vendredi 7 décembre 2007
lundi 3 décembre 2007
ARCHIVE DE L'HUMANITE
Isidore Isou : l’esprit de la lettre
Décès . L’inventeur du lettrisme s’est éteint à l’âge de quatre-vingt-deux ans.
Isidore Isou est mort samedi à Paris à l’âge de quatre-vingt-deux ans. Il est l’inventeur du lettrisme, l’un des principaux mouvements d’avant-garde qui prit la suite du dadaïsme et du surréalisme dans les années cinquante.
Né le 29 janvier 1925 à Botosani, en Roumanie, Isidore Isou Goldstein, enfant surdoué (il lit Dostoïevski à treize ans, Karl Marx à quatorze ans, Proust à seize ans) a, en 1942, l’intuition de la poésie lettriste en parcourant ces mots de Keyserlin : « Le poète dilate les vocables. » Il arrive en France en 1946 et fonde immédiatement le mouvement littéraire lettriste. Dans la lignée des poètes futuristes et dadaïstes, il annonce la fin de la poésie des mots au profit d’une poésie des lettres et des signes où les sons et les onomatopées prennent le pas sur le sens habituel. Dans Bilan lettriste, il définit le lettrisme comme « un art qui accepte la matière des lettres réduites et devenues simplement elles-mêmes ». Parmi les ouvrages dans lesquels ce contestataire né théorise son mouvement, citons la Dictature lettriste (1946), Essai sur la définition et le bouleversement total de la prose et du roman (1950). Par-delà la poésie, le lettrisme entend aussi s’opposer au mode de vie prôné par le capitalisme. Isidore Isou vante le potentiel révolutionnaire de la jeunesse comme base de changement de l’économie. Il appelle à la subversion des normes édictées par les moeurs bourgeoises, et milite pour la libération des puissances du langage. Guy Debord, l’un des futurs fondateurs de l’Internationale situationniste, sera longtemps parmi ses proches avant la brouille qui aura lieu sur le tard. Isou a écrit sur des domaines aussi variés que la philosophie, la physique, les mathématiques. Il est le créateur de pièces de théâtre et de films expérimentaux. On lui doit un très beau roman, Je vous apprendrai l’amour. Même si le mouvement lettriste s’est parfois perdu dans des formes particulièrement alambiquées, il n’en demeure pas moins à l’origine d’oeuvres audacieuses comme le Syncinéma, de Maurice Lemaître.
Muriel Steinmetz
jeudi 29 novembre 2007
INSURRECTIONS, VIOLENCES URBAINES, EMEUTES
Le chômage de masse maintient désormais une population de plus en plus nombreuse sous la perfusion de l'assistanat : aussi, là où l'économie réelle fait défaut, une économie souterraine, fondée sur l'illégalité, s'installe et participe à l'emploi des désœuvrés qui veulent à tout prix sortir de la survie assistée. Le lumpenprolétarait joue en ce sens un rôle en tant qu'acteur économique, et possède les modalités brutales d'action indispensable pour garantir la viabilité de ses affaires. S'il est légitime que l'état assure l'ordre et la sécurité des biens et des personnes, il ne peut s'arrêter au seul traitement judiciaire de ces phénomènes devenus récurrents. Mais encore faut-il les comprendre...
A l'autre bout du "descenseur social" se tiennent les étudiants, gagnants de la méritocratie scolaire et de ses nombreuses sélections, mais eux aussi s'agitent et s'inquiètent de constater combien des diplômes parfois difficilement arrachés (redoublement) n'offrent aucune garantie quant à leur placement dans une société de plus en plus inégalitaire. Les spécialistes des questions sociales ne sont pourtant pas avares d'explications et au final si ces explications ne permettent pas de comprendre la société dans ses fractures et ses tensions et surtout d'agir, quelle peut-être leur légitimité si ce n'est de brouiller toujours plus une urgence économique que l'on dissimule sous les vrais-faux débats relatifs au racisme, aux discriminations, à l'intégration républicaine face au multiculturalisme et au profit de qui... Entre les thèses sécuritaires et le lobby culturaliste défendu par les amis de la gauche de la gauche, il faut affirmer et défendre un espace intellectuel où puisse encore se penser la racine matricielle de la société dans sa modernité : l'économie politique comme projet de transformation de la société et voie d'émancipation individuelle.
Les pouvoirs publics semblent dépassés et pourtant les plans d'urgence n'ont cessé de se succéder sans aboutir aux résultats espérés. Tous les intervenants et décideurs s'accordent pour noter le taux anormalement élevé de chomâge dans ces quartiers en difficultés, très peu de solutions sont proposées si ce ne sont les éternels moyens financiers supplémentaires dont les effets se font toujours attendre. On préfère disserter à perpétuité sur "l'intégration", le "vivre ensemble", les questions ethniques et culturelles (Aux test ADN des uns répondent les statiques ethniques des autres), mais d'intelligence économique, il n'est guère question comme si cette dimension représentait un simple appendice négligeable alors qu'elle est le coeur sismique d'un contrat social proche de la banqueroute et de tous les effondrements sociaux qui ne manqueront pas de se produire.
La territorialisation est maintenant revendiquée par les habitants de ces quartiers dans une posture d'appartenance alors qu'elle était dénoncée il y a encore peu (le terme ghetto est tantôt positif tantôt négatif selon le contexte comme le souligne Loïc Wacquant dans son précieux ouvrage Parias urbains, ghetto, banlieue, état, La Différence, 2007), c'est bien parce que cette reconnaissance économique de l'individu est devenue presque impossible pour une partie importante d'entre eux qu'ils cherchent dans la communauté restreinte (le quartier) et ses codes le lien social et la reconnaissance qu'ils ne trouvent plus ailleurs (comme salarié et citoyen). L'accès de tous a une activité économique où chacun voit ses mérites, talents et compétences reconnus pour le plus grand bénéfice de l'ensemble de la collectivité, reste le plus grand défi que tout gouvernement se doit de relever avec des obligations de résultat ! Les jeunes en difficultés en se contenteront pas toujours des pis-allers culturalistes et exotiques qu'on leur accorde (être reconnu comme "minorité") même s'ils peuvent permettre de manière ponctuelle de franchir quelques barrières, ils aspirent surtout à être reconnus comme individus et sujets, à participer à la société contractuellement sur la base de ce qu'ils sont singulièrement et non du groupe qu'ils sont supposés représenter. Le problème de cette jeunesse reste un problème économique.
