samedi 13 août 2011

FRIEDRICH ENGELS A PROPOS DU PROLETARIAT ANGLAIS

Ces centaines de milliers de personnes, de tout état et de toutes classes, qui se pressent et se bousculent, ne sont-elles pas toutes des hommes possédant les mêmes qualités et capacités et le même intérêt dans la quête du bonheur ? Et ne doivent-elles pas finalement quêter ce bonheur par les mêmes moyens et procédés ? Et, pourtant, ces gens se croisent en courant, comme s'ils n'avaient rien de commun, rien à faire ensemble, et pourtant la seule convention entre eux, est l'accord tacite selon lequel chacun tient sur le trottoir sa droite, afin que les deux courants de la foule qui se croisent ne se fassent pas mutuellement obstacle ; et pourtant, il ne vient à l'esprit de personne d'accorder à autrui, ne fût-ce qu'un regard. Cette Indifférence brutale, cet isolement insensible de chaque individu au sein de ses intérêts particuliers, sont d'autant plus répugnants et blessants que le nombre de ces individus confinés dans cet espace réduit est plus grand. Et même si nous savons que cet isolement de l'individu, cet égoïsme borné sont partout le principe fondamental de la société actuelle, ils ne se manifestent nulle part avec une impudence, une assurance si totales qu'ici, précisément, dans la cohue de la grande ville. La désagrégation de l'humanité en monades, dont chacune a un principe de vie particulier, et une fin particulière, cette atomisation du monde est poussée ici à l'extrême. Il en résulte aussi que la guerre sociale, la guerre de tous contre tous, est ici ouvertement déclarée. Comme l'ami Stirner 1, les gens ne se considèrent réciproquement que comme des sujets utilisables ; chacun exploite autrui, et le résultat c'est que le fort foule aux pieds le faible et que le petit nombre de forts, c'est-à-dire les capitalistes s'approprient tout, alors qu'il ne reste au grand nombre des faibles, aux pauvres, que leur vie et encore tout juste.
Et ce qui est vrai de Londres, l'est aussi de Manchester, Birmingham et Leeds, c'est vrai de toutes les grandes villes. Partout indifférence barbare, dureté égoïste d'un côté et misère indicible de l'autre, partout la guerre sociale, la maison de chacun en état de siège, partout pillage réciproque sous le couvert de la loi, et le tout avec un cynisme, une franchise tels que L'on est effrayé des conséquences de notre état social, telles qu'elles apparaissent ici dans leur nudité et qu'on ne s'étonne plus de rien, sinon que tout ce monde fou ne se soit pas encore disloqué.
In La situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845)

Aucun commentaire: