Le samedi 31 octobre à l'appel d'un collectif d'associations s'est déroulée à Paris une Marche pour la dignité, rassemblant quelques 10000 participants. Nombre de commentateurs ont immédiatement noté que les grandes manifestations pour l'égalité et contre le racisme avaient autrefois mobilisé bien plus de monde (en 1983 notamment), mais la réussite de l'évènement tenait moins au nombre de personnes mobilisées - qui est déjà hautement significatif - qu'à l'espace que des collectifs et associations comme LEs Indigènes de la République ont enfin réussi à conquérir dans un jeu politique qui les tenait jusque là à distance. Venant 10 ans après les fameuses émeutes de 2005, dénonçant l'impunité des "violences policières", les discriminations quotidiennes qui minent la confiance de populations défavorisées pour un modèle républicain dont elles peinent à voir les vertus, La marche proposait bien plus qu'un catalogue des lieux communs de la sociologie post-Bourdieu, elle révélait aux yeux de ceux qui feignent encore de croire qu'il ne se passe rien dans les "quartiers" la qualité et la substance d'une réflexion et de revendications patiemment élaborées depuis une dizaine d'années dans les marges des paroles institutionnelles et des partis de tutelle. Certains ont ainsi souligné l'absence prévisible des quasi-appareils idéologiques de la puissance publique que sont Sos Racisme, la Licra, le MRAP ou encore la LDH, la participation de certains socialistes n'a pas été sans susciter bien des réserves et que dire du féminisme officiel qui n'a pas jugé nécessaire de marcher aux côtés d'Angela Davis ou Aminata Traoré. Une époque s'achève décidément, la tartufferie antiraciste et son maquillage de comédie n'illusionnent plus ; la "banlieue" ou les "quartiers sensibles" ont longtemps représenté un supplément d'âme, un alibi et une rente confortable pour la gauche institutionnelle qui à travers ses associations subventionnées, ses politiques municipales, tenaient littéralement et symboliquement des populations et leur imposaient son imaginaire, ses combats, son langage, son agenda et ses mobilisations. A l'heure où un Valls reconnaît que rien n'a été fait pour les banlieues, et propose à titre de dédommagement un gadget supplémentaire (des diplômes de Hip hop), où l'actuel président est reçu sous les sifflets et les huées largement mérités, force est de constater qu'en dix ans bien des choses ont changé ; les émeutiers de 2005 ont vieilli, ils ont lu, étudié, ont cherché hors de la doxa socialiste et républicaine les causes de leur "malheur", leur amateurisme conceptuel sort de la morgue académique des auteurs et des idées que l'on se prend à regarder à nouveau d'un œil étonné, ils redécouvrent des voix qui ne figurent pas au panthéon républicain, croisent Marx et le Coran, se réapproprient un Franz Fanon libéré de la mythologie sartrienne... Assurément ils veulent donner à la condition "d'indigène" son langage, une intelligence fondée sur une situation objective et non sur les désidérata de leurs encombrants "défenseurs", mais aussi des revendications programmatiques dans l'hypothèse d'un grand soir électoral. Plus que le spectre du Fn systématiquement instrumentalisé comme un contre-feux utile, Les Indigènes de la République ont bien compris que les premières chaînes à briser, pour sortir de l'antiracisme institutionnel et de sa fonction stupéfiante (au sens de "nouvel opium"), sont celles d'une tutelle imposée qui les a trop longtemps dépossédés d'une liberté de penser et d'agir au profit d'une caste monocolore qui revendique encore mais sans convaincre véritablement le quasi monopole de la lutte contre le racisme, l'exclusion, les discriminations. Ils se méfient avec raison du paternalisme et de la condescendance de leurs "amis"' d'hier, qui n'est sans doute que le visage plus avenant, moins brutal, d'une lutte qui n'a jamais cessé de les opposer et qui apparaît aujourd'hui au grand jour. A mesure que ces nouveaux acteurs gagnent en autonomie, déjouent les pièges de la récupération toujours faite au profit de la cuisine électorale du Ps ou de ses alliés, les plumes se font plus hostiles, les commentaires plus rageurs et l'hostilité rampante se fait plus manifeste augurant des coups qu'ils devront éviter quand viendra la participation attendue à des enjeux électoraux plus conséquents
(A quand des listes Indigènes de la république à des élections municipales par exemple ?). Ici et là on pointe le "communautarisme" de ces outsiders qui n'ambitionnent pas de carrière dans la servitude socialiste ou encore la promotion d'un islam politique incompatible avec les "lumières" de la gauche divine et du républicanisme libérateur (sic). De leur côté les dissidents du Meilleur des mondes pointent l'endogamie de leurs contradicteurs, leur incapacité à mener une insolence critique à l'égard de l'appareil d'état et de ses institutions (alors qu'on ne cesse d'en appeler à Voltaire !), le paternalisme post-colonial dominant à gauche, la guerre larvée menée contre les "quartiers" à travers la névrose nationale obsessionnelle qu'est devenu l'islam en France, la dérive droitière sous couvert d'un revival républicain et laïcard dans un langage venu tout droit du XIXème siècle... Bref Lénine autrefois s'était fendu d'un texte de combat rassemblant plusieurs conférences répondant aux critiques de la gauche non marxiste Que sont les amis du peuple..., la manifestation de ce samedi outre qu'elle refuse une reconnaissance par le détour d'une bureaucratie d'Etat se pose comme le premier pas critique d'une politique d'émancipation qui entend être faite par et pour les premiers intéressés (d'où la présence massive de manifestants issus des "quartiers" pour le première fois depuis très longtemps ), elle oblige à clarifier les positions respectives, amies et ou non, et à mettre bas les masques du Grand sommeil de l'antiracisme institutionnel en soulignant combien les insiders qui capitalisent sur la misère et la colère des outsiders de la banlieue, pour pérenniser places, rentes et statuts, ne tolèrent ces derniers que "domestiqués", dociles et obéissants, et combien demain ils seront les premiers à les dénoncer et à les combattre comme des adversaires de la République (des anathèmes déjà lancés surtout depuis les attentats du 11 janvier, "islamo-gauchistes" revient souvent sans doute parce qu'il permet de suggérer sans rien avoir à prouver un lien de causalité autant paronymique que sémantique avec une autre occurrence "islamo-fasciste" plus fâcheuse) ou plutôt de l'ordre républicain et de ses bénéficiaires.
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