Toutes les solutions préconisées s'appuient sur des postulats inspirés des doctrines libérales ("libérer" l'initiative économique en allégeant les charges, en diminuant la TVA, en proposant des contrats simplifiés à l'avantage des employeurs de type CNE, CPE) ou sur des postulats étatistes (intervention massive de l'état dans la création d'emplois aidés du type emplois-jeune), toutes ont trouvé leurs limites et condamnent le pays à une logique de guerre civile en raison même de leur faillite désespérante. Faute de solutions durables, le pays se condamne à osciller entre le tout-répressif, la perfusion des ressources allouées par l'État pour maintenir tout le monde à minimum de niveau de survie, et le repli grégaire toujours plus marqué des individus sur des communautés restreintes d'appartenance. Exit la société d'abondance, bonjour la société de pénurie et d'indigence !
Tout a été essayé ? Non, à commencer par l'école qui jusqu'à présent n'a bénéficié que de moyens financiers supplémentaires sans s'interroger sur les réformes qui sont à mener sur l'organisation même de l'école (ses missions, ses méthodes, ses contenus). Qu'il s'agisse du Collège unique ou de l'Université les mouvements actuels témoignent d'une crise profonde d'un système qui mènent une partie des jeunes vers des voies sans issue ni perspectives ; il ne s'agit pas de faire table rase d'une organisation là où elle fonctionne mais de partir de ses dysfonctionnements pour en comprendre les failles et les limites et ainsi le réformer au bénéfice de tous. N'en déplaise à ceux qui considèrent ce système éducatif comme l'un des meilleurs, il se paie d'un gâchis énorme que constituent tous les jeunes qui en sortent sans diplôme ni qualification ; les enfants des classes populaires ne peuvent se payer le luxe de l'échec et du redoublement dans le supérieur tout simplement parce que leurs familles n'ont pas les moyens de prolonger indéfiniment les études... surtout quand elles ne mènent pas à la place espérée. La première des responsabilités de l'Education Nationale devrait donc être d'accompagner les élèves dans la réussite et non dans l'échec, de comprendre là où son propre fonctionnement opératoire peut créer des conditions favorables au succès et là où il installe les malchanceux dans des logiques d'échec. Par ailleurs, la qualification par le diplôme doit être pensée dans son prolongement professionnel : quelles études pour quel emploi ? En refusant d'articuler économie et études supérieures, on se condamne à de douloureux lendemains qui déchantent : savoirs obsolètes, filières sans débouchés....
En définitive, les solutions libérales et étatistes tendent soit à réformer au profit des employeurs et actionnaires qui voient là autant d'occasion de relancer l'initiative économique (sans souci du coût social), soit à bloquer la dynamique économique indispensable pour garantir un plein emploi approximatif par des contraintes législatives, des emplois statutaires : tandis que les uns défilent pour leurs "acquis sociaux" les autres n'ont d'autre horizon que le marché et des contraintes. Il faut ici saluer Bernard Thibault de la CGT qui lors des grèves de novembre a choisi la voie d'un réformisme assumé sans renoncer au rapport de force et a privilégié moins des revendications catégorielles (la situation des salariés installés) que l'urgence de renouer avec un salariat du privé complètement livré à l'arbitraire du marché. De son côté Nicolas Sarkozy fait le chemin inverse en proposant de "travailler plus" pour améliorer le pouvoir d'achat à ceux qui sont déjà salariés (internes) quand c'est le non-emploi d'une partie de la population (les externes) qui est devenu insupportable et quand c'est la création/production de richesse, l'émergence de nouveaux secteurs porteurs d'emplois qu'il faut avant tout encourager. Sur ce chemin, l'université enfin réformée aurait sans doute un rôle clef à jouer.
L'alternative est donc simple : ou continuer à ne penser la politique économique qu'à travers le marché et ses acteurs institutionnels existants (l'Etat, le patronat, les actionnaires, les syndicats), avec les débats habituels et leurs fausses solutions (plus ou moins de marché/plus ou moins d'état) ou prendre comme élément central du jeu les externes, et au premier plan parmi eux les jeunes, en ouvrant davantage le marché institué à ces nouveaux acteurs, pour mener de concert réforme économique (des crédits de lancement plutôt que les minima sociaux !), sociale (la sécurisation des parcours professionnels proposée par la CGT s'avère ici une piste prometteuse) et réforme du système éducatif.
jeudi 22 novembre 2007
LA JEUNESSE TRAHIE PAR SES CHEFS !
Plutôt que de luttes des classes faudrait-il ici parler de lutte des déclassés : entre les déclassés du système universitaire et les "réussites" des classes préparatoires, des grandes écoles et des filières pourvues de débouchés dont les étudiants généralement ne manifestent pas, entre les déclassés présents qui fourniront le gros des déclassés sociaux futurs et les "gagnants" qui pourront négocier leurs savoirs, leurs compétences et leur intelligence dans les meilleures conditions et obtenir la place espérée quand d'autres devront se contenter d'un placement au rabais. Luc Cédelle dans un article du Monde du 22/10 saisit remarquablement ce mouvement contradictoire des étudiants ; commentant les accusations à charge formulées contre la Loi Précresse (pourtant négociée avec les organisations syndicales étudiantes), il rappelle que "même l'affirmation de la mission d'insertion professionnelle de l'université et l'encouragement à développer des formations dites "professionnalisantes" sont présentés comme des abominations. "La professionnalisation est au contraire le plus court chemin vers la déqualification et la précarité", assène le texte adopté par la "coordination nationale" qui s'est tenue les 17 et 18 novembre à Tours".
