La mort tragique de Clément Méric dans des
circonstances qu’il reviendra à l’enquête d’établir a suscité une
grande émotion dans la presse et l’opinion. Certains ont parlé de "meurtre politique", d'autres ont évoqué une "rixe" entre bandes... Beaucoup ont voulu voir dans cette
tragédie emblématique la confirmation d’un retour du refoulé
« fasciste », point d’orgue des manifestations anti-mariage pour tous
qui ont surpris par leur ampleur et ont permis à quelques groupuscules
d’extrême droite de connaître un surcroît de visibilité. Protestations,
défilés, se sont succédé, les leaders de la manif pour tous ont été montrés du
doigt, des propositions d’interdiction et de dissolution de certains groupes
minoritaires ont été avancées, dans un emballement généralisé dont la rhétorique
vengeresse et liberticide ne faisait sourciller aucun des grands esprits
critiques qui fournissent habituellement leurs lots d’éditoriaux indignés et
vigilants.
On s’est beaucoup intéressé à la
figure de Clément Méric (au sens propre et figuré tant l’image a joué une
fonction essentielle), au point de le transformer en une icône charismatique
qui rejoint la longue liste des héros tombés pour la grande cause ; le voilà maintenant entré dans la légende ("à jamais l'un des nôtres"), récupéré ici et là ; à peine enterré il devient
prétexte et alibi à toutes les revendications
politiques ; la lutte « antifasciste » est pourtant un tropisme éculé de
la gauche radicale, un simulacre qui rejoue les années trente quand le fascisme
n’est plus que résiduel, il participe d’un folklore qui garde sa force de
mobilisation et de fascination dans la mesure où ses acteurs y cherchent le
frisson d’une grande histoire qui n’est plus, une cause symbolique où beaucoup
découvrent l’engagement politique, rompent avec la routine de la vie
quotidienne et trouvent dans
l’activisme militant un groupe d’appartenance et de reconnaissance, un projet
qui transcende la « barque de la vie courante », une aventure…
En va-t-il autrement chez leurs adversaires organiques skinheads,
néo-fascistes, jeunesses identitaire et autres adeptes des cheveux courts et de
la baston en guise de discussion ? Sans doute non.
La couverture médiatique d’un fait divers, devenu actualité majeure l’espace d’une semaine, ne laisse d’étonner et on imagine sans mal ce qu’un Roland Barthes aurait pu écrire à leur propos : la mythologie et son empire de signes ont fait disparaître le jeune homme réel que Clément Aymeric a été. Se construit désormais au fil des articles et hommages une véritable icône politico-médiatique (son portrait est à lui seul son exégèse) qui transforme le jeune homme inconnu en figure exemplaire, métaphore post-mortem d’une quasi sanctification par l’engagement à mort. Le visage de Clément Méric comme celui d’un Stéphane Hessel ou autrefois d’un Abbé Pierre s'inscrit dans cette grammaire de l'image qui gouverne les esprits et l'opinion. On lit ainsi dans POLITIS :
« En voyant ce visage, ce regard, on imagine
combien de réflexions sur l’existence, de colères contre les injustices et les
humiliations, de rêves pour les autres et pour lui-même devaient traverser le
jeune homme. Il y a derrière ces yeux, ce front, tout un monde qui bouge. Dès
lors, les pauvres mots du journalisme ordinaire l’assignant à un état, une
expression – « militant
d’extrême gauche » – résonnent comme une langue creuse. Cette
photo rend Clément Méric à lui-même : irréductible. » (chrisophe
kantcheff, 13 juin 2013)
Et dans Libération sous la plume de l’un de ses anciens professeurs :
« A 18 ans, Clément avait toute la vie devant
lui. Il n’est pas tolérable qu’en France en 2013 on puisse tomber sous les
coups de la haine et du fanatisme. L’indignation et l’émotion suscitées par
l’exacerbation de la violence doivent réunir tous ceux qui, comme Clément,
veulent vivre leur liberté passionnément. Il est grand temps de dire non à ce
que nous ne voulons plus voir dans notre démocratie empoisonnée. »
(Amaury Chauou)
Pour
conclure ce florilège non exhaustif, mentionnons enfin un communiqué largement co-signé sur le site Mediapart :
« Odieux et inacceptable en lui-même, le
meurtre de Clément dépasse le drame individuel. Agressions contre les
lesbiennes, bi-es, gays et les personnes trans, contre les immigré-es et les
personnes issu-es de l'immigration, les musulman-es, actes antisémites,
violences envers des militant-es antifascistes et des organisations
progressistes, se sont multipliées dans toute la France comme à travers toute
l'Europe. Le mensonge, la haine, la violence, la mort, voilà ce que porte
l'extrême-droite, de tout temps et en tous lieux »
Il faudrait donc faire sienne
cette opposition théologique entre d’un côté un jeune homme brillant, engagé,
visiblement placé par les commentateurs du bon côté de la barrière, militant de
la gauche divine œcuménique, et de l’autre un partisan de la « haine »,
du rejet de l’autre, de la violence primitive, du nationalisme étroit… A y regarder de près l’agresseur de Clément
est à peine plus âgé que lui mais offre un profil sociologique bien
différent : rien qui ne le signale comme un lecteur convaincu de Rosenberg, un
docteur-es-national socialisme ou l'image archétypale de la brute aryenne (comme le rappellent son nom et son prénom) mais bien plutôt le portrait d’un jeune homme en dérive aux marges de la société, la figure inquiétante autant qu'imprévisible du looser .
