Les résultats affichés lors de la vente Pierre Berger attendue de longue date comme un évènement majeur (le dernier avant longtemps sans doute !) ont dépassé les prévisions les plus audacieuses : devant ces millions d'euros récoltés, quelle que soit par ailleurs la cause à laquelle ils seront factuellement employés, les commentaires vont bon train mais globalement admiratifs au sein d'une conjoncture d'une morosité jamais connue depuis... 1929, parfois plus dubitatifs devant tant d'oppulence affichée dans un monde en voix de paupérisation globalisée. Ici, je souhaiterais juste faire quelques observations, inspirées par la rumeur du monde telle qu'en elle même l'éphémère la voue à l'oubli, mais aussi pour donner à cet évènement mondain quelques perspectives qui concernent les topiques affectionnés par l'auteur de ces lignes : la politique culturelle et son économie, les rapports entre institutions publiques et initiative privée, le statut de la création et de son soutien.
D'abord Pierre Berger est un "collectionneur" ; en ce sens l'ensemble proposé renvoie toujours moins à un souci historique et critique (point de vue universitaire qui doit guider l'action du chercheur) qu'à une histoire toujours très subjective entre un homme, un amoureux, et les œuvres qu'il a choisies d'acquérir pour enrichir un musée avant tout personnel. C'est donc moins l'exhaustivité que la cohérence propre que donne à voir une collection et l'ombre portée de son propriétaire, le collectionneur. Dans les admirations qui ont salué cette vente, transpirait comme le sentiment d'un malaise, la certitude que cette vente était un évènement parce que Pierre Berger représentait comme le spectre fascinant de la modernité, toujours brandie comme l'étendard ultime et toujours trahie, celui qui décide de consacrer ses moyens à l'acquisition d'œuvres d'art en suivant des oscillations intimes, une horlogerie des sens et du sens, qui ne trouvera à se satisfaire dans aucune des devantures des grandes enseignes qui polluent désormais les centres de toutes les capitales du monde. Certes il n'y a pas chez le collectionneur nécessairement de passion pure ou de finalité sans fin pour reprendre Kant mais le désir de possession solitaire narcissique ou d'ostentation aux yeux du monde n'épuise pas en un pitoyable bûcher des vanités sa démarche contrairement à d'autres.
Et d'ailleurs qui voudrait-on lui opposer ? Qui sont donc les "collectionneurs" aujourd'hui ? Éclectisme postmoderne, adhésion sans réserve à toutes les modes qui s'affichent avec grand tapage, j'imagine non sans mal à regarder les enchères sur Ebay les ventes du futur : les originaux des Comics Marvel, une édition dédicacée par Guy Ernest de la première édition de la Société du spectacle que l'heureux propriétaire n'aura jamais pris la peine de lire, un vinyl confidentiel de Joy division (pressage russe ou martien), une lettre de carla bruni à un plumitif des inrocks, un ticket de final du mondial de foot 1998, un vélib parisien... Bien sûr, je caricature à dessein mais les grands gagnants de la dérégulation mondiale (ceux qui en quelques années ont accumulé une richesse considérable avant de la perdre récemment) ont visiblement apporté autant de vide dans l'art, la culture, la création qu'ils en ont propagé dans l'économie et la finance au gré des bulles spéculatives. Portés par des valeurs "cools", "sympas" qui sont les deux visages acceptables de ce que Flaubert ou Baudelaire auraient méprisé en leur temps comme la forme accomplie de la médiocrité, beaucoup ont renconcé à la tradition toute bourgeoise du luxe de l'art lui préférant d'autres productions culturelles ou d'autres opportunités d'investissement (que l'on pense à la grande bulle immobilière, la bourse devenue folle), ou s'y jetant dans la plus grande confusion, sans ligne durable ni connaissance véritable d'ailleurs. Il faut saluer ici un Bill Gates qui s'il a brillé par ses pratiques hégémoniques dans le champ des nouvelles technologies a constitué sur le tard une remarquable collection de photographies dans un souci louable de cohérence historique. Mais il reste une exception.