Externes par rapport au salariat organisé et à ses nécessités, les étudiants n'ont pour interpeler la société sur l'avenir qu'elle leur prépare (ou que justement elle ne leur prépare pas !) qu'une contestation de leurs conditions qui va grandissante, et ce dans la plus totale confusion. Le gouvernement autant que l'opposition seraient bien avisés de prêter attention à cette rumeur qui gronde dans la mesure où elle anticipe l'état dégradé dans lequel les nouvelles générations arriveront au salariat... et pour quelle place ! Cela permettrait ainsi que les questions de fond relatives aux problèmes qui minent l'université française soient posées, hors de toute récupération politique ; malgré les éructations des organisations étudiantes, ni Sarkozy, ni le "capitalisme mondialisé", ni la droite pas plus que la gauche, ne sont la source première de leurs problèmes, ce sont là autant d'os à ronger livrés à l'inquiétude et au ressentiment des étudiants (et à sa créativité détournée) sur lesquels les plus politisés espèrent construire leur légitimité et faire avancer leurs combats (qui ne sont pas nécessairement les combats et les urgences des étudiants !) ; plus grave ce sont autant de contre-feux allumés pour éviter de poser un diagnostic éclairé sur l'état du système universitaire, ses faillites et ses réussites, et poser les questions essentielles : quelles études ? Pour faire Quoi ? Comment mieux articuler les relations entre le savoir universitaire et l'économie de la connaissance dans laquelle nous sommes désormais ? Quelles sont les raisons du fort taux d'échec en premier cycle universitaire ? Comment faire pour que l'université devienne une voix d'excellence, jouant pleinement le rôle d'ascenseur social ouvert à tous, n'ayant rien à envier aux grandes écoles ?... A y réfléchir sérieusement l'autonomie des universités représenterait moins un problème qu'un début de solution.
jeudi 15 novembre 2007
Voies et détours de la reconnaissance : Isidore Isou et Amanda Sthers !
jeudi 8 novembre 2007
RETOUR SUR L'ACTION AU CIPM
Symphonie n°4 : Juvenal, 2001 - (page 54 de la partition)
Je recommande la visite de leur site Internet (http://www.cipmarseille.com/) et bien sûr la lecture du numéro 163 des Cahiers du refuge réalisé sous la direction de Frédéric Acquaviva qui fourmille de prolongements susceptibles de faire chavirer bien des certitudes. On se reportera à titre d'exemple à la bibliographie établie à cette occasion et qui à elle seule s'inscrit moins dans l'hommage légitime et attendu que dans le souci de faire oeuvre de connaissance en présentant une documentation rigoureuse. Pour l'occasion, les lettristes Gérard Broutin, Jean-Pierre Gillard et François Poyet étaient présents, le blog du lettrisme donne la teneur de l'évènement :
jeudi 11 octobre 2007
DEGUEULASSE DIT-ELLE...
mardi 2 octobre 2007
NEWS LETTRISME ET CIE !
“De Henri à Chopin, le dernier Pape”
film de Frédéric Acquaviva & Maria Faustino
présentation d’un extrait en présence des auteurs et de Henri Chopin et Jacques Donguy
Act’Oral#6, Montevidéo, 3 impasse Montévidéo 13006 Marseille
+ Edition du Cahiers du Refuge n°162 : “Henri Chopin”, coordonné par Frédéric Acquaviva et Jacques Donguy
26 octobre 2007, 18h30
Exposition “Isidore Isou, introduction à un nouveau poète et un nouveau musicien”,
26 octobre au 19 janvier 2007
Commissariat Frédéric Acquaviva
Vernissage en présence des lettristes Broutin, Jean-Pierre Gillard et François Poyet
CIPM, 2, rue de
+ Edition du Cahiers du Refuge n°163 : “Isidore Isou”, coordonné par Frédéric Acquaviva
27 octobre 2007, de 14h à 17h
Diffusion de l’intégralité des symphonies de Isidore Isou réalisées ou orchestrées par Frédéric Acquaviva avec la voix de Isidore Isou et choeures letristes :
“Symphonie n° 1 :
Avec le concours de l’acousmonium du GMEM
Chapelle de
jeudi 27 septembre 2007
POUR EN FINIR AVEC LA CONSPIRATION DU SILENCE : RETOUR D'EXPOSITION
INSTITUT CULTUREL ROUMAIN DE PARIS : 1 rue de l'exposition 75007 PARIS ; la visite de l'exposition est hautement recommandée autant que la lecture du catalogue !
mardi 11 septembre 2007
ISIDORE ISOU A L'INSTITUT CULTUREL ROUMAIN DE PARIS
A l'initiative de François Poyet se tiendra du 13 septembre au 11 octobre une exposition, consacrée à Isou à l'Institut culturel Roumain (1 rue de l’exposition 75007 Paris), du 13 septembre au 11 octobre 2007. Le vernissage aura lieu le jeudi 13 septembre à partir de 20 heures.
