Le dernier texte de Virginie Despentes (King Kong théorie, Grasset) mérite à plus d’un titre qu’on s’y attarde, voire qu’on s’y attache, tant, au milieu d’une vague littérature définitivement égocentrée, sans ambition créatrice ni charisme, il sublime (presque) en une formulation, efficace, lapidaire, le chaos et le sordide qui le fondent pour transporter le lecteur sensiblement secoué ailleurs. Moins récit autobiographique qu’Essai, voire Manifeste, souvent maladroit, son livre s’inscrit dans la ligne du pamphlet et des brûlots insurrectionnels, mauvais genres peu goûtés aujourd’hui par les mœurs littéraires : la table rase y est méthode, préliminaire indispensable pour se (nous) penser autrement, différemment ; dans son creuset vivifiant l’insolence de chaque phrase vient comme un couteau planté à la gorge des bons sentiments, un uppercut à la face de toutes les corrections intellectuelles, une insoumission salutaire devant toutes les représentations et discours qui construisent le Féminin et à sa condition. Un enragement inouïe et inédit…
Il ne s’agit plus pour l’auteur d’opposer à la femme mariée la figure de la prostituée, ou de la porno-star, de la libertine émancipée des préjugées sociaux et de la tristesse bourgeoise, mais de pointer dans le malaise et le désarroi, qu’à tout instant la femme n’échappe à son encodage programmé, à une domination sociale polymorphe, qui lui interdit tout simplement d’être soi, d’exister hors des espaces ainsi sécurisés. Car ce livre ne fait guère dans la facilité, et risque d’irriter très largement tant sa lecture reste inconfortable littéralement et dans tous les sens ; si les conformismes, qu’ils viennent de la droite comme de la gauche, sont convoqués c’est pour être aussitôt déconstruits, retournés, interrogés, avec un sens iconoclaste de la radicalité, jusqu’à en révéler la racine inavouée, la misère ou la moralisme suffisant. Des icônes et des images, des rôles autorisés pour la femme par la société, c’est sans doute celui de victime qui subit les plus remarquables outrages : après la pute, la maman, la lolita, la bimbo… voici venu le temps de la victime, figure archétypale d’une société compassionnelle où le sentimentalisme de foire tient lieu et place de discours politique, où le florilège des bons sentiments altruistes finit par réveiller en nous le bon vieux soupçon nietzschéen : qu’est-ce que tout cela cache ? Et il y a bien dans ces pages perturbées comme une colère qui décolle l’épiderme de chaque mot et s’enracine moins dans le ressentiment que dans la recherche d’une puissance de vie souverraine, la recherche d’un grand midi, qui force le respect.
L’acte de naissance de Virginie Despentes n’est pas à chercher dans un quelconque état civil, ni dans la lecture de Céline ou Proust (cela reste une entrée en matière tout à fait honorable faut-il le rappeler) mais dans le fait divers et sa confondante banalité : un viol collectif. " Pour moi le viol, avant tout, a cette particularité : il est obsédant. J’y reviens tout le temps. Depuis vingt ans, chaque fois que je crois en avoir fini avec ça, j’y reviens. Pour en dire des choses différentes, contradictoires. J’imagine toujours pouvoir un jour en finir avec ça. Liquider l’évènement, le vider, l’épuiser. Impossible, il est fondateur. De ce que je suis en tant qu’écrivain, en tant que femme qui n’en est plus tout à fait une. C’est en même temps ce qui me défigure et ce qui me constitue ".Cette violence originelle fonctionne comme un acte augural, ici tout commence… Le paradoxe, intenable par bien des aspects, reste que cette blessure première permet une libération tout aussi fondatrice. Du ressassement à la honte, de la violence contre soi et les autres pour dire sa rage et sa colère à l’indifférence feinte, le processus d’affirmation, reconstruction de soi passe par la destruction méthodique des discours (celui du droit, des psychiatres, des tiers qui " compatissent "…) qui viennent comme autant de pièges, de manières de ranger, d’ordonner ce qui de manière lancinante vous hante et vous oblige d’abord à vous ameuter contre vous-mêmes, à trouver via une expérience singulière, limite, le viol, la mise en cause de représentations collectives et le vacillement abyssal de sa propre identité. La dépossession qu’inscrit le viol révèle l’incertitude énigmatique, trouble, de toute identité qu’il s’agit désormais de réinventer sur des ruines. Rien ne sera plus comme avant.
