Sans doute ceux qui décyptent les stratégies et les jeux de guerre qui font de la politique la plus durable des passions de nos démocraties, malgré tout, en fonction d'une fidélité exemplaire à des convictions ont-ils été quelque peu déboussolés par le remarquable travail de sape de Nicolas Sarkozy. En ouvrant son gouvernement à des personnalités de "gauche", (mais qu'est-ce qu'un Besson ou un Kouchner ont encore de "gauche"?) à la société dans sa diversité (Fadela Amara, Rachida Dathi, Rama Yade), aux femmes... Il réussit à ringardiser, un peu comme l'avait fait Tony Blair en son temps, une opposition privée, dépossédée de ses appuis, avec un risque pour celle-ci de marginalisation puisque ce mouvement s'il devait se trouver couronné de quelques succès reconstruirait immanqablement la vie politique française autour de Nicolas Sarkozy. Il n'y aurait donc plus ni gauche, ni droite mais une gauche sarkozienne et une droite sarkozienne. Ce tour de force a déjà connu ses premiers succès lors de l'élection présidentielle où le candidat UMP a littéralement mis hors course un Front national qui n'avait cessé depusi 15 ans de voir ses résultats électoraux augmenter. Ce recul du Front National n'a rien de conjoncturel comme l'a montré son échec aux législatives. François Bayrou qui cherchait à construire une troisième voie "ni gauche, ni droite" en appellant des hommes et des femmes de toutes les sensibilités politiques à travailler ensemble pour le bien commun, se trouve dépossédé de son idée fondatrice. La gauche socialiste, embourbée dans des réglements de compte internes, sans logiciel, ni ligne directrice, incapable d'avancer vers sa nécessaire refondation, ne peut qu'assiter , impuissante, à la constitution d'un gouvernement placé sous le signe d'une modernité pour laquelle elle a toujours oeuvré même si les cosnidérations tactiques des uns ou des autres ont souvent nui à sa pleine manifestation. Au delà des clivages les plus apparents (gauche/droite), se situe une ligne de fracture qui peut dans une certaine mesure expliquer ses ralliements surprenants pour certains (Fadela Amara appellait à voter Oui au Traité constitutionnel européen mais elle a soutenu Laurent Fabius aux Primaires socialistes...). Le Parti Socialiste est moins que jamais un parti de militants, c'est avant-tout un appareil en grande partie vérouillé par sa bureaucratie, son histoire et ses cadres mais sans lequel pourtant, comme Ségolène Royal en a fait la triste expérience, il est difficile de mener et de gagner une campagne. Si Ségolène Royal y a taillé quelques brêches portée par de nouveaux adhérents en situation d'externité, la parenthèse récréative est maintenant terminée et la politique au très mauvais sens du terme a désormais repris ses droits : il n'était qu'à voir la satisfaction relative affichée par certains ténors socialistes au soir des résultats des législatives pour prendre la mesure de ce fait ; alors que les socialistes continuent à perdre élection après élection, le score honorable de 200 sièges semblait avoir calmé les ardeurs réformistes ; plus personne ne semblait se scandaliser qu'un Bayrou qui a fait près de 18% aux Présidentielles ait autant de députés que les Verts (qui eux ont fait 1,9 %!), qu'il y ait encore 18 députés communistes (d'ailleurs il n'y a plus de communistes qu'à l'Assemblée !) alors que Marie George Buffet a obtenu 1,9 % des voix et que le candidat de la LCR Olvier Besancenot faisait 4,5 %, parti qui n'a pas un seul député à l'Asemblée ! Tout est rentré dans l'ordre... A ces cadres et ténors lénifiants il n'est pas venu à l'idée que pour transformer la société il faut d'abord gagner les élections, être en position majoritaire et que le rôle d'opposant perpétuel est une impasse. Faut-il donc ne compter que sur les fautes et erreurs tactiques de l'adversaire (la TVA sociale par exemple) pour escompter quelques succès électoraux ? Voilà des perspectives peu glorieuses et peu porteuses d'avenir...
Les externes, sans avenir réel dans une organisation qui ne sait pas encore leur laisser une place, des marges de manoeuvre pour qu'ils puissent déployer leurs talents et y inscrire leurs apports, au bénéfice de tous, n'ont d'autre alternative que de saisir toutes les opportunités et situations qui leur permettront de sortir d'une relative inexistence et d'accéder enfin très hégéliennement à leur reconnaissance. Cela, le Parti Socialiste, ne l'a pas compris comme il n'a compris ce qui réellement se jouait derrière la popularité de Ségolène Royal et la vague des nouveaux adhérents. Nicolas Sarkozy l'a très bien compris, lui, qui joue sur tous les tableaux : les externes "aboutis" contre les externes en échec dans les banlieues, les insiders (le travail et le pouvoir d'achat) contre les outsiders (relégués, déclassés, assistés qui constituent une charge pour la collectivité). Il témoigne sans doute d'une intelligence politique et d'un sens de la stratégie remarquable (voir les postes régaliens qu'il a accordés à ceux qui ne sont pourtant pas issus de l'UMP) mais cela suffira-t-il ? Les grandes réformes qui s'annoncent ne vont visiblement que renforcer les situations acquises quand elles sont confortables (diminution des impôts, bouclier fiscal, défiscalisation des heures supplémentaires, crédit d'impôt pour les emprunts immobiliers...), fragiliser la cohésion sociale, creuser les écarts (aux salairés la valeur symbolique positive du travail, aux capitalistes le produit économique de ce même travail, quel partage équitable de la richesse !), exacerber une classe d'externes que cette politique, de classe, ne pourra résoudre à grands renforts de libéralisme même tempéré. Quant à la gauche, plutôt que de décerner les bons et les mauvais points, de se laisser aller au moralisme et à la fidélité aux principes peut-être serait-il temps d'essayer de comprendre avec les bons outils ce qui est en train de se passer sous peine de rejoindre sous peu les poubelles de l'histoire.