Adresse du site de l’institut culturel roumainhttp://www.icr.ro/filiale/index.php?cod_filiala=10
Les Cahiers saluent cette manifestation et feront un compte rendu de ce petit évènement qui rompt provisoirement le silence des institutions à l'égard du fondateur de l'avant-garde lettriste.
lundi 10 septembre 2007
CE(UX) QUI RESTE(NT)
jeudi 2 août 2007
SALUT A ISIDORE ISOU
dimanche 1 juillet 2007
ISIDORE ISOU CITE PAR PHILIPPE LEMOINE
mercredi 20 juin 2007
LE CADAVRE BOUGE ENCORE ?
vendredi 15 juin 2007
QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE III ? (REISSUE)
jeudi 7 juin 2007
QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE II ? (REISSUE)
Les rapports de domination d'une classe (prolétariat versus bourgeoisie) sur une autre reste, dans cette perspective, l'explication dernière des conflits qui traversent la vie économique et l'organisation sociale. Pourtant ces classes elles-mêmes ne sont pas homogènes : les jeunes en effet sont en effet tenus pour la plupart hors du circuit économique, et se singularisent par la "gratuité", en terme économique, de leurs efforts et de leurs actes. Au service de la famille, comme dans la paysannerie, ils constituent une main-d'oeuvre peu honéreuse, employés comme apprentis ils accomplissent un travail comme n'importe quel salarié mais sont peu rettribués au prétexte qu'ils n'ont pas encore l'expérience et les compétences suffisantes pour prétendre à un vrai statut. Etudiants ou scolarisés, ils représentent une force potentielle de subversion de l'échange institué, libéral ou socialiste, dans la mesure où pour y exister ils doivent incessamment en déplacer les lignes, en transgresser les seuils et les limites. Isou perçoit cette catégorie d'agents négligée par les économies classiques et critiques comme une zone particulièrement instable, qui dépossédée des moyens d'une souverraineté économique, sociale et politique supporte toutes les aliénations et exploitations (la famille, l'école avant d'éprouver l'apprentissage du monde de l'emploi auquel il doit s'ajuster).
Les jeunes sont dans une situation unique : ils ne connaissent de l'échange que les peines et sont privés de toutes les satisfactions qui sont la retribution normale de celles-ci dans le cadre du salariat. Cette frustration orginelle explique le désordre, hors de tout folklore romantique, inhérent à la jeunesse qui cherche à exister par tous les moyens, ceux de la créativité pure (les valeurs qu'elle apporte et qui modifie positivement le ciruit établi en permettant aux nouveaux venus de trouver leur place pour le plus grand bénéfice de la collectivité) ou ceux de la créativité détournée (le nihilisme et ses nombreuses manifestations : révoltes diverses, délinquance...). Pour Isou, les jeunes cherchent ainsi avant tout à entrer dans le circuit économique pour y déployer leur force de travail et d'invention, y gagner une reconnaissance sans pour autant renoncer aux valeurs et aux aspirations qu'ils portent. Il y a là un dépassement de l'opposition traditionnelle entre acceptation servile d'un système, adaptation à son principe de réalité et rejet de celui-ci pour la fuite romantique hors d'un réel décevant. Les jeunes en entrant dans le circuit en modifient les règles et l'équilibre, dans la mesure où ils entrent en concurrence - puisque le libre échangisme est le norme dominante - les uns avec les autres dans la course aux meilleures places, le nombre de celles-ci étant limité. Ils s'opposent aussi aux salariés ou dirigeants déjà en fonction qui n'entendent pas céder les postes qu'ils occupent et obligent les nouveaux venus à emprunter des itinéraires interminables (stages, justification d'ancienneté...) avant de pouvoir atteindre l'emploi souhaité, et dans quel état ! L'impatience et la frustration de la jeunesse définissent ainsi des moteurs forts d'une dynamique de subversion qui en certaines circonstances (crise par exemple) explique les mouvements insurrectionnels que ces jeunes accompagnent ou conduisent afin de liquider un "vieux monde" où ils ont si peu leur place. Plus largement, les salairés qui végètent dans des emplois peu épanouissants, en quête d'une reconnaissance et d'un poste où ils pourraient enfin se réaliser comme agent économique en soi, partagent avec les jeunes cette même insatisfaction. Isou définit comme Externité cette catégorié de mécontents et d'insatisfaits, qui peinent à exister dans une organisation économique donnée, les jeunes de par leur situation présentant le plus haut degré d'externité. Les internes représentent l'ensemble des agents économiques (qu'il s'agisse des investisseurs, des employeurs ou des salariés) qui se touvent pleinement insérés et réalisés dans le cadre du circuit institué, ils en sont les gardiens autant que les garants. Les théories classiques (atomistiques dans la mesure où elles se fondent sur l'individu type capitaliste) et critiques (moléculaires dans la mesure où elles s'appuient sur une classe) négligent la masse d'agents pré-économiques, les jeunes, qui interviennent pourtant massivement dans les bouleversement de l'ordre économique en place autant qu'elles méconnaissent le quantum d'externité qui habite souvent même les mieux intégrés de ces deux systèmes . Toutes les solutions et les réformes proposées par les libéraux et par la gauche dans sa pluralité s'avèrent donc insuffisantes en raison de leur ignorance de cette donnée essentielle de la question économique et des conflits qui lui sont inhérents.
De ce constat, Isou dégage trois grandes orientations pour asseoir sa théorie économique : d'abord, la nécessité d'une réforme de l'enseignement afin de permettre aux jeunes d'entrer sur le marché de l'emploi au plus tôt avec la meilleure formation possible, ensuite la redistribution d'une partie de l'impôt collecté sous la forme d'un crédit de lancement, afin de favoriser l'initiative et la création de nouvelles entreprises, enfin une planification repensée à la lumière des désirs exprimés, des besoins constatés et apports innovants introduits, afin d'ajuster la productions des biens et des services aux attentes complexes, en devenir, de l'ensemble de la société. Il s'agit en fait de dépasser le "tout marché" et sa jungle défendue par les libéraux autant que le "tout-état" promu par le socialisme. Plus profondément, pour en finir avec la lutte de "tous contre tous", Isou popose un socialisme qui place la création, et non plus seulement comme Marx la production, au centre de l'activité économique afin d'installer, à la place de la rareté qui est encore la norme, une société d'abondance et de prodigalité.
