Giulio Baldo —
Le 2 novembre 2012, tu as convié quelques collectionneurs dans ton atelier pour
leur présenter un ensemble inédit intitulé « Le Voir-Dit de l’externe et
de l’interne réconciliés ». Quel sens convient-il de donner à ce
titre ?
Roland Sabatier. — Il renseigne sur la structure formelle
de cette réalisation ainsi que sur le sujet qu’elle supporte. Il s’agit de la
rencontre et de l’entente difficile de deux jeunes dans le contexte culturel,
politique et social actuel qui met tout en œuvre pour les séparer. Si l’un
d’eux, une jeune femme, se satisfait de son rang à l’intérieur du circuit
économique, l’autre, un jeune homme, méprise la place qui est la sienne dans ce
même circuit et lutte afin d’améliorer son sort en multipliant des actions singulières
liées autant à la « créativité détournée » qu’à la « créativité
pure ». L’action à pour référence le Traité
d’Économie nucléaire et Le Soulèvement
de la Jeunesse, publié par Isidore Isou en 1949 - dont les termes « externe »
et « interne » sont extraits – et se déroule sur fond de luttes et de
revendications en rapport avec « le programme du « protégisme
juventiste » touchant aux transformations de l’école, du système bancaire,
de la planification et du statut des représentants aux postes de responsabilité
de l’État.
C’est sur la mise en œuvre de l’ensemble de ces différents plans
que les deux protagonistes parviendront finalement à s’ajuster et à s’harmoniser.
G.B.— Le propos est
d’envergure et, comme tel, il semble tenir de l’épopéïque. Qu’en est-il du
« Voir-Dit » qui, sans ambiguïté, semble nous renvoyer à la
poésie du Moyen-Âge ?
RS. — En effet, c’est bien une forme poétique de cette
époque et Guillaume de Machaut en est le représentant le plus important. Avec
son Voir-Dit de 1364, il s’agissait
de textes à deux voix mêlant le récit en vers, des pièces lyriques et musicales
et des lettres en prose souvent organisées autour de thèmes autobiographiques
et courtois à partir d’un certain nombre de formes fixes de la poésie comme la
ballade, le rondeau, le virelai ou la complainte, dont il était lui-même
l’initiateur. À l’image d’une telle réalisation j’ai été tenté de concilier au
sein d’une même œuvre des arrangements qui tiendraient compte, à parts plus ou
moins égales, des possibilités d’expression des éléments modernes dévoilés par
le lettrisme autant dans les arts visuels que dans les arts sonores.
Déjà, en 1967, j’avais
réalisé Le Voir-Dit de la double obscurité,
une partition au sein de laquelle s’interpénètrent constamment des composants aphonistiques
et lettriques – et accessoirement infinitésimales - qui, habituellement,
s’inscrivent dans des champs séparés. Longtemps, je suis demeuré obsédé par les
développements auxquels une telle réalisation pouvait parvenir, notamment par
l’insertion en son corps, non seulement des formes ampliques et ciselantes de
la poésie et de la musique lettristes, mais, également, de tout ce que la
richesse des structures hypergraphiques, infinitésimales, excoordistes et
supertemporelles pouvait lui offrir de neuf à travers la variété et la densité
des différents arts visuels.
La masse de notes et de
documents patiemment accumulés depuis cette époque m’a décidé à entreprendre
concrètement Le Voir-Dit de l’interne et
de l’externe réconciliés au début de l’année 2005 et je ne l’ai
finalement achevé qu’en 2011.
G.B. — La densité du travail est perceptible et le résultat impressionnant,
riche d’une infinité de complexités et de nuances. Sans doute par manque de
place, la présentation récente exposait les différentes planches rangées dans
un porte-folio. Comment devra-t-il se présenter à l’avenir?
RS. — Il est
constitué de cinquante parties, chacune au format 65 x 57 cm, et de
vingt-cinq appendices (50 x 57 cm), répartis à raison de dix planches et
de cinq appendices regroupés dans une présentation murale sous la forme de cinq
Livres distincts de 1,80 sur 2,85 m
de large. L’ensemble atteint les quinze mètres de long. Cette possibilité
n’exclut pas que l’on puisse le considérer également comme un
« spectacle » susceptible d’être interprété sur une scène.
G.B. — Quelle forme ce spectacle prendra-t-il ?
RS. — Il y aura à voir
et à entendre. Je veux dire que, en relation étroite avec la partition, il sera
formé par des successions de séquences visuelles – projections de proses
hypergraphiques et excoordistes versifiées, de bouts de films, de photographies,
d’ombres chinoises, de particules électrographiques, de segments aphonistiques
et infinitésimaux, de schémas, etc. – et de séquences sonores constituées par
des émissions prosodiques et des interprétations de poèmes et de musiques
lettristes.
Légende de l'illustration :Le Voir-Dit de l’externe et de l’interne réconciliés, 2005-2011. (Extraits du Livre 1)
Légende de l'illustration :Le Voir-Dit de l’externe et de l’interne réconciliés, 2005-2011. (Extraits du Livre 1)
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