dimanche 20 février 2011

UN COLLOQUE SUR LA JEUNESSE SANS LES JEUNES !

Je suis tombé par hasard sur ce compte rendu publié par Alger Presse du symposium qui s'est tenu l'année dernière à Tunis et qui avait pour thème La jeunesse et les défis d'aujourd'hui ; à la lumière des mouvements de libération menés actuellement par les jeunesses des pays arabes (Tunisie, Egypte, Lybie, Yémen et demain peut-être Iran et Algérie), en conflit ouvert avec les vieilles théocraties et les despotes locaux qui les privent de tout avenir, la teneur des discours tenus alors ne manquent pas de laisser rêveur :

"Les travaux du 22e symposium sur le thème "la jeunesse et les défis d'aujourd'hui" ont débuté, mardi à Tunis, avec la participation de représentants de 60 partis issus de pays arabes, africains et européens. La délégation algérienne comprend Aboudjerra Soltani, président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Abdelhamid Si Afif, membre du bureau politique du parti du Front de libération nationale (FLN) chargé des relations extérieures et de la communauté algérienne à l'étranger ainsi qu'Abdessalem Bouchouareb, membre du bureau national du Rassemblement national démocratique (RND). Les participants à ce symposium de deux jours, organisé par le Rassemblement constitutionnel démocratique RCD) tunisien, débattront de trois principaux thèmes: "la jeunesse et le changement de repères", "la jeunesse et la révolution numérique" et "la jeunesse et la participation politique".

A cette occasion, le président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, a souligné que les pays, les communautés et les organisations internationales doivent prendre conscience de la place de la jeunesse, prendre leurs préoccupations en considération et appuyer les efforts dans ce sens. Dans le discours d'ouverture lu par son Premier ministre, Mohamed Ghannouchi, le président tunisien a mis l'accent sur le rôle des établissements éducatifs et des espaces culturels et médiatiques dans l'ancrage des valeurs de sacrifice, de bénévolat et de solidarité chez les jeunes. Dans ce sens, le chef de l'Etat tunisien a souligné que "donner la confiance aux générations futures, les préparer à assumer la responsabilité, les prévenir des dangers de l'exclusion et de la marginalisation est une responsabilité qui incombe à tous, particulièrement les partis politiques.
Nécessité d'ouvrir le dialogue avec les jeunes
TUNIS - Le président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Aboudjerra Soltani, a souligné, mardi à Tunis, la nécessité d'ouvrir les voies du dialogue avec les jeunes et de prêter une oreille attentive à leurs préoccupations et leurs aspirations. Intervenant lors des travaux du 22e symposium sur le thème "la jeunesse et les défis d'aujourd'hui", organisé par le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) tunisien, M. Soltani a indiqué que le dialogue est le seul moyen de motiver les jeunes qui se désintéressent de leurs pays, leur religion, leur histoire et leurs valeurs culturelles et civilisationnelles". Il a, en outre, souligné la nécessité de responsabiliser les jeunes afin qu'ils puissent avoir confiance en leurs capacités et leurs compétences. Il a ajouté que la jeunesse arabe et musulmane en particulier et la jeunesse du monde en général est confrontée à un paradoxe entre la vie quotidienne et la vie idéale telle qu'elle est représentée par les médias.
La mondialisation a un très fort impact sur les jeunes, les incitant parfois à se "révolter contre toute chose" et à contester leurs conditions de vie, a indiqué le président du MSP. Il a également estimé que le dialogue constructif et fructueux avec les jeunes est la solution au désarroi chez cette catégorie et doit, a-t-il dit, se faire sans exclusion ou marginalisation.
De son coté, Abdessalem Bouchouareb, membre du bureau politique du Rassemblement national démocratique (RND) a insisté sur l'importance du thème "la jeunesse et la révolution numérique", inscrit à l'ordre du jour de la rencontre, mettant en exergue "la place prépondérante" qu'accorde l'Union Africaine au secteur des Technologies de l'information et de la communication (TIC). Il a, dans ce sens, indiqué que le symposium de Tunis coïncide avec la tenue d'un congrès international sur le développement stratégique des TIC sous le thème "pour une Afrique numérique". L'Algérie, qui compte 70 % de jeunes âgés de moins de 30 ans, considère l'économie de la connaissance comme étant un axe principal du développement notamment les TIC, a-t-il rappelé.

Pour sa part, Abdelhamid si Afif, membre du bureau politique du Front de libération nationale (FLN) chargé des relations extérieures et de la communauté algérienne à l'étranger a souligné la nécessité d'œuvrer à accompagner la catégorie des jeunes pour qu'elle soit à la hauteur des défis de la mondialisation."