QU'EST-CE QUE L'ECONOMIE NUCLEAIRE I (Reissue)
C'est cet échec historique des "prévisions" de la science de Marx qui amène très vite le jeune Isou à prendre ses distances avec ce magister qui, au regard des tenants des théories économiques classiques et du type d'organisation sociale qu'elles supposent et défendent, représente une avant-garde encore pertinente et séduisante, bien plus que les anarchistes dont Marx comme le rappelle Isou avait déjà balayé les propositions (cf. Misère de la philosophie et philosophie de la misère). L'exemple russe ou plutôt "soviétique" à l'époque, l'émergence de mouvements fascistes, lui fournissent matière à réflexion. Ni le marxisme, ni le libéralisme n'ont réussi à dépasser et à résoudre les antagonismes qui traversent et décomposent, crise après crise, la société. Les démocraties bourgeoises se sont vues menacées et réduites par des forces politiques (les fascistes) qui avaient attiré à elles les mécontents, les laissers pour compte, les déclassés, les jeunes sans avenir du "laisser-faire" libéral. A l'est, les répressions et purges incessantes demandées par la bureaucratie stalinienne restaient significatives d'un pouvoir illégitime craignant à tout moment que des "contradictions objectives" non prévues et planifiées dans ce meilleur des mondes possibles ne le chassent par la violence définitivement.
L'économie politique reste pour Isou la discipline où se jouent, se nouent et se dénouent les tensions, les antagonismes que le libéralisme méconnait et que le marxisme analyse comme une lutte de classe. C'est donc sur ce terrain qu'il va reprendre, à partir d'une critique des travaux de Marx et de ses devanciers classiques, l'élaboration d'une nouvelle théorique économique, dite nucléaire, à même de servir de base fondatrice à un projet de transformation politique de la société.
mercredi 9 mai 2007
BILAN DE CAMPAGNE : QUEL AVENIR POUR LE PARTI SOCIALISTE ?
L’immobilisme et le statu quo, au regard des défis qui s’imposent à la France (politique économique, construction européenne, paupérisation des classes moyennes, relégation des catégories populaires, panne de l’ascenseur social, mondialisation dérégulée…) ne sont en effet plus tenables, ni défendables mais force est de constater que le candidat de droite a réussi à convaincre que son programme libéral (sur le terrain économique) et conservateur (ordre et autorité sur le terrain social et sociétal) représentait la « rupture » et le « changement » quand il incarne bien plutôt une révolution conservatrice sur fond de bonapartiste, un peu à l’image de ce qu’ont été les mandatures de Margaret Tatcher ou celle de Ronald Reagan. Au moins a-t-il le mérite de la transparence et de la lisibilité, ce qui change d’un Jacques Chirac, et d’une présidence mandatée pour résorber la « fracture sociale » en 1995 qui n’a eu de cesse, hors la cohabitation avec la gauche plurielle, de mettre en place des gouvernements (Juppé, Raffarin, Villepin) qui n’ont guère réussi à la résorber sinon à fragiliser davantage les catégories les plus en difficulté.
La gauche socialiste, qui revient de loin, n’a pas su convaincre qu’elle représentait plus qu’une alternative une solution aux problèmes économiques et sociaux de la France. Les raisons sont nombreuses et dès à présent des enseignements sont à tirer :
- d’abord l’effondrement des votes extrêmes : la stratégie de transgression d’un Sarkozy qui en décomplexant les thèmes du front national (sur la sécurité, l’immigration) a récupéré une partie de son électorat ; les électeurs frontistes ne s’y sont pas trompé qui ont voté massivement au second tour pour le candidat UMP ne suivant pas en cela les consignes de boycott et d’abstention de Jean Marie Lepen. Pour la première fois, le front national est arrêté dans son irrésistible ascension. Ceux qui donnaient leur voix au FN, moins par xénophobie que par ressentiment, pour protester contre le « système » ont pu par ailleurs être séduit par la surenchère offensive d’un Bayrou au premier tour partant en guerre contre les médias et la bipolarisation gauche/droite qui interdit toute alternative. Quant à la gauche de la gauche, elle a cessé d’illusionner : en adoptant une posture « anti » systématique ( contre la constitution européenne, contre Sarkozy, contre le « libéralisme »), en offrant le spectacle pitoyable des querelles intestines, des rivalités de personne, en témoignant de son infantilisme (au sens où Lénine parlait du gauchisme comme de la maladie infantile du communisme), de son peu de culture démocratique (voir le déroulement calamiteux des élections pour une candidature unique) et d’une absence totale de renouvellement intellectuel (les mêmes slogans usés jusqu’à la nausée), elle a fini par convaincre qu’elle représentait le vote inutile par excellence à gauche. Alors que ses militants ont été de toutes les batailles sociales (contre le Cpe, le référendum sur la Constitution européenne, la réforme Fillon sur les retraites, les émeutes du mois de novembre 2005), malgré une participation historique à ces élections, ils n’ont à aucun moment été en mesure de capitaliser et de canaliser le mécontentement social ; plus encore les résultats obtenus sont même notablement en baisse par rapport à ceux de 2002 (les Verts passent de 5% à moins de 2% pour Dominique Voynet, même chose pour Arlette Laguillier et LO, Marie George buffet fait 1,9 % là où Robert Hue faisait 3,84%, la LCR se maintient autour de 4% mais où sont donc passés les habitants des banlieues, les jeunes pour lesquels elle affirme se battre ?). Bref, au lieu comme le voulait Marx de « marcher au pas de réalité », la gauche de la gauche tient une posture purement idéologique qui a fini par le lasser : en guise du « grand mouvement populaire antilibéral » qu’était supposé incarné le Non au referendum sur la constitution européenne nous assistons à un véritable plébiscite, y compris dans certaines catégories populaires, pour une révolution conservatrice ! On ne pouvait pas faire plus grand contresens ! Si le diagnostic est erroné, que penser alors des solutions préconisées… et quelle erreur du Parti Socialiste (Melanchon, Fabius, Strauss Khan, et même Hollande) d’avoir couru après cette chimère quitte à en oublier leurs responsabilités et les aspirations réelles, concrètes des classes moyennes et populaires. Il valait sans doute mieux lire les textes publiés par la République des Idées (et Ségolène Royal ne s’y est pas trompé) que les publications toujours très inspirées de la nébuleuse altermondialiste (dont je ne néglige pas pour autant l’intérêt et l’apport pour certaines d’entre elles… mais elles apparaissent en si mauvaise compagnie…).