Il n’est pas davantage question de rentrer dans l’ordre dominant, de mettre en récit avec les mots attendus par la société qui vous en a au préalable enseigné la grammaire et le vocabulaire, dans l’universel communion (télévisuelle par exemple) de toutes les souffrances. Le statut de victime est la dernière camisole inventée pour dépolitiser toute question et les réinvestir dans l’ordre rassurant et symbolique du préjudice et de la réparation (psychologique notamment) afin que rien ne change réellement : les hommes et les femmes et leurs interactions heureuses et/ou malheureuses, l’altérité, le conflit, la lutte pour la reconnaissance. Les campagnes d’indignation scandalisées relatives aux formes les plus visibles des violences faites aux femmes dissimulent mal l’étonnante complaisance, le silence et l’assentiment de tous sur leur condition quotidienne où finalement elle ont si peu de marges pour exister en tant que sujet dans un espace où chacun est tenu de se de se poser et se décliner comme sujet. " Les filles qui touchent au sexe tarifé qui tirent en restant autonomes un avantage concret de leur position de femelles, doivent être publiquement punies. Elles on transgressé, n’ont joué ni le rôle de la bonne mère, ni celui de la bonne épouse, encore moins celui de la femme respectable – on ne peut guère s’affranchir plus radicalement qu’en tournant un porno -, elles doivent donc être socialement exclues. " Et de continuer sur une ligne clairement politique " C’est la lutte des classes. Les dirigeants s’adressent à celles qui ont voulu s’en sortir, prendre d’assaut l’ascenseur social et le forcer à démarrer. Le message est politique d’une classe à l’autre. La femme n’a d’autre perspective d’élévation sociale que le mariage, il faut qu’elle garde ça en tête. L’équivalent du X pour les hommes c’est la boxe. Il faut qu’ils fassent montre d’agressivité et prennent le risque de démolir leur corps pour divertir un peu les riches. Mais les boxeurs, même noirs, sont des hommes. Ils ont droit à cette minuscule marge de manœuvre sociale. Pas les femmes ".
C’est cet effort de d’affirmation/construction de soi que relate Virgine Despentes, effort qui passe autant par la prostitution, le porno que l’écriture comme voies d’une improbable émancipation, afin d’échapper à par cette ascèse négative à ses propres démons autant qu’à la bienveillance suspecte de tous. Pas de happy end au final, ni de rédemption puisqu’au passage il convient de déchristianiser le sexe, de le rendre au profane, d’abolir le clair de lune romantique, mais une sensation unique, contradictoire de vertige et d’équilibre, d’apaisement entre deux tempêtes. Au statut de victime, son récit semble opposer un nouvel héroïsme, à la faiblesse qui rassure finalement car elle conforte tous les stéréotypes institués la puissance conquérante, l’affirmation d’une subjectivité même si sa parole revenue de la nuit ne prétend pas fonder une analyse politique, moins encore un programme (et pourtant le livre est politique de la première à la dernière ligne), il ne peut manquer de dépasser la singularité de la trajectoire qu’il relate et d’interpeller au premier chef les hommes :" Il y eu une révolution féministe. Des paroles se sont articulées, en dépit de la bienséance, en dépit des hostilités. Et ça continue d’affluer. Mais pour l’instant rien concernant la masculinité. Silence épouvanté des petits garçons fragiles. (…) L’éternel féminin est une énorme plaisanterie. On dirait que la vie des hommes dépend du maintien du mensonge… femme fatale, bunny girl, lolita, pute, mère bienveillante ou castratrice ; (…)S’affranchir du machisme, ce piège à cons ne rassurant que les maboules. Admettre qu’on s’en tape de respecter les règles des répartitions des qualités ; système de mascarade obligatoires. De quelle autonomie les hommes ont-ils si peur qu’ils continuent de se taire, de ne rien inventer ? De ne produire aucun discours neuf, critique, inventif sur leur propre condition ? A quand l’émancipation masculine ? " .