Je me suis étonné dans un post récent du zèle de l'Etat français à préempter les restes de Guy Ernest Debord non qu'ils ne trouvent leur place au sein des institutions mais en raison de l'emballage grossier dans lequel il se trouvait présenté (presque un "monument de la pensée"). Je ne doute pas qu'il ne se trouve un fonctionnaire zélé pour courrir après la correspondance de Marc Levy dans quelques décennies comme d'autres se sont employés à récupérer les oeuvres si peu utiles d'Hervé Bazin. A ce tarif le moindre artiste branchouille ou quiddam qui se trouve éclairé par l'actualité (allons soyons people un peu tiens prenons miss Paris Hilton) cristallise sur lui un buzz spéculatif qui a bien peu à voir avec la création culturelle.
Si j'ai l'air d'attaquer plus particulièrement l'Etat c'est que lui même s'est depuis Malraux imposé cette obligation d'une exception "culturelle française" où l'Etat au local comme au national est amené à jouer un rôle décisif. Mais le désordre et la perte progressif du sens de la culture (que même un Guy Ernest regardait comme un symptôme significatif des "temps spectaculaires") n'afflige par seulement les nouvelles générations de fonctionnaires qui vont avoir à charge de maintenir l'ordre culturel existant en écartant la concurrence légitime mais aussi le champ privé des galeries et des collectionneurs. La suprématie anglo-saxonne et les ventes aux enchères ont quelque peu effacé le travail à long terme des galeristes, le souci comme en bourse de voir un rendement maximum sur un temps court ont conduit les novices à privilégier les "coups"... Les artistes pour espérer des débouchés adoptent les codes du temps présent pour espérer s'y voir reconnu en sacrifiant sans doute ce qui aurait mérité une réelle reconnaissance : audace, et originalité devant les icônes de ce temps.
Quant aux collectionneurs privés, il en existe encore et j'imagine sans mal les trésors de la Collection Eric Fabre ou celle du mécène très actif Francesco Conz pour en rester aux avant-gardes et heureusement d'ailleurs ! Face à un Etat et un marché qui n'ont aucune ligne directrice et matrice intellectuelle pour agir, le collectionneur reste un compagnon de route, de lutte qui partage avec les artistes qui enrichissent sa collection une communauté de destin... Quant à L'Etat c'est encore bien après la bataille qu'il vient enfin récupérer son du et toujours au prix fort, faute d'avoir été aux avant-postes au moment voulu ! Qu'il me soit ici permis d'évoquer le nom d'Elke Morenz décédée récemment qui représente sans doute la figure d'un collectionneur atypique au regard des valeurs dominantes aujourd'hui mais avertie et pionnière, qui a construit sur une vie une collection lettriste qui gagnerait sans doute à être exposée.
Enfin certains ont trouvé la juxtaposition des chiffres du chômage et des montants atteints par la vente "surréaliste" voir scandaleuse. Le vrai scandale au regard des modèles économiques suivis jusqu'à aujourd'hui reste dans une accumulation financière qui s'est construite contre le salariat exploité et paupérisé (les fameuses "réformes nécessaires"), contre l'outil économique lui même et l'innovation auxquels ont été préférées les sirènes de la Bourse, contre les jeunes qui voient leurs débouchés réduits (No future ! risque de devenir un slogan très en vogue prochainement ) en raison des choix de leurs ainés sans autre possibilité que la révolte comme en Grèce. Pour le reste, il y a bien in fine une économie de la création et une économie de la production qui explique le grand écart des rétributions ( de la barre chocolatée à un tableau de Matisse). Si les montants ont été à la hausse c'est en justement en raison de la crise mondiale : les acheteurs face à l'effondrement des pseudo-valeurs d'hier cherchaient sans doute davantage la stabilité que le risque (d'où Duchamp, Matisse, Chirico). Par ailleurs il y avait aussi une dimension éthique dans cette vente : Pierre Berger est un créateur et un entrepreneur qui a su imposer son travail, et a contribué à faire rayonner la France, à y créer des emplois, de la richesse au bénéfice de tous quoiqu'on puisse penser par ailleurs de son entreprise, de ses créations et de sa collection ! Bref, l'antithèse parfaite du Trader qui il y a peu encore était paré de toutes les vertus et jouissait de l'admiration unanime. A méditer.
