendance qu’elle garde au regard des dogmes inchangés depuis 20 ans du socialisme à la française, de sa modernisation, et des réponses à apporter aux questions nouvelles auxquelles celle-ci doit répondre, très vite, notamment dans ses rapports à un centre démocrate souhaité par François Bayrou et à ses partenaires traditionnels (Pc, verts, radicaux, extrême gauche). « Laissons les morts enterrer les morts et les plaindre, notre sort sera d’être les premiers à entrer vivant dans la vie nouvelle » (Karl Marx)




jeudi 26 avril 2007

LE LETTRISME EN 2007 (suite)

Tandis que le France s'apprête à célébrer les Nouveaux Réalistes, l'Italie plus audacieuse continue d'être la terre d'élection du lettrisme ; du 21 avril au 27 mai, à l'initiative de l'Association Zero Gravità, sous l'égide de Roland Sabatier et d'Anne Catherine Caron, se tient à la Villa Cernigliaro une manifestation placée sous le signe de la collection, intime et ultime, au sens le plus noble du terme, qui réactive l'image de l'amateur/collectionneur éclairé (qu'en pensent les responsables de nos institutions culturelles et muséales ?). Figurent dans cette collection Isidore Isou, Gabriel Pomerand, Maurice Lemaître, Roland Sabatier, Micheline Hachette, Alain Satié, Jean-Pierre Gillard, François Poyet, Gérard-Philippe Broutin, Woodie Roehmer, Anne-Catherine Caron, Virginie Caraven. Par ailleurs, on consultera avec profit le blog du lettrisme pour suivre plus précisément les manifestations lettristes en Italie (http://leblogdejimpalette.typepad.com/lettrisme/); comment ne pas ici mentionner le rôle de Francesco Conz, que l'on retrouve dans le même temps, avec Gérard Broutin, pour l'organisation de la manifestation Pianoforti lettristi, et les remarquables sérigaphies d'Isou, réalisées à partir du non moins remarquable roman hypergraphique Initiation à la haute volupté dans les années 80 ?

vendredi 23 mars 2007

PORTRAIT DE LEMAITRE EN SUPER-CELINE

Ce fut un grand moment radiophonique : l'émission consacrée à Maurice Lemaître sur France Culture hier soir a démontré que Lemaître n'est jamais en ses plus hauts sommets que lorqu'il déploie son verbe super-célinien en laissant de côté la rhétorique lettriste et ses impératifs. Ce fut l'occasion de découvrir des archives étonnantes et notamment cette défense de Lemaître par Isou lui-même... et un premier portrait saisissant de ce lettriste orthodoxe, qui continue à en promouvoir, non sans invective et polémique, l'utopie. Remarquable ! Souhaitons à ce programme de connaître une seconde diffusion !