Esteban Morillo a grandi dans
L’Aisne, département sinistré sur lequel les politiques s’arrêtent peu mais
qui est la version rurale, la visibilité et les moyens en moins, d’une
décomposition sociale qui explose régulièrement dans les zones de relégation et
d’exclusion, nommées Banlieues, qui attendent au seuil des grandes villes
gentrifiées une prospérité dont elles sont les grandes oubliées. A opposer l’un à
l’autre, on finit par oublier que les idéologies et leurs bénéficiaires directs
(partis et appareils bureaucratiques) séparent des individus qui partagent des
intérêts communs et une condition commune, une extériorité par rapport à un
champ réglé, organisé sans eux et dont ils fournissent pourtant à gauche comme à
droite, une variable d’ajustement, une force d’appoint, de frappe et le gros
des bataillons dans les manifestations. L’engagement militant représente une
issue à la fois à la jeunesse désintégrée, marginalisée et à une jeunesse visiblement mieux insérée qui ne se satisfait pas pourtant des "bonnes" places qu’elle obtient (Clément Meric était un brillant
étudiant) et en espère sans doute d’autres que la société en l’état est
incapable de lui offrir. Les succès provisoires, les réussites sociales ne
parviennent pas à éteindre cet incendie que d’aucuns envisagent comme des
convictions politiques profondes, arrêtées et définitives, alors qu’elles ne
sont souvent qu’un pis-aller, un viatique pour exister et être reconnu, faute
de mieux… Comme l’écrivait Jean Michel Mension dans le numéro 1 de l’Internationale
lettriste ; « et c’est pour nous manifester que nous écrivons des
manifestes », entre deux dérives, deux beuveries, les internationaux
lettristes rejouaient la lutte des classes, en adoptaient la rhétorique, l’histoire, les poncifs jusqu'à la caricature mais en fait ils expérimentaient tout à fait autre chose, un nihilisme
radioactif qui empruntait pour les éprouver les formes et les formules de
glorieux devanciers en attendant de pouvoir présenter leures propres concepts et armes.. et d'en user dans un espace de jeu nouveau, la ville. Certains
ont fini par être rattrapés par le vieux monde avec qui ils prétendaient
rompre (Guy debord marxiste impénitent et contempteur désabusé du spectacle généralisé), d’autres ont choisi de se ranger et ont adopté les idéologies qu’ils combattaient,
quelques uns ont malgré tout réussi par faire de leur utopie un programme d’action et de
revendication (Lemaître et Isou ont été candidats à des élections législatives pour y porter les propositions du Soulèvement de la Jeunesse), d’autres ont continué à dériver en insoumis perpétuels et en
compagnons de toutes les radicalités (que l’on pense à Jean Louis Brau ). Les
organisations de gauche et de droite sont depuis largement plus
professionnelles, elles essaient d’offrir à ces «désoeuvrés », ces
clandestins de la grande histoire, une place, une perspective plus excitante
que celles offertes par la précarité, le chômage, une vie universitaire sans
véritables enjeux, l’ennui et la médiocrité d’une place subie. Cette
récupération de la jeunesse en révolte a fait les beaux jours de Sos Racisme, puis
ensuite de la LCR, et surtout du Parti Socialiste bien sûr qui pouvait compter
sur les mouvements de jeunesse ainsi encadrés pour asseoir l’hégémonie sociale et politique de ses figures
bureaucratiques et de son appareil. Combien de socialistes sont passés par l’extrême gauche notamment trotskiste avant de saisir l'opportunité de mener le changement à plus grande échelle au sein du Ps qui leur ouvrait les bras... avec les résultats que l'on sait ! Ce Parti leur a offert des débouchés, des mandats, une carrière…
