Élargir l’école, prolonger l’enseignement, c’est qu’on le veuille ou
non, d’une part éloigner le jeune de sa famille, d’autre part également l’éloigner
du monde du travail, c’est finalement le placer hors classe ou plus exactement
créer une nouvelle classe (..) une catégorie sociale nettement discernable est
en train de prendre corps. Ce processus me semble inéluctable. Il faudra bien
un jour consacrer dans les idées et les institutions cet état de fait et le
plus tôt sera le mieux. Dores et déjà toute politique de la jeunesse qui omettra
de se référer à une telle situation sera vouée à l’échec, plus encore elle
engendrera les troubles les plus graves dans la société toute entière.
Vers un sous prolétariat ?
Si de profondes modifications n’interviennent pas dans l’organisation
de la société, nous assisterons à l’apparition d’une masse sans cesse accrue
d’individus non intégrés immédiatement par la société, sans pouvoirs ni droits propres,
et pendant longtemps sans débouchés, le procédé qui consiste à prolonger la
période de scolarité ou à entretenir un service militaire à défaut de guerres
n’est qu’un expédient provisoire destiné à prolonger artificiellement un type
périmé d’organisation sociale.
IL faut en effet souligner l’urgence d’une intégration
immédiate des jeunes dans la société, par une consécration de leurs droits et
de leurs pouvoirs, comme seul moyen de répondre valablement à la situation
nouvelle. Alors que le jeune vivait autrefois dans sa famille, dont il était
tributaire, il était concevable que ses droits et pouvoirs fussent exercés par
son père, cette délégation recouvrant une réalité sociale, issue de la
permanence et de la solidité de l’institution familiale. Les liens nationaux,
comme les liens sociaux, étaient à base autocratiques, et l’intégration du
jeune était parfaitement réalisée dès sa naissance et souvent au-delà de la
majorité par la subordination au père de famille. Or la question qui se pose
maintenant est la suivante qui à l’heure actuelle met en en ouvre les
pouvoirs des jeunes ? Certainement plus les parents. Ces pouvoirs sont
tour à tour neutralisés et exploités par des collectivités vivant sur des
principes anciens appliqués à des situations nouvelles mal connues de telle
sorte que chacun détient à la vérité en son
pouvoir la faiblesse de tous.
Nous constatons que chaque individu passe 30 à 40 années à lutter
(ou à attendre) pour obtenir une fonction créatrice dans la société. Il n’en
faut pas plus pour expliquer le marasme, le malthusianisme, la stagnation que
l’on dénonce un peu partout. La fonction devient une fin en soi, alors qu’elle
ne devrait être qu’un moyen. Elle coïncide fort tard avec la bonne situation,
et le terme qui définit la conception,
c’est un fauteuil où il fait bon se reposer, l’attente et la fatigue
tenant lieu de mérite social.
C’est dire que le danger va s’aggravant au fur et à mesure
que s’allonge la période improductive imposée à la jeunesse. Nous assistons à
la naissance d’un sous-prolétariat, entièrement disponible, taillable et
corvéable à merci, prêt à toute aventure propre à le sortir de l’inertie.
Politique de la,jeunesse ?
Nous considérons qu’une telle politique ne peut et ne doit
pas se borner à une politique pour les jeunes mais surtout une politique par
les jeunes. Une politique pour les jeunes est vouée au tâtonnement et au référendum
permanent et stérile. La seule politique souhaitable sera celle qui consistera
à fournir aux jeunes les moyens de se faire eux-mêmes. En fait la jeunesse ne
sera véritablement intégrée dans la société que par une prise de conscience de
ses possibilités. Ses possibilités, elle ne les trouvera pas dans le passé,
l’histoire. La jeunesse est toute dans le présent, toute dans l’avenir. Son
rôle est de rechercher le neuf dans tous les domaines et à tout instant car
seul le neuf annonce l’avenir. Tant que la jeunesse sera privée des moyens qui
lui permettent d’accomplir cette tâche, elle en sera réduite à cette
position de détachement, de refus de la
vie sociale que nous avons analysée. La jeunesse n’est actuellement qu’une
possibilité, elle n’existe pas.
Claude Némaux, Panorama de la Jeunesse 1954, article publié dans le numéro 9 (et dernier) de la Revue Le Soulèvement de la Jeunesse (Marc O, Yolande De Luart), 1954
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