A rebours d’une réputation surfaite et des idées reçues colportés habituellement par la paresse et la bêtise sur les féministes, à rebours aussi du féminisme contemporain qui cède souvent aux sirènes du récit victimaire, la prose de Virginie Despentes ne nourrit aucune haine, ni ressentiment à l’encontre des hommes, elle interroge leurs certitudes comme elle a interrogé les siennes : si l’éternel féminin est une construction sociale, politique, qu’en est-il donc de cet " éternel masculin " et de ses signes distinctifs que la société présente comme une quasi-nature sur laquelle il n’y aurait pas lieu de s’interroger ? Et de nous donner quelques pistes : " certaines femmes aiment la puissance, ne la craignent pas chez les autres. La puissance n’est pas une brutalité ; Les deux notions sont bien distinctes. Question d’attitude, de courage, d’insoumission. Il y a une forme de force, qui n’est ni masculine, ni féminine, qui impressionne, affole, rassure. " Une puissance sans domination qui n’inféode pas, n’infériorise pas, l’utopie d’une sexualité déculpabilisée, débarrassée des pièges sympathiques de la morale et de ses transgressions…Curieusement, cette prose radioactive n’est pas sans évoquer quelques précédents peu connus aujourd’hui du grand public : les Notes sur la prostitution de Gabriel Pomerand publiées aux débuts des années cinquante qui sont une défense raisonnée du sexe tarifé et de son prolétariat et les grands livres érotiques d’Isou comme la Mécanique des femmes ou Je vous apprendrai l’amour. J’aurais l’occasion de revenir sur ces derniers plus largement mais ils partagent avec la ligne développée dans King Kong Théorie une même critique de la sacralisation/spiritualisation du sexe selon un prisme qui va du christianisme jusqu’au romantisme dans ses manifestations les plus contemporaines. Chez Isou, cela est particulièrement sensible dans sa polémique avec le surréalisme et son Amour fou auquel il oppose la recherche et la multiplication des situations voluptueuses, matérielles et imaginaires, sans doute davantage soucieux du plaisir féminin que cet amour fou des surréalistes qui ne reconnaissaient en définitive les femmes qu’en tant que faire valoir (muse, inspiratrice) de leurs propres talents. Ce point est d’autant plus significatif qu’Isou lui même a consacré un ouvrage à Berthe Morisot, peintre impressionniste remarquable longtemps effacée par la notoriété de ses amis peintres masculins à qui elle n’avait pourtant rien à envier, car la dimension érotique n’exclut pas la dimension sociale et politique de l’émancipation (pouvoir vivre de manière autonome de ses propres œuvres), de la reconnaissance (les femmes sont souvent en situation d’externité et doivent à l’instar des situations décrites par Virginie Despentes déployer toute sorte de stratégie pour sortir de l’inexistence, rentrer dans un circuit où ces outsiders par excellence n’ont pas toujours de prime abord leur place) et de l’égalité des droits. Chez le créateur du lettrisme, ce préambule doit lui même trouver son dépassement via un affranchissement des différents rôles sociaux productifs et/ou reproductifs réservés par la société aux femmes et leur participation à une histoire créatrice commune. Sur ces derniers points, on pourra consulter le petit catalogue de l'exposition Il Lettrismo al di là della femminilitudine qu'Anne Catherine Caron a organisée, en 2003, au Musée d'Art Moderne d'Albisola, introduite par une présentation d'Isidore Isou
Il ne s’agit plus pour l’auteur d’opposer à la femme mariée la figure de la prostituée, ou de la porno-star, de la libertine émancipée des préjugées sociaux et de la tristesse bourgeoise, mais de pointer dans le malaise et le désarroi, qu’à tout instant la femme n’échappe à son encodage programmé, à une domination sociale polymorphe, qui lui interdit tout simplement d’être soi, d’exister hors des espaces ainsi sécurisés. Car ce livre ne fait guère dans la facilité, et risque d’irriter très largement tant sa lecture reste inconfortable littéralement et dans tous les sens ; si les conformismes, qu’ils viennent de la droite comme de la gauche, sont convoqués c’est pour être aussitôt déconstruits, retournés, interrogés, avec un sens iconoclaste de la radicalité, jusqu’à en révéler la racine inavouée, la misère ou la moralisme suffisant. Des icônes et des images, des rôles autorisés pour la femme par la société, c’est sans doute celui de victime qui subit les plus remarquables outrages : après la pute, la maman, la lolita, la bimbo… voici venu le temps de la victime, figure archétypale d’une société compassionnelle où le sentimentalisme de foire tient lieu et place de discours politique, où le florilège des bons sentiments altruistes finit par réveiller en nous le bon vieux soupçon nietzschéen : qu’est-ce que tout cela cache ? Et il y a bien dans ces pages perturbées comme une colère qui décolle l’épiderme de chaque mot et s’enracine moins dans le ressentiment que dans la recherche d’une puissance de vie souverraine, la recherche d’un grand midi, qui force le respect.