- Du côté socialiste, et avant d’avancer plus avant dans l’analyse, je dois ici saluer la campagne, malgré ses défauts, ses errements et ses tâtonnement nombreux, de Ségolène royal, et affirmer, n’en déplaise aux assis du Parti Socialiste que le renouveau idéologique qui doit y être mené ne peut se faire qu’autour d’une candidate, mandatée par les adhérents, qui a suscité une dynamique inattendue et a renoué avec les classes moyennes et populaires, malgré la défaite. Au premier tour à Saint-Denis, bastion rouge s’il en est, elle a fait un score de 49% qui va bien au delà des explications par « le vote utile » ou le « rejet de Nicolas Sarkozy ». Au contraire du candidat UMP qui se préparait à ce destin présidentielle depuis bien longtemps (avec tous les réseaux, relais et alliances que cela suppose ) Ségolène Royal a émergé dans le cadre d’un PS en crise profonde (échec de 2002, rejet du traité constitutionnel européen pour lequel il appelait à voter), avec l’arrivée massive de nouveaux adhérents qui ont contribué à modifier les équilibres au sein du parti et à changer sa sociologie. Elle a ensuite affirmé un style, une ligne qui ont permis, quoi qu’on en dise, d’apporter des éléments neufs à la vie politique (démocratie participative, soucis de la proximité contre la distance théorique et l’approche technocratique). Ce qui a fait la force de Sarkozy, en situation comme Ségolène Royal d’externe, c’est sans doute que le nouveau président a fait tomber une à une, avec talent, tactique et aussi brutalité, les forteresses qui se mettaient entre lui et son rêve présidentiel : mis à l’écart après sa fronde balladurienne, il a réussi à être adoubé à la fois par les militants qui ont adhéré à sa droititude fièrement revendiquée ainsi qu’à son volontarisme, et par les cadres de l’UMP puisqu’il a réussi à devenir le chef d’un parti crée et construit autour de Jacques Chirac et à retourner à son avantage toutes les manœuvres et les coups de ses adversaires (Villepin et les chiraquiens); Ségolène Royal a elle bénéficié du soutien des adhérents socialistes mais jamais elle n’a fondamentalement obtenu l’adhésion majoritaire des cadres qui ostensiblement ont manifesté leur résistance au Royalisme offrant aux électeurs l’image d’un parti divisé, tiraillé entre des tendances contradictoires. N’ayant pas su retourner l’appareil, ne pouvant y installer les hommes et les femmes neufs qui gravitent dans son sillage, elle n’a pu bénéficier de l’appui de son propre Parti, là où Nicolas Sarkozy a obtenu une discipline sans faille de tous (et même de ses plus grands adversaires comme Villepin) indispensable pour conquérir le pouvoir alors qu’il y a encore un an il était l’épouvantail honni de son propre parti. La gauche en 1981 a gagné parce qu’elle était unie, la division entre adhérents et appareil, entre sensibilités divergentes (sans parler de l’impossible union de la gauche de la gauche) a joué contre la candidate.
- C’est dans ce flottement que Bayrou est parvenu à exister, en se présentant (alors que l’UDF s’est historiquement construite à droite), comme transcendant le clivage droite/gauche au nom d’une troisième voie improbable. La création de l’UMP en 2002 a vampirisé une partie de ses forces, et l’a marginalisé, c’est donc dans en partie grâce à l’absence de renouvellement théorique au PS qu’il su construire sa figure d’opposant (refus de signer le budget, interventions polémiques à l’Assemblée, conflit ouvert avec l’UMP, dénonciation des connivences entre pouvoir médiatique et politique avec des accents quasi « gauchistes » !). En courant après la gauche de la gauche dans l’illusion de reprendre dans un cadre institutionnel un mouvement de radicalité qui n’existait pas, le PS a laissé vacante la place du réformisme de gauche à d’autres, tandis que sa candidate légitime apparaissait comme en décalage par rapport à la culture et aux orientations de celui-ci. Les 18,5 % obtenu par le candidat UDF ne doivent pourtant pas illusionner : ils traduisaient un désarroi d’électeurs de l’UMP et du PS devant la nouveauté des deux candidats dans leur style autant que dans leurs propositions. Au delà de cette bulle spéculative (que restera-t-il de ce mouvement en septembre ?), de la cuisine électorale (le ralliement de la plupart des députés UDF à Nicolas Sarkozy élu président n’est pas une surprise), il existe bien une électorat, certes modeste, mais qui peut peser et qui ne se reconnaît ni dans l’orientation libérale de l’UMP, ni dans l’étatisme longtemps défendu par le PS. Cela suffira-t-il à François Baryou qui visiblement souhaitait un éclatement du PS, disqualifié dès le premier tour, afin d’en reprendre l’aile social-démocrate pour son propre compte ? Car la modernisation social-démocrate du PS ne lui laisserait plus guère d’espace pour continuer à exister politiquement et le centriste devrait choisir son camp, ce que sa culture oecuménique du Ni…ni (Ni droite, ni gauche) se refuse à faire : ou la réforme libérale, ou la réforme social-démocrate.