http://www.djazairess.com/fr/apsfr/93455



On trouvera pour le moins amusant de voir qu'à cette occasion étaient conviés l'ensemble des partis politiques qui au pouvoir sans partage depuis des décennies bloquent les sociétés dont ils assurent l'encadrement autoritaire (le FLN algérien, le RDC tunisien) et représentent davantage un problème, un obstacle pour une jeunesse toujours plus importante numériquement dans ces pays, qu'une solution politique. A travers les interventions des vieillards en uniformes qui colloquaient en la circonstance se décline le discours conservateur qui ressasse les mêmes lieux communs : la jeunesse n'est plus à la hauteur des valeurs portées historiquement par ses pères despotiques ("se désintéressent de leur pays, leur religion, leur histoire, leurs valeurs culturelles et civilisationnelles"), elle ne se contente pas des places et des statuts proposés ("bénévolat, sacrifice et solidarité" sic !) par nos aimables philanthropes, nourrit une opposition non pas "contre toute chose" mais contre les conditions économiques et sociales qu'ils subissent et dont les bavards de ce symposium surréaliste sont les premiers responsables, il faut faire toute sa place aux jeunes sans céder une place, ni rien changer à nos privilèges... Plus inquiétant encore, cette jeunesse nourrit d'autres aspirations et ambitions que semblent redouter et déplorer cette amicale d'anciens combattants : influencée par une "mondialisation" qui déborde les potentats locaux, bien décidée à échapper à la misère qui est dans leur société un bien commun dont n'est privée qu'une caste dirigeante et ses amis, familière en effet des nouvelles technologies de communication, plus éduquée que ses gardes-chiourmes, n'ayant jamais connu la période coloniale et les luttes de libération, ni leurs mensonges établis, elle apparaît comme un acteur social émergeant, politiquement imprévisible, avec qui il faudrait compter (d'où les appels grossiers et paternalistes à un "dialogue constructif et généreux") : pourtant quand la jeunesse tunisienne manifeste, revendique pour participer à la vie politique, porte une exigence de réforme et de justice sociale, avec un sens aigu des responsabilités... le RDC a montré dernièrement et en vain avec quel zèle il peut apporter « ses » solutions policières aux revendications exprimées. Derrière la langue de bois de ce symposium, son humour involontaire, sa teneur pataphysique indubitable, c'est surtout l'aveuglement des élites politiques réunies qui frappent le plus ici, rappelant la posture d'un De Gaulle qui lui non plus n'avait pas vu venir le soulèvement de la jeunesse en Mai 1968 : poids démographique des jeunes, distance avec la tradition, absence de perspectives de mobilité sociale, niveau d'éducation, absence de pluralisme et de liberté politique, cooptation des ressources et des meilleures places par une clique de bureaucrates rentiers ... toutes les conditions sont réunies pour mettre les jeunes dans la rue : ni le nationalisme des luttes de décolonisation, ni l'islam politique, idéologies qui ont souvent détourné les révoltes des jeunes au profit des politiciens carriéristes qui les exploitent, ne semblent pour l'instant à même d'arrêter ce mouvement irrésistible. Sans doute à gauche en France est-on à demi satisfait : pas de procès en sorcellerie du grand capital, de la « mondialisation », de la finance internationale...mais une aspiration libérale à la démocratie qui n'aurait sans doute pas surpris un Tocqueville, la confirmation que la démocratie politique n'est en rien une exception occidentale, son particularisme, qui autoriserait dans le reste du monde les pires tyrannies sous couvert d'exception culturelle. A droite, on s'inquiète déjà du poids des islamistes dans ses soulèvements, on se berce encore de fables culturalistes sur l'incompatibilité des sociétés musulmanes avec la vie démocratique, on regretterait presque le despotisme aveugle d'un Ben Ali. Emmnuel Todd parle avec justesse de « normalisation » dans la mesure où le mouvement actuel prolonge les révolutions libérales qui ont marqué l'histoire de l'Europe et permis l'existence d'Etats démocratiques. Elles mettent à mal les fictions « communistes » et « socialistes » et leur recours incantatoires aux « peuples » (terme qui a pris la place symbolique et rhétorique de l'ancien prolétariat), les réformes exigées par les jeunes (partage du pouvoir et des richesses, redistribution des places, fin de la corruption, liberté et pluralisme politique) témoignent davantage de l'émergence d'une société civile autonome qui fait valoir ses droits que d'un renforcement d'un pouvoir de l'Etat et sa bureaucratie qui a été souvent une force d'oppression. Il reste aux jeunes à ajouter des revendications sociales aux revendications politiques : emplois, études, mobilités, les solutions "socialistes" mises en oeuvre par exemple en Algérie, sur le modèle de l'URSS, par le FLn ont démontré leur inéfficacité, le FLN au pouvoir a du grossir sa bureaucratie policière et militaire pour trouver des débouchés à des jeunes désœuvrés et sans avenir car il n'a jamais réussi à créer le dynamisme économique attendu depuis l'indépendance. La rente pétrolière et gazière redistribuée à la bureaucratie d'État permet d'acheter la paix sociale relative et de s'assurer la fidélité de ceux sans qui l'État ne pourrait fonctionner, privant l'opposition des leviers nécessaires pour prendre et exercer le pouvoir. Les solutions de type socialistes et communistes ont marqué les choix des pays sortis de la domination coloniale : le libéralisme n'en deplaise au NPA n'a jamais été la tasse de thé des gouvernements installés après les mouvements de libération qui ont toujours veillé à garder le monopole sur les richesses économiques, ne laissant pour ceux qui aspiraient à une vie meilleure que la solution de l'émigration ou une carrière dans la bureaucratie militaire. Hors des grandes idéologies désormais sans force (faillite du marxisme, défiance à l'égard des USA perçus comme impérialistes, inexistence de l'Europe, rejet du nationalisme et de l'islamisme), ces mouvements de jeunesses forment un laboratoire inédit qui ne peut prendre appui sur aucun précédent historique et doit inventer les solutions aux problèmes nouveaux qu'ils posent.


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