L’acte de naissance de Virginie Despentes n’est pas à chercher dans un quelconque état civil, ni dans la lecture de Céline ou Proust (cela reste une entrée en matière tout à fait honorable faut-il le rappeler) mais dans le fait divers et sa confondante banalité : un viol collectif. " Pour moi le viol, avant tout, a cette particularité : il est obsédant. J’y reviens tout le temps. Depuis vingt ans, chaque fois que je crois en avoir fini avec ça, j’y reviens. Pour en dire des choses différentes, contradictoires. J’imagine toujours pouvoir un jour en finir avec ça. Liquider l’évènement, le vider, l’épuiser. Impossible, il est fondateur. De ce que je suis en tant qu’écrivain, en tant que femme qui n’en est plus tout à fait une. C’est en même temps ce qui me défigure et ce qui me constitue ".Cette violence originelle fonctionne comme un acte augural, ici tout commence… Le paradoxe, intenable par bien des aspects, reste que cette blessure première permet une libération tout aussi fondatrice. Du ressassement à la honte, de la violence contre soi et les autres pour dire sa rage et sa colère à l’indifférence feinte, le processus d’affirmation, reconstruction de soi passe par la destruction méthodique des discours (celui du droit, des psychiatres, des tiers qui " compatissent "…) qui viennent comme autant de pièges, de manières de ranger, d’ordonner ce qui de manière lancinante vous hante et vous oblige d’abord à vous ameuter contre vous-mêmes, à trouver via une expérience singulière, limite, le viol, la mise en cause de représentations collectives et le vacillement abyssal de sa propre identité. La dépossession qu’inscrit le viol révèle l’incertitude énigmatique, trouble, de toute identité qu’il s’agit désormais de réinventer sur des ruines. Rien ne sera plus comme avant.
Il n’est pas davantage question de rentrer dans l’ordre dominant, de mettre en récit avec les mots attendus par la société qui vous en a au préalable enseigné la grammaire et le vocabulaire, dans l’universel communion (télévisuelle par exemple) de toutes les souffrances. Le statut de victime est la dernière camisole inventée pour dépolitiser toute question et les réinvestir dans l’ordre rassurant et symbolique du préjudice et de la réparation (psychologique notamment) afin que rien ne change réellement : les hommes et les femmes et leurs interactions heureuses et/ou malheureuses, l’altérité, le conflit, la lutte pour la reconnaissance. Les campagnes d’indignation scandalisées relatives aux formes les plus visibles des violences faites aux femmes dissimulent mal l’étonnante complaisance, le silence et l’assentiment de tous sur leur condition quotidienne où finalement elle ont si peu de marges pour exister en tant que sujet dans un espace où chacun est tenu de se de se poser et se décliner comme sujet. " Les filles qui touchent au sexe tarifé qui tirent en restant autonomes un avantage concret de leur position de femelles, doivent être publiquement punies. Elles on transgressé, n’ont joué ni le rôle de la bonne mère, ni celui de la bonne épouse, encore moins celui de la femme respectable – on ne peut guère s’affranchir plus radicalement qu’en tournant un porno -, elles doivent donc être socialement exclues. " Et de continuer sur une ligne clairement politique " C’est la lutte des classes. Les dirigeants s’adressent à celles qui ont voulu s’en sortir, prendre d’assaut l’ascenseur social et le forcer à démarrer. Le message est politique d’une classe à l’autre. La femme n’a d’autre perspective d’élévation sociale que le mariage, il faut qu’elle garde ça en tête. L’équivalent du X pour les hommes c’est la boxe. Il faut qu’ils fassent montre d’agressivité et prennent le risque de démolir leur corps pour divertir un peu les riches. Mais les boxeurs, même noirs, sont des hommes. Ils ont droit à cette minuscule marge de manœuvre sociale. Pas les femmes ".