- Enfin, les socialistes ont abordé la campagne sans ligne véritable, en manœuvrant à vue (avec des succès mais aussi des flottements) sans avoir au préalable procédé à l’urgence d’un renouveau doctrinal et théorique ; les primaires qui constituaient une nouveauté salutaire dans l’organisation de la démocratie politique, aux antipodes du dirigisme pyramidal et hiérarchisé de l’UMP, avait bien montré la pluralité des options qui cohabitent au sein du PS, seul parti de la démocratie française à rassembler des courants de sensibilité distincte : une aile mitterandienne (version programme commun de 1974) incarnée par Fabius avec un socialisme fortement étatique, interventionniste, une aile social-démocrate représentée par Strauss-kahn qui incarne sans doute le seul avenir possible et souhaitable au Parti socialiste afin de faire barrage à un nouvel adversaire politique libéral et conservateur, et enfin la démocratie participative défendue par Ségolène Royal soucieuse de décentralisation (davantage de décisions et de pouvoirs aux régions) et d’un pragmatisme qui la rapproche des travaillistes anglo-saxons. C’est sans doute sur le terrain économique que Ségolène Royal a perdu des points ; alors qu’elle portait de réelles innovations sur le plan politique, social et sociétal, elle a développé au cours de la campagne un programme classiquement socialiste afin de rassembler à gauche ; de son côté Nicolas Sarkozy en rompant (au moins dans le discours) avec la tradition gaulliste d’un état fort et interventionniste a pu ainsi apparaître à la grande satisfaction de Jacques Marseilles, Michel Godet et Nicolas Bavaerez (sans parler de ses soutiens patronaux Bouygues, Bebéar, Lagardère) comme le candidat qui allait introduire le loup du libéralisme dans la bergerie de l’exception française. Face à ce discours libéral, la gauche n’a pas encore renouvelé son logiciel, sa grille de lecture, sa méthode, ses concepts… malgré le travail remarquable de nombre d’économistes qui lui sont acquis et que nous nous n’avons hélas que trop peu entendu durant cette campagne. Pour faire bref et reprendre les propos de Jacques Généreux, on ne conteste pas un axiome économique (libéral en l’occurrence) en expliquant uniquement qu’il est injuste et méchant, on commence par expliquer qu’il est faux avant d’argumenter sur la nécessaire justice sociale qui constitue le cœur et la force d’une société apaisée. La ligne de partage entre droite et gauche n’a ainsi toujours pas bougé et se décline sous la forme de la fausse opposition entre justice sociale et efficacité économique, au détriment de la gauche. A Monsieur Sarkozy, la réduction des déficits publics, l’austérité nécessaire, la baisse des prélèvements et charges, la mise à plat du droit du travail, le marché rendu à lui-même, l’augmentation du temps de travail, la chasse aux « assistés »… ; à Ségolène Royal, l’intervention de l’état, la multiplication de nouveaux services publics pour accompagner (et non assister ) les personnes, les emplois aidés, l’allocation d’insertion pour les jeunes, l’aile protectrice de l’état, le rôle des régions dans les aides accordées aux entreprises… Devant une absence de renouvellement de propositions des socialistes sur cette question, qui tout en n’ayant jamais été frontalement abordée, n’en a pas moins pesé dans la promotion de l’image d’un Nicolas Sarkozy « compétent pour le job », ce dernier a pu faire passer une vulgate libérale pour la solution durable aux problèmes économiques de la France. Dans la version précédente du blog des Cahiers, j’avais déjà souligné l’importance d’une refondation de la pensée économique à gauche, portée par un marxisme critique d’une brûlante actualité mais dont les propositions sont en grande partie obsolètes. Laurent Baumel dans son remarquable essai Fragments d’un discours réformiste dresse un état des lieux précis des nouveaux chantiers théoriques auxquels la gauche dite de gouvernement doit désormais s’attacher ; faire son deuil de l’illusion révolutionnaire, et d’une « surmoi marxiste » encombrant et inutile, s’inscrire dans un réformisme « radical » social-démocrate qui réconcilie efficacité économique et justice sociale et vise cherche à obtenir en économie les meilleurs résultats afin de garantir la meilleure justice sociale et une plus grande redistribution, privilégier la négociation entre partenaires sociaux et la recherche d’un consensus consenti plutôt que de recourir systématiquement à la loi, donner des garanties aux individus et non garantir des emplois qui demain sans doute seront dépassés, bref passer d’une gauche de redistribution et de partage à une gauche de production et de création de la richesse collective, l’une n’excluant pas l’autre, bien au contraire . On le voit cette perspective ne s’inscrit absolument pas dans la tradition d’un discours antiéconomique (ou économico-sceptique), qui marque encore profondément l’électorat de gauche en France. Les économistes à gauche sont pourtant nombreux : Jacques Généreux, Thomas Picketty (proche de Ségolène Royal), Daniel Cohen (proche de Strauss Kahn)…Il leur revient de gagner la bataille que Nicolas Sarkozy a provisoirement emportée, celle des idées en apportant leurs contributions dans le cadre des débats qui détermineront, après les législatives, l’avenir du Parti Socialiste, ses nouvelles orientations, voire sa réforme tant attendue. Sur ce dernier point, je ne peux que rappeler l’apport essentiel que représente, quoique toujours aussi méconnue, l’économie nucléaire développée par Isidore Isou. Le déroulement de ces élections en a confirmé bien des points : à droite comme à gauche, ce sont les outsiders qui ont bousculé les équilibres installés ; on a vu l’outsider Sarkozy retourner la chiraquie et jouer hélas comme cela était prévisible les internes (la France qui possède du capital mais aussi les catégories les plus modestes du salariat inquiétées par un avenir de plus en plus incertain) contre les externes (les immigrés, les jeunes, ceux qui dans les banlieues ne trouvent pas où salarier leur force de travail, les « assistés », les sans-emploi). Gagner la bataille des idées c’est démontrer que le modèle économique promu par Nicolas Sarkozy dans le contexte d’une économie qui se financiarise