D'abord Pierre Berger est un "collectionneur" ; en ce sens l'ensemble proposé renvoie toujours moins à un souci historique et critique (point de vue universitaire qui doit guider l'action du chercheur) qu'à une histoire toujours très subjective entre un homme, un amoureux, et les œuvres qu'il a choisies d'acquérir pour enrichir un musée avant tout personnel. C'est donc moins l'exhaustivité que la cohérence propre que donne à voir une collection et l'ombre portée de son propriétaire, le collectionneur. Dans les admirations qui ont salué cette vente, transpirait comme le sentiment d'un malaise, la certitude que cette vente était un évènement parce que Pierre Berger représentait comme le spectre fascinant de la modernité, toujours brandie comme l'étendard ultime et toujours trahie, celui qui décide de consacrer ses moyens à l'acquisition d'œuvres d'art en suivant des oscillations intimes, une horlogerie des sens et du sens, qui ne trouvera à se satisfaire dans aucune des devantures des grandes enseignes qui polluent désormais les centres de toutes les capitales du monde. Certes il n'y a pas chez le collectionneur nécessairement de passion pure ou de finalité sans fin pour reprendre Kant mais le désir de possession solitaire narcissique ou d'ostentation aux yeux du monde n'épuise pas en un pitoyable bûcher des vanités sa démarche contrairement à d'autres.
Et d'ailleurs qui voudrait-on lui opposer ? Qui sont donc les "collectionneurs" aujourd'hui ? Éclectisme postmoderne, adhésion sans réserve à toutes les modes qui s'affichent avec grand tapage, j'imagine non sans mal à regarder les enchères sur Ebay les ventes du futur : les originaux des Comics Marvel, une édition dédicacée par Guy Ernest de la première édition de la Société du spectacle que l'heureux propriétaire n'aura jamais pris la peine de lire, un vinyl confidentiel de Joy division (pressage russe ou martien), une lettre de carla bruni à un plumitif des inrocks, un ticket de final du mondial de foot 1998, un vélib parisien... Bien sûr, je caricature à dessein mais les grands gagnants de la dérégulation mondiale (ceux qui en quelques années ont accumulé une richesse considérable avant de la perdre récemment) ont visiblement apporté autant de vide dans l'art, la culture, la création qu'ils en ont propagé dans l'économie et la finance au gré des bulles spéculatives. Portés par des valeurs "cools", "sympas" qui sont les deux visages acceptables de ce que Flaubert ou Baudelaire auraient méprisé en leur temps comme la forme accomplie de la médiocrité, beaucoup ont renconcé à la tradition toute bourgeoise du luxe de l'art lui préférant d'autres productions culturelles ou d'autres opportunités d'investissement (que l'on pense à la grande bulle immobilière, la bourse devenue folle), ou s'y jetant dans la plus grande confusion, sans ligne durable ni connaissance véritable d'ailleurs. Il faut saluer ici un Bill Gates qui s'il a brillé par ses pratiques hégémoniques dans le champ des nouvelles technologies a constitué sur le tard une remarquable collection de photographies dans un souci louable de cohérence historique. Mais il reste une exception.