C’est cet effort de d’affirmation/construction de soi que relate Virgine Despentes, effort qui passe autant par la prostitution, le porno que l’écriture comme voies d’une improbable émancipation, afin d’échapper à par cette ascèse négative à ses propres démons autant qu’à la bienveillance suspecte de tous. Pas de happy end au final, ni de rédemption puisqu’au passage il convient de déchristianiser le sexe, de le rendre au profane, d’abolir le clair de lune romantique, mais une sensation unique, contradictoire de vertige et d’équilibre, d’apaisement entre deux tempêtes. Au statut de victime, son récit semble opposer un nouvel héroïsme, à la faiblesse qui rassure finalement car elle conforte tous les stéréotypes institués la puissance conquérante, l’affirmation d’une subjectivité même si sa parole revenue de la nuit ne prétend pas fonder une analyse politique, moins encore un programme (et pourtant le livre est politique de la première à la dernière ligne), il ne peut manquer de dépasser la singularité de la trajectoire qu’il relate et d’interpeller au premier chef les hommes :" Il y eu une révolution féministe. Des paroles se sont articulées, en dépit de la bienséance, en dépit des hostilités. Et ça continue d’affluer. Mais pour l’instant rien concernant la masculinité. Silence épouvanté des petits garçons fragiles. (…) L’éternel féminin est une énorme plaisanterie. On dirait que la vie des hommes dépend du maintien du mensonge… femme fatale, bunny girl, lolita, pute, mère bienveillante ou castratrice ; (…)S’affranchir du machisme, ce piège à cons ne rassurant que les maboules. Admettre qu’on s’en tape de respecter les règles des répartitions des qualités ; système de mascarade obligatoires. De quelle autonomie les hommes ont-ils si peur qu’ils continuent de se taire, de ne rien inventer ? De ne produire aucun discours neuf, critique, inventif sur leur propre condition ? A quand l’émancipation masculine ? " .
A rebours d’une réputation surfaite et des idées reçues colportés habituellement par la paresse et la bêtise sur les féministes, à rebours aussi du féminisme contemporain qui cède souvent aux sirènes du récit victimaire, la prose de Virginie Despentes ne nourrit aucune haine, ni ressentiment à l’encontre des hommes, elle interroge leurs certitudes comme elle a interrogé les siennes : si l’éternel féminin est une construction sociale, politique, qu’en est-il donc de cet " éternel masculin " et de ses signes distinctifs que la société présente comme une quasi-nature sur laquelle il n’y aurait pas lieu de s’interroger ? Et de nous donner quelques pistes : " certaines femmes aiment la puissance, ne la craignent pas chez les autres. La puissance n’est pas une brutalité ; Les deux notions sont bien distinctes. Question d’attitude, de courage, d’insoumission. Il y a une forme de force, qui n’est ni masculine, ni féminine, qui impressionne, affole, rassure. " Une puissance sans domination qui n’inféode pas, n’infériorise pas, l’utopie d’une sexualité déculpabilisée, débarrassée des pièges sympathiques de la morale et de ses transgressions…Curieusement, cette prose radioactive n’est pas sans évoquer quelques précédents peu connus aujourd’hui du grand public : les Notes sur la prostitution de Gabriel Pomerand publiées aux débuts des années cinquante qui sont une défense raisonnée du sexe tarifé et de son prolétariat et les grands livres érotiques d’Isou comme la Mécanique des femmes ou Je vous apprendrai l’amour. J’aurais l’occasion de revenir sur ces derniers plus largement mais ils partagent avec la ligne développée dans King Kong Théorie une même critique de la sacralisation/spiritualisation du sexe selon un prisme qui va du christianisme jusqu’au romantisme dans ses manifestations les plus contemporaines. Chez Isou, cela est particulièrement sensible dans sa polémique avec le surréalisme et son Amour fou auquel il oppose la recherche et la multiplication des situations voluptueuses, matérielles et imaginaires, sans doute davantage soucieux du plaisir féminin que cet amour fou des surréalistes qui ne reconnaissaient en définitive les femmes qu’en tant que faire valoir (muse, inspiratrice) de leurs propres talents. Ce point est d’autant plus significatif qu’Isou lui même a consacré un ouvrage à Berthe Morisot, peintre impressionniste remarquable longtemps effacée par la notoriété de ses amis peintres masculins à qui elle n’avait pourtant rien à envier, car la dimension érotique n’exclut pas la dimension sociale et politique de l’émancipation (pouvoir vivre de manière autonome de ses propres œuvres), de la reconnaissance (les femmes sont souvent en situation d’externité et doivent à l’instar des situations décrites par Virginie Despentes déployer toute sorte de stratégie pour sortir de l’inexistence, rentrer dans un circuit où ces outsiders par excellence n’ont pas toujours de prime abord leur place) et de l’égalité des droits. Chez le créateur du lettrisme, ce préambule doit lui même trouver son dépassement via un affranchissement des différents rôles sociaux productifs et/ou reproductifs réservés par la société aux femmes et leur participation à une histoire créatrice commune. Sur ces derniers points, on pourra consulter le petit catalogue de l'exposition Il Lettrismo al di là della femminilitudine qu'Anne Catherine Caron a organisée, en 2003, au Musée d'Art Moderne d'Albisola, introduite par une présentation d'Isidore Isou
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