de plus en plus ne permet plus cette « destruction créatrice » théorisée par Schumpeter (disparition de secteurs économiques et des emplois qui y sont liés, apparition grâce à l’innovation et aux investissements de nouveaux débouchés créateurs d ‘emplois) mais risque bien de grossir davantage encore ces contingents d’exclus que sa majorité ne veut plus désormais considérer que sous l’angle criminel (et jamais comme une chance, un capital porteur d’avenir, une force d’innovation, un apport) tandis que les richesses dégagées loin de préparer l’avenir de tous (investissement, recherche et développement, création d’emplois) ne profitent désormais qu’à des quasi-rentiers. Eric Le Boucher, que l’on ne soupçonnera pas de gauchisme infantile, schématise les deux projets de société porté par chacun des deux candidats sous la forme d’un losange pour Ségolène Royal (remise en route de l’ascenseur social, permettre le déclassement par le haut, arriver à une société où les classes moyennes dominent) et d’un sablier pour Nicolas Sarkozy (extension d’une classe à haut revenu, les gagnants de la mondialisation, disparition des classes moyennes qui se prolétarisent, retour de catégories très proches de l’ancien prolétariat, retour d’une politique sociale de type paternaliste et compassionnelle autant que policière à leur égard). Ségolène Royal a maintenu seule l’exigence d’une solidarité intergénérationnelle, les perspectives d’un contrat social à réinventer, là où Nicolas Sarkozy martèle ses principes d’ordre et de restauration de l’autorité tout en vantant les mérites du marché enfin délivré de toute obligation vis-à-vis de la société et livré de fait à sa jungle anarchique. Au premier tour 40% des plus de 60 ans ont voté pour lui, est-ce le candidat d’un pays tourné vers l’avenir ou plutôt d’un pays qui vieillit et où ceux qui ont effectivement quelque chose à perdre sont dans une posture de défiance face aux générations qui arrivent dans des conditions de socialisation (à l’école qui est en crise aussi bien dans le secondaire que dans l’enseignement supérieur, au travail) fortement dégradées ? Quant aux plus précaires qui ont voté pour lui, n’est-ce pas le signe que cette carence théorique à gauche a fini par désespérer Billancourt et à convaincre même les plus réticents que les réformes nécessaires ne pouvaient se faire qu’avec la droite et du seul point de vue de la droite ?
On le voit les enjeux sont d’une importance considérable et nécessite au Ps ce que Nicolas Sarkozy a visiblement réussi à l’UMP ; dans un court entretien accordé au Parisien le mercredi 8 mai le député socialiste Benoît Hamon, commentant la défaite, explique : « là où je me suis senti hier soir en décalage avec mes camarades, c’est quand j’ai vue que la droite présentait le visage du renouveau avec Rama Yade, Rachida Dati ou Laurent Wauquiez, alors que nous avions les mêmes pour expliquer la défaite de 2007 que ceux qui expliquaient la défaite de 2002 et celle de 1995 !On a aujourd’hui l’éléctorat le plus divers, le plus jeune, le plus curieux et pourtant c’est la droite qui donne l’exemple de la diversité, et nous, on donne le sentiment d’être restés scotchés aux années Mitterand… ». Le renouvellement théorique implique un renouvellement du cadre, du staff, des équipes… On ne peut prétendre vouloir remettre l’ascenseur social en route pour tous et en même temps avoir un Parti Socialiste totalement sous le contrôle de ses caciques inamovibles. Dans le sillage de Ségolène Royal, des hommes et des femmes ont adhéré, une nouvelle génération s’affirme qui attend qu’on lui laisse un peu d’espace pour exister et apporter ses talents et son énergie car c’est par eux que le renouvellement théorique sera porté. Les urgences sont donc doubles comme le formule magistralement Jean-Marie Colombani dans son éditorial au Monde du 04 mai : « il faut donc d’urgence, pour la clarté et la dynamique du débat démocratique, renouveler la pensée de gauche. La mondialisation reste vécue comme une menace et diabolisée comme la cause de tous nos maux ; seule la face négative de cette révolution planétaire est prise en compte et dénoncée. La gauche réformiste doit repenser de façon moderne le changement social. Elle doit sortir de l’impasse idéologique dans laquelle elle s’est enfermée. C’est pour elle la seule manière de retrouver sa vocation historique : incarner le mouvement, le changement et l’espérance, l’optimisme sur l’avenir. Ségolène royal a esquissé un « désir » de changement, tracé une perspective. Sa défaite, surtout si elle était lourde, plongerait inévitablement le PS dans les règlements de comptes, le retour en force de tous les archaïsmes et de toutes les utopies négatives. Sa victoire lui donnerait l’autorité pour engager ce travail de réinvention indispensable. C’est un pari. Pour le pays, il mérite d’être tenté ». Depuis, les urnes ont parlé, Nicolas Sarkozy a été élu par une majorité significative Président de la République, les querelles d’appareil et de personnes sont présentes, et alors ? Lionel Jospin a été battu en 1995, en 2002 il n’a pas passé le premier tour et a plié bagage laissant les socialistes dans le plus grand désarroi ; Ségolène royal se présentait pour la première fois, au soir de la défaite, elle reprenait la main pour annoncer que le combat continuait, afin de mener à bien la refondation du Parti Socialiste, au delà de ses frontières habituelles, et de soumettre aux français pour les prochains scrutins un projet de transformation de la société par la gauche. Quel chemin parcouru depuis ses débuts hésitants lors des primaires socialistes ! Quoi qu’en pense Dominique Strauss Khan, elle représente sans aucun doute l’élément clef, par le mouvement qu’elle suscite et par l’indépendance qu’elle garde au regard des dogmes inchangés depuis 20 ans du socialisme à la française, de sa modernisation, et des réponses à apporter aux questions nouvelles auxquelles celle-ci doit répondre, très vite, notamment dans ses rapports à un centre démocrate souhaité par François Bayrou et à ses partenaires traditionnels (Pc, verts, radicaux, extrême gauche). « Laissons les morts enterrer les morts et les plaindre, notre sort sera d’être les premiers à entrer vivant dans la vie nouvelle » (Karl Marx)