Et à droite que sont devenus les anciens d’Occident dont l’avant-garde était
aussi constituée de jeunes étudiants ? On en trouve certains à l’UMP qui ont eu un parcours tout à fait respectable …
Quant aux jeunesses identitaires elles fournissent l’essentiel des gros bras,
des services de sécurité et des colleurs d’affiche du Front National tandis que
les associations de quartiers servent de
vitrine aux partis de gauche et détournent là encore les jeunes d’une lutte
consciente pour leurs propres intérêts et revendications. Nationaliste,
internationaliste, anticapitaliste, antiraciste, pacifiste, antifa, antisioniste,
pro-palestinien, indigène de la république, néo converti à l’Islam… salut à toi ! salut à toi ! les causes
ne manquent pas qui prétendent capter l’instabilité d’une jeunesse sans
perspective à leur avantage et qui éloignent ces turbulents outsiders des combats qu’ils devraient mener de manière autonome, hors des grands récits idéologiques au sein
desquels ils jouent toujours un rôle essentiel mais où ils n'occupent in fine qu’une place mineure. Plutôt que de
choisir un camp (la « bonne » jeunesse contre la « mauvaise »,
le martyr versus le salaud) on pourrait objecter que ce sont les termes mêmes
du débat qui sont viciés et que le fait
divers et ces deux vies brisées devraient bien au contraire rappeler à quel
point la jeunesse cherche en vain sa place, quitte à se perdre dans les pires
impasses, face à une société qui ne lui renvoie en guise de dialogue social qu’un
moralisme petit-bourgeois, une compassion quelque peu méprisante (pour nos
apaches venus des quartiers) ou un conservatisme autoritaire (voir la condamnation de
Nicolas Bernard-Busse à deux mois ferme alors qu’on ne cesse de dénoncer la
surpopulation dans les prisons).
Dans le premier numéro du Front de la Jeunesse (1950) fondé par Maurice Lemaître afin de servir de
tribune aux idées politiques du mouvement lettriste, on pouvait lire outre le
programme du soulèvement de la jeunesse, un appel au dialogue et à l’action en
direction des anarchistes et un petit article demandant la libération des miliciens
dans des termes qui n’ont rien perdu de leur actualité :
« Nous avons tous fait la « résistance » ! Certains en
tant que communistes, d’autres en tant que catholiques ou gaullistes. Mais nous
avons tous perdu la guerre, car à nouveau nous serons bientôt obligés d’en commencer
une nouvelle, et nous n’aurons plus qu’à choisir qu’entre les bagnes de la
démocratie russe ou le chômage américain. Nous avons lutté pour les mêmes
absurdités que nos ex-ennemis : les jeunes miliciens. Nous avons été
trompés comme eux. Nous n’avons pas moins tué d’hommes dans les maquis de la
résistance et sur le front, comme eux les miliciens, POUR RIEN, pour engraisser
des ministres, des politiciens, des généraux pourris dont on se fiche.
LA jeunesse, au-delà de toutes les races et les frontières, comprend
que LE NATIONALISME EST FAUX parce qu’il nous sépare d’autres jeunesses (soviétique,
américaine, allemande, juive, arabe) qui souffrent le même esclavage que nous,
la même infériorité hiérarchique. Le nationalisme nous lie à des ordures et à
des sédentaires « assis » sous le prétexte qu’ils sont d’une même
nation que nous. (…) Nous demandons la libération des MARTYRS MILICIENS qui ont
été trompés par de vieilles barbes et condamnés par les mêmes juges qui ont
juré fidélité à Pétain ! IL ne faut
pas que la jeunesse aujourd’hui paye les pots cassés :
OUVREZ
LES BAGNES POUR NOS FRERES LES JEUNES MILICIENS ! UNION AVEC LES CAMELOTS
DU ROI ! UNION AVEC LES JEUNES CROIX DE FEU ! VIVE LA JEUNESSE !