Je me suis étonné dans un post récent du zèle de l'Etat français à préempter les restes de Guy Ernest Debord non qu'ils ne trouvent leur place au sein des institutions mais en raison de l'emballage grossier dans lequel il se trouvait présenté (presque un "monument de la pensée"). Je ne doute pas qu'il ne se trouve un fonctionnaire zélé pour courrir après la correspondance de Marc Levy dans quelques décennies comme d'autres se sont employés à récupérer les oeuvres si peu utiles d'Hervé Bazin. A ce tarif le moindre artiste branchouille ou quiddam qui se trouve éclairé par l'actualité (allons soyons people un peu tiens prenons miss Paris Hilton) cristallise sur lui un buzz spéculatif qui a bien peu à voir avec la création culturelle.
Si j'ai l'air d'attaquer plus particulièrement l'Etat c'est que lui même s'est depuis Malraux imposé cette obligation d'une exception "culturelle française" où l'Etat au local comme au national est amené à jouer un rôle décisif. Mais le désordre et la perte progressif du sens de la culture (que même un Guy Ernest regardait comme un symptôme significatif des "temps spectaculaires") n'afflige par seulement les nouvelles générations de fonctionnaires qui vont avoir à charge de maintenir l'ordre culturel existant en écartant la concurrence légitime mais aussi le champ privé des galeries et des collectionneurs. La suprématie anglo-saxonne et les ventes aux enchères ont quelque peu effacé le travail à long terme des galeristes, le souci comme en bourse de voir un rendement maximum sur un temps court ont conduit les novices à privilégier les "coups"... Les artistes pour espérer des débouchés adoptent les codes du temps présent pour espérer s'y voir reconnu en sacrifiant sans doute ce qui aurait mérité une réelle reconnaissance : audace, et originalité devant les icônes de ce temps.
Quant aux collectionneurs privés, il en existe encore et j'imagine sans mal les trésors de la Collection Eric Fabre ou celle du mécène très actif Francesco Conz pour en rester aux avant-gardes et heureusement d'ailleurs ! Face à un Etat et un marché qui n'ont aucune ligne directrice et matrice intellectuelle pour agir, le collectionneur reste un compagnon de route, de lutte qui partage avec les artistes qui enrichissent sa collection une communauté de destin... Quant à L'Etat c'est encore bien après la bataille qu'il vient enfin récupérer son du et toujours au prix fort, faute d'avoir été aux avant-postes au moment voulu ! Qu'il me soit ici permis d'évoquer le nom d'Elke Morenz décédée récemment qui représente sans doute la figure d'un collectionneur atypique au regard des valeurs dominantes aujourd'hui mais avertie et pionnière, qui a construit sur une vie une collection lettriste qui gagnerait sans doute à être exposée.
Enfin certains ont trouvé la juxtaposition des chiffres du chômage et des montants atteints par la vente "surréaliste" voir scandaleuse. Le vrai scandale au regard des modèles économiques suivis jusqu'à aujourd'hui reste dans une accumulation financière qui s'est construite contre le salariat exploité et paupérisé (les fameuses "réformes nécessaires"), contre l'outil économique lui même et l'innovation auxquels ont été préférées les sirènes de la Bourse, contre les jeunes qui voient leurs débouchés réduits (No future ! risque de devenir un slogan très en vogue prochainement ) en raison des choix de leurs ainés sans autre possibilité que la révolte comme en Grèce. Pour le reste, il y a bien in fine une économie de la création et une économie de la production qui explique le grand écart des rétributions ( de la barre chocolatée à un tableau de Matisse). Si les montants ont été à la hausse c'est en justement en raison de la crise mondiale : les acheteurs face à l'effondrement des pseudo-valeurs d'hier cherchaient sans doute davantage la stabilité que le risque (d'où Duchamp, Matisse, Chirico). Par ailleurs il y avait aussi une dimension éthique dans cette vente : Pierre Berger est un créateur et un entrepreneur qui a su imposer son travail, et a contribué à faire rayonner la France, à y créer des emplois, de la richesse au bénéfice de tous quoiqu'on puisse penser par ailleurs de son entreprise, de ses créations et de sa collection ! Bref, l'antithèse parfaite du Trader qui il y a peu encore était paré de toutes les vertus et jouissait de l'admiration unanime. A méditer.